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DOSSIER - Tour des vignobles : gagnants et perdants d'une récolte compliquée

TOURAINE Ne pas tuer les marchés

MATHILDE HULOT - La vigne - n°260 - janvier 2014 - page 58

Après une récolte 2012 réduite de moitié en moyenne, la Touraine a subi un nouveau coup dur en 2013. La situation économique est très tendue. Malgré cela, les cours ne devraient pas flamber, car la région n'est pas spéculative.

En 2012, la Touraine a enregistré une récolte de 30 % inférieure à une année normale. Rebelote en 2013, avec une baisse de 15 %, soit 530 000 hl. Comme il n'y avait que quatre mois de stocks en septembre, toutes les AOC de Touraine ont réclamé de pouvoir vendre leurs vins à la consommation dès le 1er décembre afin de répondre à la demande.

« Les producteurs puisent dans leurs stocks, explique Jean-Pierre Gouvazé, le délégué d'InterLoire pour la Touraine. Des segments de marché se développent et nous ne pouvons pas y répondre. » Le touraine sauvignon, par exemple, progresse à l'export. Le manque d'offre va clairement freiner son essor.

Allocations et précommandes sont nécessaires. « Mais notre région n'est pas spéculative. De ce fait, les cours ne flambent pas. C'est une force, mais aussi une faiblesse. Car nous aurions bien besoin d'augmenter nos marges », assure Jean-Pierre Gouvazé.

Un mauvais cap à passer. « En 2012-2013, les cours du touraine sauvignon ont atteint 147 €/hl (+ 19 % par rapport à 2011-2012, NDLR), indique Alain Godeau, président de l'ODG Touraine. C'était le prix souhaité par la viticulture et le négoce aussi. Car celui-ci commercialise 60 % de l'appellation. Il a tout intérêt à voir des vignerons s'installer. Cette année, les prix vont continuer à progresser. C'est nécessaire, mais dans la limite du raisonnable pour ne pas tuer les marchés. »

Vouvray est l'appellation de Touraine qui a le plus souffert en 2013. 1 500 de ses 2 000 ha ont été touchés par l'orage de grêle du 17 juin. Près de 600 ha ont été atteints à plus de 80 %. Sur les 150 vignerons de l'appellation, seuls 40 % étaient assurés. « Pour les vignerons fragiles et démotivés, cette grêle est de trop, se désole Jean-Michel Pieaux, président du syndicat. Mais les autres souhaitent s'en sortir. Nous faisons tout pour les aider. »

À la demande du syndicat, les vignerons ont été autorisés à acheter des raisins et des vins par arrêté préfectoral. Il a également alerté les banques pour qu'elles facilitent l'étalement des dettes, qu'elles octroient des prêts de trésorerie, etc. « Ce n'est qu'un cap à passer. Les difficultés sont conjoncturelles et non structurelles », a plaidé le président, qui assure avoir un retour positif de la part des banques.

Côté prix, Jean-Michel Pieaux pronostique que l'augmentation sera au maximum de 20 %. « Quand il n'y a rien à vendre, il n'y a rien à vendre », résume-t-il. L'appellation veut alimenter ses marchés pour ne pas fragiliser l'avenir. Et ne pas faire l'erreur de 1991, où les prix avaient doublé.

Montlouis est également en difficulté, car en 2012, l'appellation avait subi un gel de printemps qui avait réduit de 59 % sa récolte, à 7 000 hl. François Chidaine, président de l'appellation et vigneron à Vouvray, où il a grêlé sur la totalité de ses 10 ha dans cette appellation, estime avoir perdu 110 % d'une récolte normale au cours des deux dernières années.

Rester compétitifs. « Nous cherchons des solutions pour préserver nos clients, confie-t-il. Nous n'attendons rien de l'État. J'incite les vignerons à créer des structures de négoce pour acheter des appellations génériques, constituer d'autres gammes et entretenir le réseau commercial. Quant à nos importateurs, ils nous soutiennent. Ils achètent moins, mais ils reviendront vers nous. J'ai confiance. »

Chinon aussi a été touché par la grêle du 17 juin, notamment à Cravant-les-Côteaux (Indre-et-Loire). Après une récolte 2012 particulièrement réduite (- 30 %, soit 82 000 hl), la récolte 2013 est mince, avec des rendements de 35 à 38 hl/ha, car la floraison s'est mal déroulée en juin.

« Nous allons sûrement manquer de marchandise, regrette Jean-Max Manceau, président du syndicat et de la Fédération des associations viticoles d'Indre-et-Loire. Chaque exploitation va devoir s'adapter, préserver ses clients actuels et être moins offensive sur les nouveaux marchés. »

En temps normal, 45 % des volumes sont vendus au négoce. C'est là où les difficultés vont poindre, car les viticulteurs vont privilégier leurs ventes directes. Les cours montent. « 10 à 15 % de hausse, c'est mérité. Les prix ne flamberont pas. Il ne faut pas déséquilibrer les marchés. Les consommateurs auront du chinon à un tarif raisonnable. Nous resterons compétitifs. »

« Nous refusons des ventes ». À la différence de ces crus d'Indre-et-Loire, les appellations Cheverny et Cour-Cheverny, dans le Loir-et-Cher, ont réalisé une belle récolte en volume. « Un gel de printemps, sur la vallée du Beuvron et les bords de Loire, a traumatisé tout le monde, mais la vigne est bien repartie, soutient Daniel Tévenot, président de l'appellation. Cette belle récolte nous soulage, car en 2012, nous avions subi un gel catastrophique après lequel un vigneron a mis la clé sous la porte. D'autres sont toujours dans une situation inquiétante. Heureusement, nous avions du stock. Grâce à cela, nos marchés sont restés globalement équilibrés. Nous avons du mal à vendre au-delà de 25 000 hl par an. »

Dans la Sarthe, enfin, Jasnières et Coteaux du Loir ont à nouveau rempli leurs chais après avoir dû se contenter d'une demi-récolte en 2012. « En 2013, nous avons chaptalisé plus qu'en 2012, car l'année était tardive, précise Sandrine Pairel, animatrice du syndicat. Mais avec des millésimes réduits comme 2012, nous refusons des ventes. Notre développement est freiné. » Pour ces appellations de niche, dont les viticulteurs vendent directement 75 % de la production à des prix élevés, 2014 s'annonce bien.

11 %

C'est la hausse en valeur à l'export des touraines blancs sur les dix premiers mois de l'année 2013 par rapport à la même période en 2012. Le montant est passé de 8 926 000 à 9 951 000 euros. La hausse en volume n'est que de 1 %. Les vins sont donc mieux valorisés. L'export représentait 32 % des ventes des touraines blancs en volume en 2012-2013.

Le Point de vue de

Pascal et Alain Lorieux, 20 ha à Chinon et Saint-Nicolas-de-Bourgueil (Indre-et-Loire)

« Nous sommes sereins car nous avons des stocks »

Pascal et Alain Lorieux © C. WATIER

Pascal et Alain Lorieux © C. WATIER

« Nous avons 12 ha à Saint-Nicolas-de-Bourgueil et 8 ha à Chinon. Dans une année normale, nous récoltons entre 45 et 50 hl/ha. En 2013, nous n'avons produit que 30 hl/ha, comme en 2012. Cela nous a surpris, car il y avait du raisin dans les vignes. Mais les grappes étaient petites et nous avons énormément trié lors de la récolte pour éliminer la pourriture grise. Il ne faudrait pas que cette situation se répète. Malgré cela, avec le millésime 2013, nous avons encore deux ans de réserve. Le 2012 n'est pas encore sorti. Nous sommes sereins. Nous avons toujours eu une politique de stock. Nous embouteillons toute notre récolte, soit entre 100 000 et 120 000 bouteilles, qui partent essentiellement en restauration entre 5 et 6,50 euros HT pour les deux appellations. Nous exportons 30 % de nos chinons. Nous n'avons jamais voulu vendre à n'importe quel prix. Nous ne travaillons pas avec le négoce. Nous n'avons jamais voulu déstocker, comme nous le préconisait notre comptable. C'est à cause du gel de 1991. À l'époque, nous n'avions récolté que 40 hl de vin au lieu de 900 à 1 000 hl en temps normal. Nous ne nous en sommes remis qu'en 1998. Ça a été une sacrée leçon. Alors nous nous sommes jurés : plus jamais ça ! »

Cet article fait partie du dossier Tour des vignobles : gagnants et perdants d'une récolte compliquée

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