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VENDRE - Observatoire des marchés

L'envol du prosecco

MATHILDE HULOT - La vigne - n°280 - novembre 2015 - page 82

Les ventes de cet effervescent italien s'envolent à travers le monde. Au Royaume-Uni, son premier marché, il dépasse le champagne en volume et en valeur. Même en France, il perce, tiré par le spritz, le cocktail qui fait fureur.

« Le spritz, je l'accompagne d'amis et de rire ! », indique un internaute sur la Toile. Jusque-là, ce cocktail orange se voyait surtout aux terrasses des cafés de Venise, dont il est originaire (il date de 1815). Deux siècles plus tard, c'est devenu la boisson branchée des bars parisiens. Un bar à spritz, le Spritzer, vient même d'ouvrir dans le Ier arrondissement de la capitale.

Composé de trois doses de prosecco, de deux doses d'Aperol ou de Campari et d'une dose d'eau gazeuse, cet assemblage doux-amer booste les ventes de ce vin effervescent produit dans le nord de l'Italie. Car l'affaire est juteuse. En France, ce cocktail est proposé autour de 8 €. Or, un barman fait six spritz à partir d'une bouteille de prosecco qu'il achète 4 à 5 € HT, auquel il faut ajouter l'Aperol qui lui coûte 9 € HT.

Plus 50 % en cinq mois

L'an dernier, les Italiens ont exporté 5 millions de cols de prosecco vers la France. Un chiffre qui sera vraisemblablement vite dépassé. En effet, durant les cinq premiers mois de 2015, ces exportations ont progressé de 50 %, tellement le spritz tire les ventes.

Mais notre pays n'est que la septième destination du mousseux vénitien. En première position, le Royaume-Uni a absorbé 65 millions de cols en 2014. Un marché tout aussi dynamique. En effet, les expéditions y ont également progressé de 50 % durant les cinq premiers mois de 2015. Le vin de Vénétie y fait des ravages lors des fêtes, notamment les mariages où il est choisi plus volontiers qu'une méthode traditionnelle, plus coûteuse. Dans les magasins Tesco, les prix varient de 6,49 £ à 14,99 £ (8,80 € à 20 €), sachant qu'une bouteille sur deux est vendue avec de fortes promotions (jusqu'à 50 % de remise).

Ces prix attirent le chaland. Résultat : selon les chiffres de la société d'études Iri, à mi-juillet 2015, les ventes en volume dans les grandes surfaces et chez les cavistes (circuit off-trade) ont bondi de 79 % en un an pour atteindre 50 millions de bouteilles, à 6,77 £ en moyenne. Dans le même temps, les ventes de champagne sont restées stables, à 13 millions de bouteilles, vendues 19,23 £ en moyenne. En valeur, le prosecco a généré 338,6 millions de livres (+72 %), dépassant largement les 250 millions de livres pour le champagne (+1,2 %). Cette nouvelle, annoncée au coeur de l'été, a fait le tour de tous les médias.

Succès mondial

En tout, 306 millions de bouteilles de prosecco DOC se sont vendues en 2014 à travers le monde, ainsi que plus 79 millions de bouteilles DOCG, le niveau supérieur.

Inévitablement, cet effervescent est comparé au champagne, référence mondiale. Mais le prosecco ne suit pas les mêmes contraintes de production. Sa force réside dans son élaboration express et peu coûteuse. Le rendement autorisé est de 18 t/ha. La récolte est mécanique. Les vins font leur deuxième fermentation en cuve close (méthode Charmat ou Martinotti). Cette fermentation dure entre 24 jours et plusieurs mois. Ensuite, les mises en bouteilles ont lieu pratiquement en continu, en fonction de la demande. On est loin de la méthode champenoise. « Qu'importe, le consommateur n'y voit que du feu, estime David Gautier, directeur de Siagi, une société qui fournit en produits italiens les cavistes, épiceries fines, restaurants et bars français pour un chiffre d'affaires annuel de 6 M€. Il préfère ce vin bon marché à un champagne premier prix, qui sera toujours plus cher qu'un prosecco. »

2015, année pléthorique

Si la faible vendange 2014 avait stressé les producteurs (jusqu'à 50 % de perte dans certains coins), le millésime 2015 s'annonce pléthorique. La prévision de récolte est de 3 millions d'hectolitres pour le prosecco DOC, de quoi produire 400 millions de cols. De plus, le Consorzio di Prosecco a décidé de constituer 500 000 hl de réserve, une mesure exceptionnelle. « Cette réserve correspond à 3,6 tonnes par hectare, au-delà du rendement autorisé, explique Stefano Zanette, président du Consorzio, mais, comme la récolte est très belle cette année, nous pouvons les utiliser pour le prosecco. »

Pousser la vigne ne semble pas suffire aux appétits des Italiens. Le Consorzio se tâte pour agrandir l'aire de production, déjà élargie en 2009 à neuf régions du nord de l'Italie. « Ce sujet est sérieusement à l'étude », poursuit Stefano Zanette.

Pour David Gautier, le prosecco doit veiller à ne pas trop augmenter ses prix. « L'Italie produit des bulles du Piémont jusqu'au bout de la Sicile. À part le lambrusco, hors jeu par son image peu convaincante et le francia corta, qui joue la carte du haut de gamme, d'autres mousseux pourraient à leur tour prendre la place confortable du prosecco s'il devenait trop cher. » En effet, rien n'empêche un producteur de spumante quel qu'il soit de convaincre le tenancier d'un bar à vin de mettre autre chose que du prosecco dans son spritz. La limite psychologique du prix, elle, se joue autour de 10 à 12 €. C'est la zone des champagnes premier prix.

« Ce vin était injustement méconnu »

« Le prosecco marche bien depuis quelques années, comme le vin italien en général. Il était injustement méconnu jusqu'ici. Aujourd'hui, il se rattrape », estime David Gautier, directeur de Siagi, une société qui importe des produits italiens en France. Son entreprise en a vendu 40 000 bouteilles l'année dernière contre 10 000 il y a cinq ans.

Chez Rothschild France Distribution (RFD), qui distribue l'Aperol en France, les ventes sont aussi en hausse. « Cette année, elles devraient atteindre 750 000 l soit plus de 15 millions d'Aperol spritz consommés », lance Stéphane Cronier, directeur du pôle spiritueux.

Même sans Aperol, le mousseux italien tient sa place sur les zincs parisiens. Il se vend 6,90 € le verre de 12 cl à l'Inaro, bar à vin du Xe arrondissement de Paris. Son goût léger et fruité, son style facile et moderne séduisent les amateurs de fêtes et de bulles sans chichis. En grande surface, les ventes ont été multipliées par 2,6 par rapport à l'an passé, selon Iri, pour atteindre 9,7 M€ au cours des douze derniers mois. 1,5 million de bouteilles se sont écoulées, soit une multiplication par 2,8. Le prix moyen de la bouteille est de 6,40 euros.

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