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DOSSIER - Tour des vignobles : gagnants et perdants d'une récolte compliquée

VALLÉE DU RHÔNE La chasse au gaspillage est ouverte

CHANTAL SARRAZIN - La vigne - n°260 - janvier 2014 - page 46

Avec une récolte en chute libre de 15 à 20 %, le cours du vrac du Côtes du Rhône, l'appellation phare, flambe. Les négociants freinent des quatre fers. La production veut préserver son chiffre d'affaires. Les coopératives compriment leurs dépenses.

La vallée du Rhône se prépare à alimenter parcimonieusement ses marchés. La récolte 2013 y est annoncée comme la plus petite depuis dix ans. Elle est de 10 à 15 % inférieure à celle de 2012, elle-même déjà chiche, avec 2,9 millions d'hectolitres seulement (- 7 % par rapport à 2011). Le grenache, principal cépage du vignoble, a subi une coulure importante à cause des températures fraîches du printemps dernier. Cet accident a occasionné des pertes de rendement de 10 à 30 % suivant les exploitations. Ces pertes s'ajoutent à celles occasionnées par le gel de février 2012.

« La situation varie suivant les appellations », nuance Brice Eymard, responsable du service économique d'Inter-Rhône. Les costières de Nîmes annoncent une récolte normale, autour de 177 000 à 180 000 hl. L'AOC Luberon pense aussi avoir maintenu son potentiel (150 000 hl). L'AOC Ventoux, en revanche, plonge aux environs de 225 000 hl, soit 10 % de moins que l'an passé.

Le côtes-du-rhône régional, la moitié de l'offre rhodanienne, a encore plus souffert. Il accuse un déficit de 15 à 20 %. La récolte dans cette appellation avoisinerait 1,2 à 1,25 million d'hl. « C'est 200 000 hl de moins qu'en 2012 et 400 000 hl de moins qu'en 2011 », constate Philippe Pellaton, le président de l'ODG. La récolte 2013 se situe en dessous du volume commercialisé par l'appellation en 2012 : 1,5 million d'hl. Les stocks vont à nouveau baisser alors qu'ils étaient déjà au plus bas avec 950 000 hl au 31 juillet 2013, soit sept à sept mois et demi de commercialisation seulement, de quoi tenir jusque début mars.

« Nous puiserons dans cette réserve pour servir nos acheteurs, rassure Philippe Pellaton. Cette année, il nous faut retarder la commercialisation du millésime 2013. L'année prochaine, il faudra faire la jonction avec le millésime 2014 le plus rapidement possible. »

Alourdissement des charges. Dans ce contexte tendu, le prix de l'appellation régionale s'envole. Le côtes-du-rhône rouge s'est échangé à 126 €/hl en novembre dernier, contre 115 €/hl de moyenne en 2012. Le ventoux suit la tendance : 109 €/hl contre 93 €/hl. Les costières de Nîmes et les luberons sont plus mesurés, avec 5 €/hl d'augmentation.

Les négociants tirent la sonnette d'alarme. « En trois ans, le côtes-du-rhône régional s'est raffermi de 30 à 40 %. Il nous est impossible de répercuter cette hausse à nos clients », argumente Étienne Maffre, directeur général adjoint de la maison Gabriel Meffre. L'entreprise a réduit ses marges en 2011 et 2012 pour maintenir ses parts de marché à l'export, qui représente 80 % de ses ventes. « Nous ne pourrons pas appliquer cette politique indéfiniment, prévient-il. Nos clients risquent de se tourner vers l'Italie, l'Espagne, l'Argentine ou le Chili, où l'offre est abordable et abondante. »

Gabriel Meffre envisage d'aller s'approvisionner davantage en Languedoc pour ses marques transversales comme « la Châsse, qui signe une gamme de côtes-du-rhône et de vins de cépage IPG Pays d'Oc. »

À la production, c'est un autre discours. « La hausse des prix est nécessaire pour compenser la conséquence de la baisse de récolte sur nos trésoreries », confie un producteur de côtes-du-rhône. Cette conséquence est double. « Notre outil est surdimensionné pour vinifier de petites quantités, explique Denis Guthmuller, le président de la coopérative Cécilia, à Sainte-Cécile-les-Vignes (Vaucluse). Cette année, nous avons récolté 29 000 hl, c'est 25 % de moins que l'an dernier. De fait, nos coûts fixes augmentent. Nos adhérents subissent une double peine, celle de la petite récolte et celle de l'alourdissement des charges. »

En 2012, le cours moyen du côtes-du-rhône rouge s'est élevé à 115 €/hl. Les frais moyens retenus par les coopératives à leurs adhérents ont atteint 20 €/hl selon une étude du CER France de Tulette (Drôme). Dès lors, leur rémunération a été de 95 €/hl. En 2013, les caves risquent de devoir augmenter la retenue à leurs coopérateurs, car leurs frais de structure n'ont pas diminué autant que la récolte. De fait, en dépit de la hausse du cours du vrac, il n'est pas sûr que les vignerons voient leur rémunération augmenter.

Économies d'échelle. Pour préserver le revenu de ses adhérents, Cécilia a lancé un plan de baisse des charges en 2012. Il se poursuit. D'ores et déjà, la coopérative a réalisé des économies de main-d'oeuvre. Elle a optimisé le temps de travail du personnel permanent pour limiter le recours aux saisonniers durant les vinifications. Elle a aussi diminué les horaires d'ouverture du caveau, en se basant sur une étude de la fréquentation.

« Nous avons également supprimé de nos gammes bouteilles les produits les moins rentables, les vins de France et les IGP », indique le président. Enfin, Cécilia est en discussion avec sa voisine, Les Vignerons réunis de Sainte-Cécile-les-Vignes, en vue d'un rapprochement. À elles deux, elles pèsent un peu plus de 100 000 hl. De quoi réaliser des économies d'échelle. D'ici février, elles prendront une décision.

En attendant, Cécilia tente d'approvisionner au mieux ses clients. La cave commercialise les deux tiers de sa production en vrac, dont un tiers auprès de Cellier des dauphins. « Nous vendons le reste de notre vrac à des négoces haut de gamme, souligne Denis Guthmuller. Nous privilégions ces partenaires de longue date. Nous ne répondons plus aux demandes sur le marché spot, nos volumes sont insuffisants. »

La conjoncture a d'autres conséquences sur les coopératives. « Nos structures perdent de l'attrait. On ne peut pas faire progresser la rémunération de nos coopérateurs aussi vite que les cours du vrac », estime Pascal Duconget, le directeur des Vignerons de caractère, à Vacqueyras, dont le rapprochement avec Balma Vénitia, à Beaumes-de-Venise (Vaucluse), annoncé l'an passé, a échoué. En cinq ans, la coopérative a perdu une petite poignée d'adhérents. D'autres caves sont confrontées à des départs. Le temps presse pour celles qui se restructurent.

79,32 €/HL

C'est le coût de production du côtes-du-rhône rouge 2012 pour un coopérateur, sa rémunération de producteur incluse, selon le CER France de Tulette (Drôme). En 2011, où les rendements étaient supérieurs, ce coût n'était que de 70,78 €/hl. « Preuve que le rendement influe sur le prix de revient », indique Christian Palleiro, conseiller en charge de l'étude.

Le Point de vue de

Philippe Sauzade, directeur de la cave de Canteperdrix, à Mazan (Vaucluse), 150 adhérents pour 800 ha

« Nous ne fournirons aucun nouveau client »

Philippe Sauzade © M. GASARIAN

Philippe Sauzade © M. GASARIAN

« La petite récolte de 2012, d'un côté, et la demande soutenue pour nos produits, de l'autre, ont épuisé nos réserves. Si bien que nous avions vidé nos stocks de ventoux en vrac avant les vendanges. La récolte de 2013 ne règle pas la situation, car elle est à nouveau déficitaire. Nous avons enregistré 23 000 hl au lieu de 30 000 hl en moyenne. Nous vendons 60 % de nos vins en vrac au négoce. Très vite, nos clients ont cherché à se couvrir. Nous avons attendu de connaître avec précision nos disponibilités avant de procéder à des allocations. Cette année, nous ne fournirons aucun nouveau client. Le prix moyen du ventoux en vrac a déjà progressé de 15 % par rapport à la campagne précédente, pour se situer entre 110 et 120 €/hl en novembre. Le négoce s'est positionné dans ces fourchettes pour être sûr de détenir du produit. La suite nous inquiète. On ne sait pas comment le consommateur va réagir. Autre conséquence de la perte de récolte : nos frais de structure rapportés à l'hectolitre produit sont en hausse de 17 % environ. De fait, nos adhérents ne perçoivent qu'une partie de l'augmentation du cours des vins en vrac. Leur rémunération a toutefois progressé depuis ces deux ou trois dernières années. Nous faisons aussi des économies. En 2006, nous avons créé Vins attitude en partenariat avec la coopérative Terres d'Avignon. Nous avons fusionné nos services commerciaux, de gestion et d'embouteillage. Grâce à cette quasi-fusion, nous avons comprimé nos coûts respectifs. Aujourd'hui, nous nous en félicitons. »

Le Point de vue de

Sonia Leorat et Vasco Perdigao, du domaine Chamfort, 21 ha à Sablet (Vaucluse)

« La prospection de nouveaux marchés est inenvisageable »

Sonia Leorat et Vasco Perdigao © C. SARRAZIN

Sonia Leorat et Vasco Perdigao © C. SARRAZIN

« Nous avons repris le domaine en 2010. Il comporte 21 ha, dont dix en Vacqueyras, cinq en Sablet villages, quatre en Rasteau et deux en IGP. Nous venons de perdre plus d'un tiers de notre récolte, qui se situe d'habitude entre 700 et 800 hl par an. Nous produisons 80 000 cols, dont nous vendons la moitié à l'export, 20 % aux particuliers, autant aux grossistes et 10 % au CHR. Dès notre arrivée, nous avons retravaillé le profil des vins et revu les habillages. Depuis, la vente en bouteilles progresse de 10 % par an. La part du vrac, située entre 30 et 40 %, a chuté à 10 %. Cela étant, depuis deux ans, nous n'avons plus suffisamment de volumes pour alimenter ce marché. C'est dommage, car il apporte une trésorerie permettant de faire face aux premiers frais de la saison. En ce moment, nous commençons à vendre le millésime 2012. Nous allons l'écouler rapidement, car les quantités sont peu élevées. La récolte était déjà petite. Les stocks descendront très vite. La transition avec le millésime 2013 s'annonce ardue. Nous allons devoir l'embouteiller plus tôt, sans quoi nous manquerons des ventes. Le nouveau recul de notre production en 2013 va freiner notre croissance. Nous le percevrons dans un an. En attendant, la prospection et le développement de nouveaux marchés sont quasiment inenvisageables. La rentabilité de notre exploitation devient périlleuse. D'autant qu'en 2013, nous avons doublé le nombre de traitements dans les vignes. Nous allons donc augmenter de 10 % le prix de vente de nos bouteilles aux particuliers, la gamme s'échelonnant de 4 à 12 euros actuellement. La hausse sera moindre pour les professionnels, 3 à 5 %. Au-delà, les clients risquent de nous abandonner. »

Cet article fait partie du dossier Tour des vignobles : gagnants et perdants d'une récolte compliquée

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