C'est un bouchon lyonnais bien vivant. Au Café du peintre, Florence Périer, la patronne, perpétue l'esprit de la gastronomie locale. Et pour cause : elle s'inscrit dans une lignée de « mères lyonnaises », après sa mère et sa grand-mère avant elle.
Mais c'est son fils, Maxime, 28 ans, qui approvisionne la cave et conseille les clients en salle. Un métier qu'il a appris « sur le tas, sans formation particulière, avec juste les conseils précieux d'amis cavistes et viticulteurs, explique-t-il. Nous avons 150 références de vins sur notre carte. Nous nous approvisionnons chez une petite centaine de viticulteurs. Nous les connaissons tous, ce qui est parfois pratique pour obtenir des cuvées de petit volume ».
Maxime Périer aime raconter ses vins, « mais sans prendre les clients de haut. Je n'aime pas ces sommeliers qui vous assomment de mots compliqués, il faut rester humble ». Il faut dire que l'ambiance au Café du peintre est décontractée, comme il se doit dans un bouchon lyonnais. Ici, on boit des « canons » et la carte est à l'avenant. Quenelles de brochet, tête de veau et autres cervelle d'agneau sont en bonne place sur l'ardoise qui tient lieu de carte. En ce samedi midi, la clientèle est plus décontractée qu'en semaine, où elle est majoritairement issue du quartier d'affaires de la Part-Dieu. Un bon jour pour faire des découvertes.
Avec une vingtaine de références, le beaujolais est la marotte de Maxime. Ces vins « méritent d'être découverts », plaide-t-il. Sa carte est également très fournie en côtes-du-rhône, avec une trentaine de vins différents, le tout à des prix raisonnables.
Sans surprise pour qui connaît les habitudes lyonnaises, les clients demandent spontanément du côtes-du-rhône. Comme David. Ce Lyonnais venu déjeuner en famille « aime les vins structurés ». Il demande une « surprise » à Maxime qui lui sert Le Temps est venu, un côtes-du-rhône qui le satisfait.
Même son de cloche à une autre table où quatre amis ont pris place. Ce sont des habitués, des commerçants du quartier. « Nous ne buvons plus de beaujolais, confirment-ils en chœur. Nous aimons les côtes-du-rhône ainsi que les bordeaux et les bourgognes. » Ils ont commandé une tête de veau braisée au vin rouge, une grande spécialité du bouchon. « Il faut un vin tannique sur ce type de plat pour que le verre ne soit pas écrasé par le contenu de l'assiette », préconise Maxime, qui leur propose un grignan-les-adhémar. C'est entendu pour ce vin.
« L'accord met et vin reste prioritaire dans mes conseils. Je recommande un beaujolais sur une quenelle – et non pas un blanc comme c'est l'usage – ou sur des poissons. Mais pour les viandes, je privilégie plutôt des vins du Sud. L'autre élément à prendre en compte, c'est le prix que quelqu'un semble prêt à payer. Il faut l'estimer très vite. Pour cela, il faut repérer s'il est en compagnie d'un de ses clients, d'une dame. C'est subtil… »
Le temps passe. Maxime n'a toujours pas servi de beaujolais. La phrase célèbre d'Alphonse Daudet : « Lyon est une ville arrosée par trois grands fleuves : le Rhône, la Saône et le Beaujolais », serait-elle caduque ? « À Lyon, les gens veulent un pot de côtes-du-rhône basique (46 cl), ce que je me refuse à servir, indique le maître des lieux. Je préfère toujours faire goûter quelque chose de nouveau. C'est là que je peux placer un beaujolais ou un autre vin. »
La preuve avec Jérôme, un touriste haut-savoyard de passage à Lyon. Maxime lui conseille Pur jus, un beaujolais-villages naturel de Xavier Benier. « Il est frais et fruité, il passe bien à l'apéritif », argumente le restaurateur. Jérôme se laisse tenter et goûte. « C'est effectivement très bien pour l'apéro, assure-t-il. De toute façon, j'apprécie le beaujolais. »
13 h 30. Quelques tables plus loin, Jocelyne est venue déjeuner avec trois amis. Cette dame d'un certain âge affirme spontanément « ne pas aimer les beaujolais, je n'en bois que quand ils ressemblent aux bourgognes, comme les moulin-à-vent ». En apéritif, elle demande un côtes-du-rhône qui accompagnera aussi son repas. Maxime s'exécute. « Très bien », savoure Jocelyne après l'avoir dégusté. Mais là, surprise, Maxime lui avoue qu'en réalité, il lui a servi un beaujolais-villages plutôt souple. Jocelyne est interloquée ! « C'est un beaujolais ? demande-t-elle. Ça n'y ressemble pas du tout ! C'est une belle découverte ! » Légèrement embarrassée tout de même, elle entame son repas.
« C'est une cliente que je connais très bien, commentera Maxime après coup. J'ai pris la liberté de lui faire une surprise. Mais je ne l'aurais pas fait avec un client de passage, il faut respecter la relation client-restaurateur. »
Reste que sur la vingtaine de couverts servis en ce samedi midi, les côtes-du-rhône demeurent majoritaires, même dans un établissement dûment estampillé Bistrot Beaujolais par l'interprofession. « Nous avons obtenu cette reconnaissance en 2011. Mais seuls quelques clients m'ont dit être venus en suivant le guide des Bistrots Beaujolais édité par l'interprofession. Cela dit, ce label me fait énormément plaisir. Nous l'avons obtenu après une visite cachée comme pour un guide culinaire. Je le prends comme une récompense du travail que nous effectuons pour faire découvrir les vins du Beaujolais. C'est aussi l'occasion de rencontrer nos confrères lors des réunions qui ont lieu tous les deux mois. L'ambiance est très bonne. »
La convivialité reste d'ailleurs le maître mot de sa relation avec ses fournisseurs. « Je les rencontre parfois lors des Beaujol'ympiades à Lyon ou lors de la Beaujolai's cup sur l'île des Embiez. Là, je découvre des cuvées qui me scotchent. J'ai des coups de cœur. Mais avant de référencer ces vins, il faut que le courant passe avec le producteur, car nous essayons de les suivre. La proximité avec le Beaujolais et les côtes du Rhône septentrionales nous aide beaucoup à entretenir des relations personnelles. »
Déjà, Maxime et Florence énumèrent les prochaines soirées où ils sont invités. L'occasion de découvrir de futures cuvées qui viendront renouveler leur carte.
Les best-sellers du jour
Pur jus. Un beaujolaisvillages naturel souple et fruité de chez Xavier Benier. 3,50 euros le verre, 17 euros le pot et 25 euros la bouteille.
DÉBRIEFING
Comme beaucoup de restaurateurs qui apprécient le vin, Maxime Périer fonctionne à l'affectif. Il préfère acheter directement aux producteurs plutôt qu'à des revendeurs. Les viticulteurs doivent tisser des liens avec lui pour lui faire connaître leurs cuvées et pour le fidéliser.
Les conseils du restaurateur sont essentiels pour pousser les clients à découvrir des vins qu'ils ne connaissent pas.
La clientèle du Café du peintre apprécie les cuvées originales et les étiquettes qui sortent de l'ordinaire, même si l'originalité n'est pas le seul critère d'achat. Maxime met volontiers ces vins en avant.
Étudiez la carte d'un restaurant avant de le démarcher pour s'assurer que vos vins s'accordent avec la cuisine des lieux.
Les Lyonnais ont un a priori négatif sur les beaujolais. Ils demandant spontanément des côtes-du-rhône, plus tanniques et épicés, qui se marient bien avec la solide gastronomie locale. Les beaujolais ont leur carte à jouer avec des quenelles ou des plats de poissons, voire à l'apéritif.
FABIEN VIGNAL, RESPONSABLE DES BISTROTS BEAUJOLAIS À INTER BEAUJOLAIS. « Une région est plus facile à vendre lorsqu'on y croit »
« Les Bistrots Beaujolais existent depuis près de cinquante ans, sous forme associative tout d'abord, puis l'interprofession en a repris la gestion en 1995. Notre objectif est de sélectionner des établissements qui influencent le public tout en donnant une reconnaissance aux restaurateurs qui mettent le beaujolais en avant. On compte actuellement 252 cafés et restaurants, répartis dans dix pays. L'intégration se fait essentiellement par le réseau : les membres nous conseillent des confrères qu'ils connaissent, mais il est aussi possible de postuler spontanément. Nous testons anonymement chaque bistrot.
Nos critères sont la convivialité, l'accueil, la place qu'occupe le beaujolais sur la carte des vins et la qualité de la cuisine. Nous saluons avant tout l'engagement personnel du patron en faveur du beaujolais. Une région est plus facile à vendre lorsque vous y croyez. Notre réseau écoule 6 000 à 7 000 hl de beaujolais par an. C'est important. Nous l'animons avec des concours, notamment sur Instagram. Nous venons également de lancer une appli de géolocalisation des Bistrots Beaujolais. »