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La difficulté d'être employeur

AUDE LUTUN - La vigne - n°263 - avril 2014 - page 74

La charge administrative et les risques juridiques liés au fait d'engager des salariés inquiètent et découragent les viticulteurs. Une partie d'entre eux se tourne vers les prestataires de service.

Faites-vous réviser votre matériel de levage tous les six mois ? Vos installations électriques tous les ans ? Réactualisez-vous et améliorez-vous votre document unique d'exploitation chaque année ? Non ? Alors vous ne respectez pas les obligations de l'employeur.

« Il est important de réfléchir à la sécurité et à la pénibilité au travail, admet Claude Cochonneau, vice-président de la commission emploi à la FNSEA. Mais tout est dans le dosage... » Et pour la FNSEA, l'équilibre entre ce qu'il est normal d'attendre d'un patron et ce qu'exige l'administration est rompu.

Le syndicat est particulièrement remonté contre l'interdiction, décrétée à la fin de l'année dernière, de faire travailler en hauteur les moins de 18 ans (sauf pour la cueillette). Cette mesure illustre à ses yeux les excès de précautions des législateurs. « En arboriculture, si un apprenti ne peut pas travailler en hauteur, comment va-t-on faire ? » s'interroge Claude Cochonneau.

Ces règlements difficiles à appliquer mettent les exploitants dans une situation d'insécurité juridique. Car leurs responsabilités civile et pénale sont engagées en cas d'accident (voir encadré). « Cela met une chape de plomb sur les agriculteurs, poursuit Claude Cochonneau. En France, le chef d'entreprise est toujours suspect. C'est très désagréable. Les contrôles ne sont pas plus durs qu'avant, mais dans un contexte plus tendu économiquement, cette suspicion est moins bien vécue. »

Comment en est-on arrivé à cette surenchère de sécurité ? Dans une société qui a érigé le principe de précaution dans sa constitution, l'accident survenu au travail n'est plus toléré. Chaque incident médiatisé génère une nouvelle réglementation. S'il est évident que l'employeur doit faire en sorte que ses salariés travaillent sans danger, toutes les formalités exigées par l'administration sont-elles justifiées ?

« Non, répond en off un cadre de la MSA. Sur les risques importants, il faut être intransigeant : présence d'arc de protection sur les tracteurs, port d'un pantalon de sécurité quand on coupe du bois, etc. Mais le niveau d'exigence actuel n'a pas de sens et est contre-productif. La loi est applicable dans une entreprise du secteur tertiaire, très peu exposée aux accidents, mais pas dans une exploitation. »

En réponse à la complexité administrative et juridique d'avoir des salariés, les viticulteurs font de plus en plus appel à la prestation de services. « Mon salarié part à la retraite et j'ai choisi de ne pas le remplacer, témoigne un viticulteur de la Marne. Cela fait vingt-huit ans qu'il travaille avec moi. Il n'a jamais eu le moindre petit accident du travail. Je suis fatigué des papiers à remplir et, surtout, je redoute la visite de l'inspection du travail. Car dans un domaine viticole, il y a toujours des failles. J'ai peur du risque pénal. Je vais faire appel à un prestataire. Cela sera certainement un peu plus coûteux, mais quel souci en moins ! »

Comme toutes les organisations professionnelles, le Syndicat général des vignerons de Champagne (SGV) observe un changement notable dans le rapport à l'emploi. « Nous sommes à un tournant dans l'organisation de notre métier et cette tendance s'accélère, constate Christophe Pernet, président de la délégation des employeurs du SGV. Les vignerons ont peur d'embaucher. Alors ils se tournent de plus en plus vers un prestataire et revoient parfois à la baisse leurs exigences sur la qualité des taches réalisées dans les vignes. Je ne suis pas certain que les conditions de travail soient meilleures chez les prestataires que chez nous. Au final, la situation des salariés ne s'améliore pas... »

À noter toutefois que le recours à une entreprise extérieure n'exonère pas le viticulteur de toutes ses responsabilités. Il faut donc rester vigilant dans le choix de son prestataire.

Une responsabilité importante

En cas d'accident ou de décès, la responsabilité de l'employeur peut être engagée. Elle l'est d'ailleurs très souvent, car il est difficile d'être parfaitement en règle sur tous les points réglementaires. En cas d'accident du travail, la responsabilité civile de l'employeur permet d'indemniser financièrement la victime. En cas de faute inexcusable, le salarié, ou ses ayants droit, obtient une réparation complémentaire à la charge de l'entreprise. La responsabilité pénale du chef d'exploitation est engagée quand il y a un manquement à la loi. C'est alors l'exploitant, et non son entreprise, qui est visé, ainsi que son patrimoine privé. Une sanction pénale peut comprendre une amende et/ou une peine de prison.

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