L'automne dernier, les vignerons languedociens ont pris des risques. L'année étant tardive, ils ont attendu deux à trois semaines de plus que d'habitude pour laisser mûrir leurs raisins. Ils ont bien fait. Les pluies d'automne, en retard elles aussi, n'ont pas perturbé les vendanges. À l'arrivée, beaucoup parlent d'un grand millésime. « Il y a de belles maturités, note François Boudou, de l'ICV. Les rouges sont sur le fruit, sans notes végétales. Les blancs et les rosés sont aromatiques et plus frais que les années précédentes. »
Estimée à 13,5 millions d'hl, la récolte se situe dans la moyenne. Elle progresse de 1,5 million d'hl par rapport à 2012. Mais comme les stocks ont diminué d'autant durant la campagne 2012-2013, les disponibilités restent équivalentes. « Nous avons de quoi alimenter les marchés sans faire flamber les prix. C'est un contexte favorable pour poursuivre notre montée en gamme, qui est déjà bien engagée », affirme Jérôme Villaret, le directeur du Conseil interprofessionnel des vins du Languedoc (CIVL), l'interprofession des vins AOC et des IGP autres que Pays d'Oc.
Depuis plusieurs années, l'image du Languedoc-Roussillon s'améliore. « Il y a quatre ans, proposer à une enseigne d'organiser une opération commerciale avec des appellations à plus de 3 euros par col paraissait fou, relève Jérôme Villaret. Aujourd'hui, ce sont les acheteurs qui nous sollicitent. Ils ont constaté que le bon rapport qualité prix de nos vins séduisait les consommateurs. »
En grande distribution, les ventes d'AOC du Languedoc ont ainsi progressé en 2012-2013 de 2 % en volume et de 4,5 % en valeur. Au premier semestre 2013, la barre des 60 % de vins vendus au-dessus de 3 euros le col a été franchie. Durant le second semestre, ce repositionnement vers le haut s'est accéléré.
À l'export, sur les neuf premiers mois de 2013, les appellations ont progressé de 1,6 % en volume et de 5,7 % en valeur. « Le ralentissement sur la Chine commence à se faire sentir au troisième trimestre, souligne Jérôme Villaret. Mais aux États-Unis, nous gagnons encore 26 % en volume et 31 % en valeur. Avec une croissance à deux chiffres depuis trois ans sur les pays tiers, nous avons un bon retour de nos efforts, soutenus par les aides à la promotion. »
Des hausses régulières. La gestion prévisionnelle des sorties a permis d'éviter les fluctuations des cours du vrac. Les acheteurs, sécurisés, ont accepté de petites hausses successives. Toutes appellations du Languedoc confondues, la moyenne des cours du vrac s'est établie à 108 €/hl sur la dernière campagne. « En 2010, le corbières rouge était à 55 €/hl. En 2012-2013, il est arrivé à 93 €/hl de moyenne. Et la nouvelle campagne démarre à 100 €/hl », apprécie Jérôme Villaret.
Même constat en Roussillon. « Notre notoriété progresse, observe Jean-Louis Salies, le président du Conseil interprofessionnel des vins du Roussillon (CIVR). Depuis un an, des négociants nationaux qu'on ne voyait pas viennent chercher de belles qualités chez nous. Ils ont acheté des cuvées de côtes-du-roussillon villages entre 120 et 130 €/hl. »
Le côtes-du-roussillon rouge est passé de 82 €/hl de moyenne en 2011-2012 à 85 €/hl en 2012-2013, et le rosé de 75 €/hl à 83 €/hl. L'objectif pour les producteurs est de ne rien vendre en dessous de 90 €/hl durant l'actuelle campagne. « Avant Noël, nous y étions déjà. Et les prix proposés grimpaient de semaine en semaine, car il restait peu de volumes à vendre », remarque Jean-Louis Salies.
Pour les côtes-du-roussillon villages génériques, l'objectif est d'au moins 130 €/hl. « Avec des rendements à 30 hl/ha, c'est un minimum pour dégager un revenu », signale le professionnel.
Les crus de la région se négocient encore plus cher. « Le groupe Val d'Orbieu, auquel notre cave adhère, nous a réservé des cuvées de côtes-du-roussillon Les Aspres à 200 €/hl, affirme Laurent Girbau, président de la coopérative les Vignerons de Passa Saint-André, dans les Pyrénées-Orientales. C'est un signe que nos vins sont particulièrement recherchés cette année. C'est le moment d'étoffer nos partenariats avec les acheteurs tout en poursuivant notre montée en gamme. »
Ce groupe a aussi lancé Divi Elegancia, une gamme de vins doux naturels. Positionnée en CHR et à l'export à un prix consommateur de 10 à 12 euros la bouteille de 50 cl, elle démarre bien.
Des cépages qui tirent toujours. L'IGP Pays d'Oc, la principale dénomination de la région, se porte tout aussi bien. Sur la campagne 2012-2013, les sorties, tirées principalement par les rosés et les blancs, ont grimpé de 9 % en moyenne pour atteindre 5,8 millions d'hl. « Nous avons eu des mois à 600 000 hl. C'est un record ! » se réjouit Florence Barthès, la directrice d'Inter Oc. Les prix se sont raffermis, passant de 72 à 78 €/hl pour les cépages rouges, de 86 à 89 €/hl pour les blancs et de 69 à 73 €/hl pour les rosés.
Dans les grandes surfaces françaises, les ventes ont grimpé de 6 % en valeur, tirées par le bib. L'export a progressé de 2 % en valeur. « En Allemagne, notre premier marché, nous gagnons 6,3 % en volume et 7,7 % en valeur sur les huit premiers mois de 2013, détaille Florence Barthès. En Grande-Bretagne, nous perdons encore un peu de volume mais nous poursuivons notre repositionnement en coeur de gamme et récupérons de la valeur. »
Parmi les pays tiers, les États-Unis sont devenus le premier moteur de croissance, avec un chiffre d'affaires en progression de 5,5 %. En Chine, la tendance s'est complètement retournée, avec un recul de 42 % en valeur. « Nous allons rester présents pour conserver une visibilité, mais nous réduisons la voilure. Les ventes deviennent compliquées. C'est dur pour les entreprises qui se sont engagées sur ce marché », constate Florence Barthès.
Pour la nouvelle campagne, l'enjeu est avant tout de consolider les marchés et les prix. « Nous avons peu de stocks. Mais nos concurrents du Nouveau Monde ont fait de bonnes récoltes », relève la responsable.
De leur côté, les caves restent prudentes. « Il n'est pas question de spéculer à la hausse, mais de préserver les relations avec nos clients, en négociant des augmentations raisonnables », soutient Jean-Louis Reffle, le directeur de la coopérative Les Vignerons de Montagnac, dans l'Hérault.
À l'écoute des clients. Cette cave a récolté 141 000 hl en 2013, contre seulement 113 000 hl en 2012. Avant Noël, elle avait déjà tout prévendu. « Nous avons élaboré plus de rosés, car la consommation, devenue moins saisonnière, progresse. Avec une demande en croissance, les prix vont rester fermes », analyse Jean-Louis Reffle. Les cours des rouges comme ceux des blancs se maintiennent bien aussi. « Mais n'oublions pas qu'il y a deux ans, nous avons eu du mal à vendre nos sauvignons », rappelle-t-il.
Cette coopérative produit aussi bien des appellations et des IGP que des vins de France. « Notre mixité est un atout pour proposer une gamme large, explique son directeur. À nous de bien travailler chaque segment en restant à l'écoute de nos clients, car nous devons rester en phase avec nos marchés de coeur de gamme. »
La cave a ainsi développé des marchés en vin de France bien rémunérés pour des marques de distributeur ou encore des négociants qui recherchent des qualités définies pour leurs assemblages. « Certains de ces vins nous sont payés 20 % au-dessus des IGP ! » se félicite-t-il.
Pour continuer à progresser en qualité, la coopérative prévoit des investissements en 2014 pour mieux vinifier les rosés et les rouges à forte expression. « Les acheteurs recherchent des volumes et des qualités régulières pour sécuriser leurs approvisionnements. En Languedoc-Roussillon, nous sommes bien placés pour répondre à leurs attentes », garantit Jean-Louis Reffle.
Fort recul du muscat de Rivesaltes
En Roussillon, le défi pour 2014 sera de relancer les ventes de muscat de Rivesaltes. Sur douze mois arrêtés à fin septembre, les sorties ont reculé de 8 % pour s'établir à 100 300 hl. Le cours du vrac est resté stable à 220 €/hl. « Pour ajuster l'offre à la demande, nous avons réduit le rendement annuel de 22 à 20 hl/ha. En contrepartie, nous avons demandé aux négociants une hausse des prix d'au moins 10 €/hl », illustre Roger Torreilles, le président de l'ODG de cette appellation. Reste à faire accepter cette hausse à la grande distribution. Dans les rayons, les ventes de muscat de Rivesaltes ont diminué de 9 % sur la dernière campagne, alors que celles des muscats d'entrée de gamme ont progressé. « Les apéritifs, comme le rosé pamplemousse, ont aussi gagné des parts de marché. Avec leur goût fruité et leur prix très accessible, ils plaisent aux jeunes consommateurs », analyse Jean-Louis Salies, président du Conseil interprofessionnel des vins du Roussillon (CIVR). Face à cette nouvelle concurrence, le CIVR va mettre en place un plan de communication renforcé sur le muscat de Rivesaltes et organisera début 2014 un forum avec les metteurs en marché. La consommation des vins doux naturels se réduit d'année en année sur le marché français. Mais jusqu'à présent, le muscat de Rivesaltes avait mieux résisté que le rivesaltes. Ce retournement de tendance est-il conjoncturel ou structurel ? Quelle que soit la réponse, il faut réagir pour maintenir les ventes de muscat, qui représentent bien souvent près de la moitié du chiffre d'affaires des vignerons. Des pistes existent. Le muscat de Noël se vend bien dans le réseau des cavistes. À l'export, la demande pourrait être développée. Mais pour l'instant, ce sont des niches. Le gros des volumes reste commercialisé au rayon apéritif des grandes surfaces. Et là, la concurrence est nettement plus rude.
29 HL/HA
C'est le rendement moyen en Roussillon en 2013. Les viticulteurs souffrent de ces petits rendements à répétition qui accroissent le poids des charges fixes et que les prix ne compensent pas. Et les projets d'irrigation tardent à aboutir.
8,8 MILLIONS DE LITRES
C'est la progression des ventes de rosés AOC et IGP du Languedoc-Roussillon dans les grandes surfaces françaises pendant les dix premiers mois de 2013 par rapport aux dix premiers mois de 2012. Durant cette période, les ventes de rosé, toutes origines confondues, ont bondi de 10,1 millions de litres pour arriver à 90 millions de litres.
Le Point de vue de
Joël Julien, directeur de la coopérative Les Costières de Pomerols, à Pomerols (Hérault)
« Des blancs et rosés en phase avec la demande »
« En 2013, nous avons rentré 130 000 hl, contre seulement 93 000 hl en 2012. En vrac, tout était déjà réservé avant les vendanges. Sur la partie conditionnée, qui représente 50 000 hl, il nous reste à finir de négocier les prix. Avec un millésime fruité et plus frais que d'habitude, nos blancs et rosés sont particulièrement en phase avec la demande à l'export. Nous travaillons depuis vingt ans avec un importateur pour les États-Unis qui a misé sur nos blancs AOC Picpoul de Pinet. Nous avons demandé des aides à la promotion sur les pays tiers et nous allons investir en 2014 pour soutenir ses efforts commerciaux. Picpoul de Pinet vient de devenir une appellation indépendante, distincte de l'AOC Languedoc. C'est le bon moment. La campagne dernière, sur le vrac, nous avions déjà atteint 120 €/hl. Pour 2013-2014, nous visons 125 à 130 €/hl. Le marché des rosés est également porteur. Cette année, nous avons élaboré un peu moins de rouges, pour arriver à 30 000 hl de rosés. En 2013, le distributeur Carrefour nous avait réservé 8 000 hl d'IGP Côtes de Thau. Les consommateurs ont apprécié ce vin et tout s'est vendu en cinq mois, à un prix de détail compris entre 3,10 et 3,30 euros le col. Cette année, l'objectif est de vendre 12 000 à 15 000 hl. Sur les prix, nous espérons obtenir une petite progression. En IGP Pays d'Oc, la récolte est correcte en volume. Ce n'est pas l'année où il faut trop pousser les prix à la hausse. Ils ont déjà augmenté de 2 à 5 % l'an dernier. Nous allons plutôt chercher à profiter à fond de notre bon rapport qualité prix pour gagner des parts de marché à l'export. La marque Pays d'Oc est reconnue internationalement. Et avec des volumes, une qualité régulière, des capacités de conditionnement, une traçabilité et une assurance qualité efficace, nous avons des atouts pour intéresser les importateurs. »
Le Point de vue de
Jean-Pierre Papy, directeur de la coopérative Arnaud de Villeneuve, à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales)
« De belles ouvertures sur le vrac »
« En 2013, nous avons récolté 91 000 hl, contre seulement 74 000 hl en 2012. En moyenne, nous réalisons la moitié de notre chiffre d'affaires avec 27 000 hl que nous commercialisons en conditionné. Sur ce segment, c'est la bagarre pour vendre. L'an dernier, nous avons réussi à passer des hausses de 3 à 5 % pour pallier la petite récolte. En 2014, nos augmentations de prix seront plus modérées. Nos clients cavistes ou restaurateurs ressentent fortement la baisse du pouvoir d'achat des Français. Nous devons en tenir compte. C'est sur le marché du vrac que nous avons les meilleures ouvertures. La demande est très active pour les vins IGP comme pour les côtes-du-roussillon. Avec plus de volumes disponibles, c'est le moment de conforter nos relations avec les acheteurs tout en revalorisant les prix. Sur les côtes-du-roussillon, nous nous sommes fixés de ne rien vendre en dessous de 90 €/hl alors que, l'an dernier, nous étions à 84 €/hl de moyenne. En vins doux naturels, nous avons dû réduire les volumes élaborés pour coller à la diminution des ventes. C'est un souci. Le muscat de Rivesaltes, avec 16 000 hl valorisés à 220 €/hl, représente la moitié de la rémunération versée à nos adhérents. Celle-ci progresse à nouveau depuis 2010. Mais avec un rendement moyen de 32 hl/ha en 2012 et de 40 hl/ha en 2013, elle reste insuffisante, et trop dépendante du muscat. Avec des vignes réparties entre plaine et coteaux, nous pouvons jouer sur plusieurs axes de développement. Nous en avons choisi trois : des haut de gamme bien valorisés sur des marchés de niche, des appellations et des IGP avec plus de volumes en coeur de gamme et des vins de France ou des bases pour effervescents, avec un vignoble dédié bien adapté, que quelques-uns de nos adhérents ont commencé à planter. »