CAVE DU DOMAINE BELLAVISTA. Le cahier des charges du franciacorta est plus exigeant que celui du champagne. Il impose notamment dix-huit mois minimum de vieillissement en bouteilles, contre quinze pour les bulles champenoises. PHOTOS P. BOURGAULT
VENDANGES DANS LES VIGNES À AL ROCOL. Le vignoble de la région compte 2 800 ha, dont plus de 80 % de chardonnay, une « valeur sûre », selon Mario Falcetti, du domaine Quadra.
AU DOMAINE CA' DEL BOSCO, un dispositif inédit permet de soulever les cuves pour éviter tout pompage via un ascenseur géant.
MARIO FALCETTI, DU DOMAINE QUADRA, produit le seul franciacorta sans chardonnay. Il est composé pour moitié de pinot noir et de pinot blanc, que le viticulteur apprécie pour sa finesse et son élégance.
Bien faire et bien le faire savoir, telle pourrait être la devise des vignerons de la Franciacorta, en Lombardie, au nord de l'Italie. Lancé en 1961 par Guido Berlucchi sur le modèle du champagne, leur vin est devenu une icône du luxe italien.
Il se vend entre 10 et 80 euros la bouteille. Mais il s'exporte peu. Sur les 14 millions produites, un peu plus d'un million part à l'étranger : au Japon, en Allemagne et en Suisse. « Le seul marché vraiment prêt à payer le prix, c'est le nord et le centre de l'Italie », tranche Mario Falcetti, du domaine Quadra, qui produit 150 000 cols par an à Cologne.
De même que le champagne vient de la Champagne, le franciacorta est une appellation d'origine contrôlée et garantie (DOCG) de la Franciacorta. Située au sud des Alpes et du lac d'Iseo, cette région d'alluvions morainiques fut autrefois affranchie de taxes, d'où son nom. Les ventes sont passées de 6 millions de cols en 2005 à presque 14 millions en 2012. Mais par prudence, le consortium bloque les plantations nouvelles pour les trois prochaines années.
Ici, 105 domaines cultivent 2 800 ha : 82 % de chardonnay, 14 % de pinot noir et 4 % de pinot blanc. « Il y a soixante ans, nous n'avions que du cépage rouge local en pergola, rappelle Gianluigi Vimercati, du domaine Al Rocol (70 000 cols). Le pinot noir régresse car il est sensible aux maladies et mûrit trop tôt. »
À l'inverse, le chardonnay est « une valeur sûre, indique Mario Falcetti. Il donne de bons résultats n'importe où. Mais je préfère le pinot blanc, avec moins d'acidité et d'alcool, plus de finesse et d'élégance ». Mario Falcetti a travaillé dans le Trentin Haut-Adige, où les meilleurs blancs viennent de ce cépage. Sa cuvée EretiQ est « le premier et seul franciacorta sans chardonnay : mi-pinot noir, mi-pinot blanc ! » soutient-il.
Action écologique
Les grandes maisons exploitent des parcelles sur toute la zone qu'elles vinifient séparément et assemblent ensuite. Ainsi, Bellavista, une propriété de 200 ha située à Erbusco, prépare 170 vins de base.
Chaque domaine souligne son action écologique. Villa Crespia (300 000 cols) installe d'imposants panneaux solaires sur les vignes. « Sur le toit, c'est interdit. Sur la vigne, ils réduisent l'ensoleillement mais la protègent de la grêle. Nous faisons une expérience », annonce Michela Muratori, la fille du propriétaire, un industriel du textile reconverti dans le franciacorta.
Autre essai agronomique : « Sur 38 ha, nous avons inoculé des champignons symbiotiques à nos vignes afin de mieux connecter les racines au sol. En revanche, les méthodes bios ne sont pas assez puissantes. On ne pourrait pas les utiliser chaque année en raison de la pression de mildiou et d'oïdium. »
Comme tout bon élève, la Franciacorta cherche à dépasser son maître. Toute visite de chai le rappelle : son cahier des charges est plus exigeant que celui du champagne. Il impose dix-huit mois de vieillissement en bouteilles au minimum avant commercialisation, contre quinze en Champagne. Le rendement est limité à 100 q/ha, contre 155 q/ha au maximum dans les vignes champenoises.
La plupart des producteurs vinifient seulement le « mosto fiore » (premier jus de pressage) et cèdent le reste au négoce. Les plantations sont denses : 10 000 à 12 000 pieds/ha. Le raisin se vend de 1 à 1,50 €/kg. L'hectare de vigne vaut de 250 000 à 400 000 euros.
Les moyens financiers mis en oeuvre sont imposants. Villa Crespia a creusé la colline sur une vingtaine de mètres pour bénéficier de la fraîcheur naturelle du sol et limiter la climatisation. Autre solution, chez Ca' del Bosco (1,2 million de cols), à Erbusco, des ascenseurs géants soulèvent les cuves pour éviter tout pompage.
Ce dernier domaine lave les grappes à l'eau et à l'acide tartrique et les sèche avant de presser. « Un véritable hydromassage », selon Alessandro Beruschi, directeur des relations publiques de la propriété. Lors du tirage, une canule descend dans la bouteille vide et remonte au fur et à mesure qu'elle se remplit, afin de ne pas brusquer le vin. Le dégorgement a lieu sous azote. « Nous sommes les seuls au monde à faire cela, affirme Alessandro Beruschi. Et pour le bouchage, un système détecte le sens du bouchon et oriente la partie la plus lisse vers le bas. Nous collons sur chaque bouteille un code unique que le client peut flasher. »
Le remuage fait débat, un tiers ne jure que par le pupitre manuel. Les deux autres adoptent la gyropalette, « plus rapide et plus fiable que l'humain, qu'il vaut mieux faire travailler à la vigne. Passer sa vie en cave, c'est de l'esclavage ! » souligne Mario Falcetti.
notourisme
En 1996, la famille Vimercati a construit une piscine et quinze appartements pour les touristes. Mamma Daniela leur enseigne la cuisine. Ses enfants, Francesca et Gianluigi, leur apprennent la vinification et l'oenologie. Cette journée se conclut par un dîner et coûte 80 euros par personne. « Les gens sont étonnés d'apprendre qu'il faut tout ce temps et ce travail par bouteille, assure Gianluigi Vimercati. Nous avons connu tous nos clients grâce à l'agritourisme. Ils viennent surtout d'Europe du Nord. »
L'agritourisme toujours, mais à grande échelle : Ca' del Bosco possède sa piste d'hélicoptère pour VIP et, chaque année, plus de 12 000 personnes visitent le chai (de 10 à 60 euros l'entrée et la dégustation, selon la formule). « La meilleure façon d'expliquer les différences avec le prosecco, c'est la visite », souligne Alessandro Beruschi. Ca' del Bosco a également réalisé un livre en noir et blanc à sa gloire illustré par onze photographes de renommée internationale, dont Helmut Newton.
De son côté, Bellavista a inscrit ses vignobles parmi les « grands jardins italiens ». Des oeuvres d'art contemporain trônent dans les espaces de réception. Monte Rossa n'est pas en reste. Cette propriété de 70 ha (500 000 cols par an) hisse le drapeau des touristes en guise de bienvenue. Elle propose des visites de ses vignes en voiturette de golf. La maison crée des bouteilles au luxueux packaging. Les étiquettes sont en relief, voire en métal repoussé. Elles évoquent les voitures de sport (cuvée Coupé) et le raffinement de la haute couture italienne. Bref, la dolce vita.
Le vrai concurrent du franciacorta n'est pas le champagne, mais plutôt le prosecco à 5 euros, moins cher et plus célèbre avec ses 100 millions de bouteilles. Mais le franciacorta poursuit son ascension, tel le grand luxe italien. Médaille d'or aux Effervescents du monde 2011, Emanuele Rabotti est confiant : « Les gens qui aiment les bulles s'intéressent au prosecco, puis au franciacorta. »