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Magazine - Histoire

Lieux : les vignobles de Limoux et de Champagne Controverse sur l'origine des effervescents

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°261 - février 2014 - page 75

Quel est le plus vieil effervescent du monde ? Limoux, affirme l'ODG de ce cru sur la base d'un document authentique datant de 1544. Pas si simple, rétorquent des historiens mandatés par la Champagne.
Ce document datant de 1544 mentionne une livraison de « quatre pinctes Blanquette » et de « deux flascons Blanquette ». © ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE L'AUDE

Ce document datant de 1544 mentionne une livraison de « quatre pinctes Blanquette » et de « deux flascons Blanquette ». © ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE L'AUDE

« Limoux est à l'origine du premier vin effervescent du monde », annonce l'ODG des appellations de Limoux en première page de son site web. Une affirmation qui s'appuie sur un document authentique, datant de 1544, précieusement conservé par les archives départementales de l'Aude. Ce manuscrit est en quelque sorte un livre des comptes du clavaire - le comptable - de Limoux. Il mentionne la livraison faite au Sieur d'Arques de « quatre pinctes Blanquette » et de « deux flascons Blanquette ».

« Dès la Renaissance, la gamme des vins produits à Limoux semble déjà dominée par la célèbre blanquette, qui se distingue nettement du reste de la production. Même si ses origines historiques sont floues et si la découverte [de l'effervescence] fut sans doute due au hasard (...), son existence est attestée dès le XVIe siècle. C'est le seul cru dont l'existence continue est certifiée jusqu'à aujourd'hui sous sa dénomination actuelle », confirme Claude-Marie Robion, chargé d'études documentaires aux archives départementales de l'Aude, dans une note sur l'histoire des vins de Limoux.

Si le document atteste bien de l'existence de la blanquette de Limoux dès 1544, rien n'indique qu'il s'agissait bien d'un vin effervescent. « Certains indices le laissent supposer, comme son prix, supérieur aux autres vins, ou son conditionnement en [bouteilles], alors que le contenant de l'époque est le fût, précise l'historien. Mais nous n'avons aucun document authentifié de l'époque attestant du caractère mousseux de la blanquette. Et aucun document n'indique non plus que la blanquette n'était pas un vin effervescent. »

Les Champenois ont évidemment une autre version de l'histoire. Ils affirment qu'ils sont les premiers à avoir maîtrisé l'élaboration des vins mousseux. « Il existe des références à des vins effervescents bien plus anciennes que celles mises en avant par l'ODG de la blanquette de Limoux. L'effervescence étant due à une refermentation en bouteille, à l'origine non maîtrisée, ce phénomène est apparu dès les débuts de la civilisation du vin », assure Brigitte Batonnet, documentaliste au CIVC.

L'interprofession champenoise (CIVC) a d'ailleurs demandé à Benoît Musset, docteur en histoire et maître de conférences à l'Université du Mans (Sarthe), d'effectuer une recherche sur le sujet.

« Le plus ancien document connu est un papyrus égyptien qui date du 23 octobre 522 après Jésus-Christ. Énumérant les cas d'annulation d'une vente de vin, il citait la reprise de la fermentation au printemps, s'accompagnant d'un pétillement qui était alors considéré comme un défaut », indique ce spécialiste dans une note rédigée pour le CIVC.

Cet expert relève que durant le Moyen Âge, il est souvent question de vins pétillants dans les textes, sans que l'effervescence soit associée à un vin en particulier. Elle n'est ni régulière, ni comprise, ni provoquée. En 1571, un médecin français rapporte qu'on la rencontre en Champagne (Reims), en Bourgogne et en Provence.

« La thèse selon laquelle les vins mousseux auraient été "inventés" à Limoux dans les années 1530 ne tient guère. Si la blanquette de Limoux est bien mentionnée dans un document datant de 1544, le terme de blanquette renvoie au cépage et nullement à un vin pétillant. Jusqu'au début du XIXe siècle, le vin de Limoux n'est jamais signalé parmi les vins mousseux dans les traités de viticulture ou même dans les récits de voyage », soutient Benoît Musset.

Ce n'est que dans les années 1670-1690 que naissent les champagnes mousseux. Leur caractère pétillant est recherché, même si la prise de mousse est encore mal maîtrisée.

La première référence historique au champagne effervescent date de 1711. Elle apparaît dans une pièce de théâtre, « Jupiter curieux impertinent », joué à la foire Saint-Germain le 3 février 1711. « Procureurs, quand vous avalez ce grand vin de Champagne, (...) un vin qui mousse », chante un des personnages.

« Vers 1710, moins de 10 000 bouteilles étaient vendues chaque année », précise l'historien. Ce n'est qu'à la fin du XVIIIe siècle que d'autres vignobles comme Die, Saint-Péray, Limoux ou l'Ardèche s'emparent de ces techniques pour élaborer des mousseux, comme le retrace Cyrus Redding dans son ouvrage « A history and description of modern wines », paru en 1833.

« Nous pouvons affirmer, à la lueur de documents avérés, que le champagne est le premier vin mousseux produit dans un territoire déterminé et de manière régulière par des producteurs locaux », conclut l'expert.

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