« Nous sommes partagés entre la fierté, la joie et l'honneur. » Christian Paly, président des Vignerons de Tavel, dans le Gard, ne cache pas sa satisfaction. « Sa » cave est la première coopérative en activité à être inscrite aux monuments historiques pour sa richesse architecturale et pour le soin avec lequel elle a été conservée.
L'arrêté a été signé par le préfet du Languedoc-Roussillon le 11 juin dernier. Il s'étend à la totalité de la partie construite en 1937 ainsi qu'aux façades et toitures des agrandissements de 1942 et 1964. La cave a également été labellisée « patrimoine du XXe siècle » par la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) du Languedoc-Roussillon.
« La cave est exemplaire sur le plan historique, souligne Josette Clier, recenseur au Conservatoire régional des monuments historiques (CRMH). Elle marque un tournant en terme d'architecture régionale par son style d'inspiration néo-provençale. Son architecte, Henri Floutier, concepteur d'une cinquantaine d'autres caves dans le Gard, ne l'a pas traitée comme un bâtiment industriel avec une haute halle rectangulaire en béton, mais comme un mas agricole provençal parfaitement intégré dans son environnement. » Elle « est le premier exemple, en 1937, de style néorégionaliste dans l'architecture industrielle », ajoute l'arrêté d'inscription.
L'emploi de la pierre locale de Tavel ainsi que la présence d'un faux pigeonnier et d'un porche monumental témoignent de cet ancrage régional. Une génoise à deux rangs sous toiture et une représentation de Bacchus en pierre sur le fronton sculpté par Armand Pellier ajoutent une note d'esthétisme. « Les administrateurs de l'époque avaient fait le choix de cette architecture néoprovençale, indique Christian Paly. Et les agrandissements successifs ont toujours respecté ce parti pris. »
À la fois fonctionnel et esthétique. L'assemblée générale constitutive de la coopérative s'est tenue le 28 avril 1837, presque un an après la reconnaissance de l'AOC Tavel. « La première vendange s'est déroulée au mois de septembre de la même année, alors que la toiture n'était pas encore posée », détaille Christian Paly. Cette année-là, une quarantaine de coopérateurs ont apporté près de 2 700 hl, dont 70 % de la toute nouvelle AOC Tavel. Le 31 juillet 1938, après avoir participé à la fête nationale des vins de France organisée à Avignon (Vaucluse) par le baron Leroy, Albert Lebrun, président de la République, vient inaugurer la cave. « Cela montre bien qu'à l'époque, l'édifice était déjà remarquable », insiste Christian Paly.
Pour l'aménagement de la cave, Henri Floutier est resté très pragmatique. Pour atténuer la hauteur de construction et intégrer le bâtiment dans le paysage, il a créé un sous-sol destiné à abriter les foudres et cuves. Au rez-de-chaussée, il a construit un chai longitudinal qui comprend douze cuves en béton de 200 à 300 hl. Il les a pourvues de portes en chêne et d'une robinetterie en bronze. Ce chai est toujours utilisé avec les cuves, portes et robinetteries d'origine. Il est précédé d'un grand hall de travail pour la réception de la vendange, aujourd'hui modernisé. Un hall « traité de manière majestueuse », selon le CRMH, avec une charpente en béton armée qui imite le bois.
Aujourd'hui, la cave regroupe 85 viticulteurs cultivant 680 ha. Elle produit 35 000 hl, dont 2,5 millions de bouteilles. Elle accueille entre 25 000 et 30 000 visiteurs par an. « L'inscription aux monuments historiques et le label patrimoine du XXe siècle sont un plus dans notre stratégie de développement œnotouristique », souligne Christian Paly. De fait, les 14 et 15 septembre 2013, la cave a participé pour la première fois de son histoire aux Journées européennes du patrimoine.
En Languedoc-Roussillon, deux autres coopératives sont inscrites aux monuments historiques : celle de Maraussan, depuis 2001, et celle de Saint-Théodorit depuis août 2013. Mais elles ne sont plus en activité. Seuls les bâtiments subsistent. Le CRMH souhaiterait inscrire six à huit caves supplémentaires de la région. « Les caves coopératives sont un élément majeur du patrimoine du Languedoc-Roussillon par leur nombre – environ 600 ont été construites en un siècle –, par l'ampleur des constructions et par leur caractère symbolique », conclut Josette Clier.