Le 26 novembre dernier, le Conseil interprofessionnel des vins de la région de Bergerac (CIVRB) a posé le problème. Dans un communiqué, il annonçait pour 2014 et 2015 une baisse globale du chiffre d'affaires de la filière de 20 %, soit une perte évaluée à 10 millions d'euros. En cause : la très faible récolte de 2013 (375 000 hl, contre plus de 500 000 hl en moyenne) et le très bas niveau de stock à la propriété (477 000 hl au 31 juillet 2013). Du coup, les disponibilités pour la campagne 2013-2014 sont en retrait de 17 % sur l'ensemble des appellations de la région par rapport à une année moyenne.
Pour parer à l'urgence, une cellule de soutien aux exploitations les plus durement touchées par la faible récolte s'est mise en place à la demande de la production et du négoce. L'administration propose des mesures pour aider les viticulteurs à passer le cap : exonération de taxe sur le foncier non bâti, reports d'annuités, emprunts bonifiés, échelonnements des taxes MSA, reconduction au sein du CIVRB d'une salariée qui suit les dossiers de restructuration des vignobles et renforcement de la protection antigrêle avec une couverture élargie des canons antigrêle (quinze sont déjà installés, huit de plus vont être déployés).
En attendant, les prix du vrac flambent. « J'observe une hausse de 30 % par rapport à l'an dernier, indique le courtier Sébastien Philippot, à Saussignac (Dordogne). De 850 euros le tonneau (94 €/hl), le bergerac rouge est passé à 1 100 euros (122 €/hl). Et ça risque encore de grimper. On ne va pas tenir dans cette euphorie. Sur le terrain, c'est tendu. Il faut calmer les ardeurs de certains viticulteurs qui tablent sur des cours à 1 300 euros (144 €/hl). »
Un GIE pour prospecter la Chine. De son côté, Joël Lajonie (170 ha en AOC Bergerac et Monbazillac) prédit des pertes de marchés du fait du manque de volume. « Et ces marchés perdus seront difficiles à rattraper »,s'inquiète-t-il. À la tête des Vignobles Lajonie, à Monbazillac (Dordogne), il produit notamment 4 000 hl de vins rouges. Il devra faire avec 50 % de récolte en moins sur cette couleur. « Nous allons nous recentrer sur nos clients pérennes qui travaillent avec nous depuis des années. Et laisser tomber les clients occasionnels », lâche-t-il.
Daniel Hecquet, du château Puy Servain (47 ha, AOC Bergerac et Pécharmant), ne dit pas autre chose. « Nous avons récolté 1 500 hl, contre 2 500 hl en moyenne. Nous allons utiliser cette récolte et nos stocks pour approvisionner les clients fidèles avec lesquels nous traitons à des prix rémunérateurs », confie-t-il. Récemment, il a décliné une proposition de marché en Chine, à savoir l'envoi d'un conteneur (13 800 bouteilles en Bergerac rouge et blanc) à 2 euros la bouteille.
Par ailleurs, il prône le jeu collectif. Il y a cinq ans, il a créé avec trois autres viticulteurs en Médoc, Graves et Blaye et Bourg un GIE baptisé Châteaux en Chine. Les quatre partenaires écoulent dix conteneurs par an vers ce pays. Comme les ventes reculent sur ce marché, le GIE va s'ouvrir à d'autres pays. En février prochain, les quatre compères participeront au salon Prodexpo, qui se tient à Moscou (Russie).
Lutte contre la grêle. Jouer collectif, c'est aussi le credo du Groupement des vignerons Dordogne Périgord (GVDP), qui réunit trente viticulteurs en conventionnel et dix-huit en bio. Particularité de cette coopérative : ses adhérents lui livrent leurs vins et non leurs raisins. Elle a pour mission de valoriser au mieux leurs apports, constitués de 10 000 hl de vins conventionnels et de 2 500 hl de vins bios. Le commercial du GVDP a pris des contacts au salon d'Amsterdam (Pays-Bas) les 24 et 26 novembre dernier. Des acheteurs de Mark et Spencer sont venus à Bergerac. Et le groupement vient de lancer une marque baptisée Marquis de Bérac pour écouler les vins bios en bouteilles, notamment à l'export.
« Nous menons une opération collective sous une seule marque. Cela ne s'était jamais fait. Nous nous engageons à vendre le tonneau de bergerac rouge bio à 1 600 euros. Il n'est pas question d'aller en dessous », soutien Alain Queyral, le président du groupement.
À la Fédération des vins de Bergerac (FVB), on rappelle que la petite récolte est due à la coulure et, dans une moindre mesure, à la grêle. Pour mieux lutter contre ce dernier fléau, la fédération s'associe avec le syndicat des côtes de Duras, en Lot-et-Garonne. Six postes Adelfa (Association départementale d'étude et de lutte contre les fléaux atmosphériques) supplémentaires de lutte contre la grêle vont être déployés sur la zone de Lamothe-Montravel et de Duras. Dès le printemps prochain, ils viendront s'ajouter aux dix-sept postes qui sont déjà répartis sur le vignoble bergeracois.
La fédération veut aussi faire en sorte que ses membres soient mieux armés contre les mauvaises récoltes. Elle s'est associée au Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux pour qu'une assurance récolte basique mais attractive soit proposée aux viticulteurs. En 2013, seulement 12 % du vignoble bergeracois était assuré.
Restructuration du vignoble. Avec ses collègues des côtes du Rhône, la FVB pousse à une adoption définitive du volume complémentaire individuel dès l'an prochain. « Nous demandons que l'expérimentation qui est en cours pour les rouges et qui doit se terminer à la récolte 2014 soit validée cet hiver pour être applicable lors de la prochaine récolte », explique Pierre-Henri Cougnaud, directeur de la FVB.
D'autres chantiers au long cours sont déjà lancés : celui de la restructuration du vignoble, avec la question de la densité des vignes, et un passage de 3000 à 4000 pieds/ha. « Les viticulteurs qui ont fait ce choix tiendront davantage le choc car les rendements seront plus constants », pronostique-t-il.
- 20 %
C'est la baisse du chiffre d'affaires global de la filière viticole bergeracoise pour les deux prochaines années en raison de la faible récolte 2013, selon l'interprofession (CIVRB). Soit 10 millions d'euros.
Le Point de vue de
Thierry et Jean-Marc Piazzetta, domaine de Brandeaux, à Thénac (Dordogne), 27 ha AOC Bergerac et Côte de Duras
« Pendant deux ans, il va falloir serrer la vis »
« Habituellement, notre récolte tourne autour de 1 600 hl. Cette année, nous devons nous contenter de 1 000 hl. Pendant deux ans, il va falloir serrer la vis. Nous ne pouvons pas faire autrement. Nous écoulons 50 % de notre récolte en bouteilles, les 50 % restant partent en vrac auprès de plusieurs négociants. Pour affronter les deux années difficiles qui s'annoncent, nous avons décidé de reporter certains investissements. Nous avions décidé d'acheter 500 hl de cuveries en 2014. C'est remis à plus tard. Idem pour le remplacement d'une voiture et d'un fourgon qui servent pour les livraisons et la prospection. Nous allons garder nos véhicules. Nous ferons des réparations si nécessaire. Dès que nous avons compris que la récolte ne serait pas généreuse cette année, nous avons décidé de nous délester moins vite de nos vins. Ainsi, nous avons attendu pour vendre le vrac 2012. Nous venons juste de vendre 250 hl à un prix du tonneau 50 % plus cher que le prix affiché l'an dernier. Pour nos 250 hl de vrac blanc moelleux du millésime 2013, nous adoptons la même stratégie. Nous attendons que les prix grimpent un peu plus pour faire une plus-value. Toutefois, nous aurons tout vendu d'ici quelques semaines. Nous allons aussi piocher dans les réserves que nous avons faites au fil des ans pour passer le cap. Et pour mieux valoriser notre production, Thierry, qui est en charge de la commercialisation, va mettre les bouchées doubles auprès de la clientèle particulière pour tenter de conquérir de nouveaux marchés. »