Coulure au printemps et orages de grêle cet été ont fait des ravages dans le Bordelais. Avec 4 millions d'hectolitres, la récolte 2013 devrait être la plus faible depuis 1991, inférieure de 1,5 million d'hectolitres à la moyenne des vingt dernières années. « Pour les propriétés qui n'ont pas de stock, cela va être très dur. La revalorisation des cours du vrac ne compensera pas la perte des volumes », prévient Bernard Farges, président du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB).
Plus qu'une revalorisation, c'est une surchauffe qui guette. Le bordeaux rouge (tous millésimes confondus) se négociait 995 euros le tonneau de 900 l (111 €/hl) en octobre 2012, contre 1 208 euros (134 €/hl) un an plus tard, soit une hausse de 21 %. « Si les cours augmentent de façon violente, nous perdrons des marchés et nous aurons beaucoup de mal à les rattraper », s'alarme Allan Sichel, président du négoce girondin.
Pour la cave coopérative de Rauzan (3 000 ha, 300 coopérateurs), le problème est encore plus immédiat : elle manque tout simplement de vin. Alors qu'elle produit 165 000 hl en temps normal, elle a vu sa récolte baisser de 35 %. Pour compenser un peu, elle peut compter sur les 12 500 hl de volumes complémentaires individuels (VCI) accumulés par ses adhérents lors des trois récoltes précédentes.
Réduction des investissements. Mais cela ne suffira pas. « Avec des stocks très bas et cette petite récolte, nous allons mécontenter beaucoup de clients, car nous ne pourrons pas les fournir. Ils partiront ailleurs. Nous allons privilégier nos partenaires historiques », explique Philippe Hébrard, directeur de la cave.
Autre problématique : les charges fixes vont se répercuter sur une récolte plus faible. Du coup, Rauzan fait des économies à tous les étages. Elle a déjà réduit de 31 % le recours à la main-d'oeuvre saisonnière pour la récolte 2013 par rapport à celle de l'an passé. L'installation d'une chaîne de thermovinification sur le site de Romagne (900 000 euros d'investissement) ainsi que la réfection de cuves en béton (150 000 euros) devront attendre. Et la coopérative se félicite d'avoir lancé dès janvier 2012 un plan de réduction des coûts articulé autour des achats de matières sèches et de produits oenologiques, des contrats EDF et des assurances. Dès 2014, il va permettre d'économiser 200 000 euros par an.
Tout à l'est de l'Entre-deux-Mers, aux Lèves-et-Thoumeyragues, la coopérative Univitis (200 adhérents, 2 000 ha) a perdu 30 % de récolte. Elle aussi table sur le VCI dont ses adhérents ont pu accumuler jusqu'à 11 hl/ha entre 2010 et 2012. De même, elle compte sur les stocks de vieux millésimes pour alimenter les clients. « Nous allons tirer notre épingle du jeu parce qu'en coopérative, nous avons la force de la mutualisation, ajoute Pascal Nerbesson, président d'Univitis. Les acomptes versés à nos adhérents ne sont pas en dents de scie. Nous pouvons lisser les écarts de marché. » Et de rappeler qu'il s'est installé en 2000 « au plus mauvais moment », ce qui ne l'a pas empêché de doubler son exploitation, passant de 20 à 42 ha.
Les adhérents d'Univitis victimes de la grêle et assurés contre ce fléau vont bénéficier de l'assurance grêle négociée collectivement par leur coopérative il y a cinq ans. Un coût par coopérateur de 80 €/ha avec 10 % de franchise pour un capital assuré de 3 000 €/ha (ou 45 €/ha avec 30 % de franchise). Mais les autres, ceux qui ont subi la coulure, ne pourront compter que sur la hausse des cours pour compenser leur faible récolte.
Assurer les coups durs. Pour qu'ils soient mieux protégés à l'avenir, Univitis négocie « une extension de notre contrat à une assurance multirisques récolte qui couvrirait aussi la coulure et le millerandage. Nous pensons obtenir des tarifs intéressants car nous sommes sur un territoire large. Les problèmes ne sont pas concentrés sur une seule commune », indique Pascal Nerbesson.
L'assurance récolte ? C'est bien le noeud gordien. Poussées par l'interprofession, des compagnies ont été priées de plancher sur des contrats attractifs proposant une couverture « la moins chère possible pour assurer un gros coup dur, un sinistre qui arrive deux ou trois fois dans une carrière, mais qui peut ruiner une propriété », selon Bernard Farges, le président de l'interprofession.
Quatre assureurs vont proposer de nouveaux contrats multirisques récolte incluant les pertes par coulure et par millerandage. Le seuil de pertes à partir duquel il sera possible de demander l'indemnisation est de 30 % de la récolte. Le capital couvert sera de 5000, 7 000 ou 12 000 €/ha. Les seuils de franchises iront de 15 à 40 %. Les primes démarreront entre 80 et 120 €/ha. Toutes les organisations professionnelles poussent les viticulteurs à prendre de telles assurances.
Reste qu'au coeur de la zone la plus touchée par la grêle du 2 août, des exploitations sont dans des situations dramatiques. Loïc de Roquefeuil, à la tête du château de Castelneau (30 ha, AOC Entre-deux-Mers), a perdu 100 % de sa récolte. Il milite pour une solidarité qui pourrait s'exercer dans la commercialisation. « Des viticulteurs qui marchent bien pourraient parrainer des propriétés qui souffrent, en commercialisant les vins de ceux qui sont en difficulté », explique-t-il. Un viticulteur négociant de Saint-Émilion serait prêt à inclure dans sa gamme les 25 000 bouteilles du millésime blanc 2012 du château de Castelneau.
Accompagnement économique. Loïc de Roquefeuil entend aussi jouer un rôle dans l'association crée le 11 décembre dernier, baptisée SOS vignerons sinistrés, dont il est le vice-président. L'association qui réunit une cinquantaine de viticulteurs touchés par les orages de grêle de cet été réclame les mêmes aides pour les viticulteurs non assurés que pour les assurés, ainsi qu'une exonération des charges sociales et de CVO. « On est arrivé à un tel stade de souffrance que l'on ne peut pas aller plus bas », lâche Florence Cardoso, la présidente de SOS vignerons sinistrés. « Nous devons prendre notre destin en main », martèle Loïc de Roquefeuil.
La chambre d'agriculture de Gironde propose aux exploitations sinistrées un accompagnement technique et économique. Elle organise des réunions sur la taille des vignes grêlées. Elle propose des audits approfondis, mais payants, pour évaluer la pérennité des entreprises à cinq ans.
4 MILLIONS D'HL
C'est le volume de la récolte 2013 à Bordeaux selon les dernières estimations. Cette vendange devrait être la plus faible depuis 1991. Elle est inférieure de 1,5 million d'hl à la moyenne des vingt dernières années. Ce déficit s'explique principalement par la coulure du merlot au printemps dernier.
Un contrat interprofessionnel triennal
Pour tenter de stabiliser les marchés, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) a adopté en assemblée générale le 16 décembre dernier un contrat interprofessionnel triennal. « C'est à mettre dans notre boîte à outils pour améliorer les relations commerciales entre viticulteurs et négociants », indique Bernard Farges, le président du CIVB. Les deux parties au contrat fixent un prix et un volume par appellation pour la première année. Ils fixent aussi pour les deux années suivantes la fourchette dans laquelle le volume pourra évoluer et les seuils de révision du prix à la hausse ou à la baisse, seuils indexés sur les cours enregistrés par l'interprofession.
Le Point de vue de
Jérémy Ducourt, responsable technique des Vignobles Ducourt, à Ladaux (Gironde). 400 ha en AOC Bordeaux, Bordeaux supérieur, Entre-deux-Mers, Montagne Saint-Émilion, Saint-Émilion et Côtes de Castillon
« Nous allons faire le dos rond »
« On s'arrache les cheveux. Nous devons faire face à une récolte 2013 qui n'affiche que 15 000 hl, contre 25 000 hl habituellement. Nous ne pouvons pas répercuter ces 35 % de manque de récolte sur les prix. Nous allons faire le dos rond et lisser nos pertes sur trois ans. Très vite, nous avons fait nos comptes. Nous avons calculé les coûts de production en tenant compte de la faible récolte pour avoir une vision claire de la situation. Résultat : pour un bordeaux, le surcoût s'élève entre 500 et 600 euros du tonneau (56 à 67 €/hl) par rapport à la moyenne des millésimes précédents. Nous allons réduire nos dépenses. En moyenne, nous investissons 200 000 euros par an dans nos propriétés. Un chiffre qu'il faudra diviser par deux. L'achat d'une seconde machine à vendanger attendra. La participation au nouveau salon Vinipro, qui se tiendra Bordeaux en mars prochain, n'est plus d'actualité. Nous allons aussi puiser dans nos réserves. Nous avons un stock d'un millésime et demi de bordeaux et de deux ans et demi pour les autres appellations. Nous avons aussi 1 000 hl en volumes complémentaires individuels que nous allons utiliser. Enfin, nous allons tenter de revaloriser nos prix de vente. Nous vendons 3 millions de bouteilles directement par notre société de négoce et aussi par le négoce de la place de Bordeaux. Le vrac ne représente que 15 % de nos ventes. Si nous arrivons à 3 % d'augmentation sur nos bouteilles, ce sera déjà pas mal. »
Le Point de vue de
Nicolas Carreau, Vignobles Carreau, à Cars (Gironde). 52 ha en AOC Blaye Côtes de Bordeaux
« Nos stocks vont atténuer l'effet de la petite récolte »
« Nous pouvons nous estimer heureux. Nous n'avons perdu que 20 % de récolte. Nous ne sommes pas les plus mal lotis. Habituellement, nous produisons autour de 55 hl/ha. Cette année, nous devons nous contenter de 39 hl/ha. Nous vendons 50 % de notre production en vrac et 50 % en bouteille. L'année 2014 ne sera pas facile, mais nous allons lisser cette perte de récolte dans le temps, car nos débouchés sont diversifiés et parce que notre commercialisation est étalée sur plusieurs millésimes. En ce moment, nous écoulons le millésime 2011 en Chine. Aux États-Unis, c'est le 2010 qui est vendu. Et pour le vrac, c'est le millésime 2012. Nous avons deux ans de stock sur lesquels nous pouvons compter pour atténuer l'effet de la petite récolte. Financièrement, ce n'est pas facile à porter. Nous avons constitué ce stock au détriment d'investissements en matériels. Notre projet de nous doter de la thermorégulation est toujours en suspens. Cette année, il faut à nouveau serrer la vis et faire des économies. Par exemple, pour la taille, plutôt que de prendre deux ouvriers, nous n'en prendrons qu'un seul. Côté mise en marché, nous déclinons les propositions de nouveaux clients qui frappent à la porte. Nous préférons satisfaire nos clients habituels. »