CLAUDE BARREAU, du château Haut-Garriga, à Grézillac (Gironde), n'est pas confiant pour la récolte 2014. Dans certaines de ses vignes, un bourgeon sur deux est condamné. PHOTOS A. ARNAUD
À Saint-Magne-de-Castillon (Gironde), Christian et Yannick Sabaté sont propriétaires du château Fontbaude. Leur domaine, conduit en bio depuis 1985, s'étend sur 19 ha de vignes donnant la part belle au merlot (60 %). Le 2 août dernier, il s'est retrouvé dans le terrible couloir de grêle qui a frappé cette partie de la Gironde.
Sur les parcelles les plus touchées, les impacts de grêlons sont visibles sur toute la longueur de la baguette. On observe des nécroses pouvant atteindre 50 % de la surface des plaies de taille. Christian Sabaté reste toutefois confiant, car « les bois ne sont pas totalement morts. La sève circulera quand même ».
Bien qu'incertain, il garde le moral. « On va tailler comme on peut et on verra bien ! Cette année, je ne choisis pas la baguette la plus belle, mais celle qui est la moins touchée, à partir du moment où elle n'est pas trop éloignée du coeur de la souche. Sur un cep très abîmé, je garde la plus grosse baguette afin de favoriser la circulation de sève. Mais pour certains pieds, le choix est vraiment compliqué », constate-t-il. Il taille également un peu plus long pour se garantir des sorties, au cas où certains bourgeons ne débourreraient pas.
Lors de deux réunions organisées par la chambre d'agriculture, des techniciens lui ont conseillé de transformer ses guyots en cordons de royat, car la base des sarments est moins abîmée que leur sommet. Un conseil qu'il n'a suivi que sur une zone d'un hectare. « C'est une taille que je ne maîtrise pas et qui prend du temps », explique-t-il. Mais sur cet hectare, les bois étant vraiment trop abîmés, Christian Sabaté a joué la sécurité. « J'ai laissé une charge de dix yeux par pieds, soit cinq coursons à deux yeux sur la baguette de deux ans », détaille-t-il.
Lors d'une campagne normale, Christian Sabaté taille jusqu'à 300 souches à l'heure. Cette année, c'est 200 maximum. « Mais je prendrai quand même le temps de former mes stagiaires. Je souhaite qu'ils soient là cette année aussi : au moins, ils apprendront à travailler dans des conditions difficiles. »
Comme beaucoup, le château Fontcaude n'était pas assuré contre la grêle. « Le stock de 2012 était notre assurance. Il est mangé », dit-il avec un sourire et un brin d'inquiétude. En 2013, le rendement moyen a été de 4 hl/haet les rumeurs annonçant une faible fécondité en 2014 vont bon train. Christian Sabathé, encouragé par sa nature optimiste et joviale, espère : « Si c'est une année à raisins, ils sortiront. »
À Grézillac (Gironde), au château Haut-Garriga, l'ambiance est très morose. Claude Barreau, le propriétaire, sort d'un rendez-vous avec son comptable pour « parler de l'avenir ». Ici, l'orage s'est abattu avec encore plus de férocité. Sur beaucoup de sarments, un bourgeon sur deux est condamné. Sur les 70 ha de la propriété, seulement quatorze n'ont pas été touchés par la grêle.
Claude Barreau rallonge les baguettes pour essayer de compenser la perte de bourgeons. Mais sur au moins 10 % de la propriété, il devra tout rabattre à deux yeux car au-delà, le bois est totalement mort. « Là-bas, tout doit être taillé à coursons, déplore-t-il, le moral en berne. Je préférerais garder au moins une aste, mais c'est vraiment impossible. Il y a trop de dégâts et les bois n'ont même pas aoûté. Nous laissons douze à quatorze yeux par souche dans le meilleur des cas, soit trois à quatre coursons taillés à deux yeux sur chacune des deux baguettes. Normalement, sur notre guyot double, la charge est de dix-huit yeux. »
Philippe, son frère, taille avec les ouvriers afin de les conseiller, mais cela demande beaucoup de temps. « C'est très dur de devoir fournir autant voire plus de travail qu'une année normale en sachant que nous n'aurons pas plus qu'une demi-récolte en 2014. »
Ici, le rendement n'a pas dépassé les 5 hl/ha sur les vignes touchées et les 14 ha épargnés par la grêle ont connu un fort millerandage. Claude Barreau a dû acheter de la vendange en blanc (convention de mise à disposition) et vinifier ses rouges en rosé afin de « sauver des marchés en bouteilles et en bibs ». Bien qu'il dispose d'un stock de 2 000 hl du millésime 2012, il reste pessimiste pour la prochaine récole. « Les anciens disent qu'après un coup pareil, la vigne s'en sort et produit beaucoup l'année qui suit. Mais moi, je n'y crois pas », confie-t-il. Souhaitons-lui le contraire. D'ailleurs, ne dit-on pas que vieillesse rime avec sagesse ?
Les conseils de l'URABLT
Carine Delacroix, conseillère à l'URABLT (Union régionale agricole de Branne-Libourne-Targon, une structure décentralisée de la chambre d'agriculture de Gironde), n'avait encore jamais vu un orage de grêle aussi violent que celui qui s'est abattu sur sa région en août dernier. « Nous avons beaucoup de questions vis-à-vis du type de taille à conseiller, mais aucune réponse certaine », confie-t-elle. Malgré cela, l'URABLT propose des conseils afin d'augmenter les chances de sorties, tout en préservant la pérennité des ceps.
- Sur les souches très touchées, avec des sarments nécrosés à 50 %, il faut convertir la taille longue en cordon à trois yeux francs. « Nous favorisons la charpente plutôt que l'étalement de la végétation. Il ne faut pas hésiter à garder les coursons situés sous la baguette, car ils ont été plus protégés », ajoute la conseillère.
- Sur les ceps peu touchés, la taille en guyot peut être gardée, « quitte à monter le pied pour garder la baguette la moins touchées et à conserver un courson bien placé pour reprendre la souche l'année prochaine », suggère Carine Delacroix.
- Lorsque les bois sont totalement impactés, l'URABLT conseille une taille rase, ne laissant que le bourillon en office de tire-sève. Bien que ce choix soit radical, il s'agit du dernier recours pour espérer un débourrement.
- Sur les vignes jeunes, la meilleure solution serait de rabattre le pied à deux yeux pour repartir sur une base saine. Mais ce choix semble économiquement difficile à proposer aux vignerons.
- Enfin, Carine Delacroix recommande de tailler le plus tard possible, après le risque de gel, pour garder les baguettes qui y ont résisté.
Un essai pour apporter des réponses
Afin d'avoir des réponses concrètes à apporter lorsqu'un épisode aussi violent se représentera, l'URABLT (Union régionale agricole de Branne-Libourne-Targon) compare quatre systèmes de taille sur une vigne de merlot plantée en 2003 très touchées par la grêle.
- La taille classique, soit un guyot double avec deux coursons de rappel.
- La taille en cordon de royat avec des coursons à trois yeux francs.
- La prétaille courte à environ 20 cm au-dessus du fil porteur.
- Une option radicale consistant à ne conserver que le bourillon sur quelques coursons.
Les modalités de travaux en vert seront décidées en fonction des sorties et du comportement des souches expérimentées. Il ne reste plus qu'à attendre les résultats.