Retour

imprimer l'article Imprimer

VIGNE

Pulvérisation La prestation de services en plein boum

MARTIN CAILLON - La vigne - n°265 - juin 2014 - page 40

Pour éviter une coûteuse mise aux normes ou faute de personnel, de plus en plus de domaines confient leur protection phytosanitaire à des prestataires. Bien équipés, ces derniers offrent un service sur mesure.
DIMITRI BERTRAND, DE L'ETA VIE-TECH. Les prestataires de services utilisent des matériels modernes et coûteux : ici, un appareil de type face par face sur porteur Grégoire et le pulvérisateur Dagnaud à panneaux récupérateurs (à droite).  © L. WANGERMEZ

DIMITRI BERTRAND, DE L'ETA VIE-TECH. Les prestataires de services utilisent des matériels modernes et coûteux : ici, un appareil de type face par face sur porteur Grégoire et le pulvérisateur Dagnaud à panneaux récupérateurs (à droite). © L. WANGERMEZ

« D'ici peu, au moins 20 % des surfaces en vigne seront traitées par des prestataires de services. » Il y a cinq ans seulement, ce pronostic de Jean-François Bertrand, gérant de l'ETA Vie-Tech à Chevanceaux (Charente-Maritime), aurait paru peu plausible. Faire sous-traiter la pulvérisation n'était pas dans l'air du temps. Aujourd'hui encore, beaucoup d'exploitants restent réticents. « Un traitement est efficace s'il est réalisé au bon moment », rappelle un vigneron, qui préfère encore traiter ses vignes en temps et en heure avec son vieil appareil plutôt que de recourir à un tiers. « Les adhérents de nos Cuma ont chacun leur pulvérisateur. Ce matériel est le dernier qu'ils achètent en commun », remarque dans le même sens Emmanuel Colin, de la FRCuma du Languedoc-Roussillon.

Pourtant, de plus en plus de domaines font appel à un prestataire de services pour traiter. « Notre activité de pulvérisation a explosé, indique Guy Boué, prestataire à Gondrin (Gers). Nous traitions 150 ha il y a trois ans. Cette année, ce sera 420 ha. »

La tendance est la même dans le Bordelais. « Notre progression en pulvérisation est exponentielle, confie Benjamin Banton, chez Banton Lauret, principal prestataire de la région, installé dans le Saint-Émilionnais. L'entreprise possède 18 appareils et traite cette année 450 ha de vignes contre une centaine il y a cinq ans. »

Ses deux voisines, la Société de travaux viticoles saint-émilionnais (STVE) et Aquitaine Viti Services (AVS), enregistrent une hausse tout aussi spectaculaire. La première, qui pulvérisait 30 ha en 2008 avec un appareil, en possède maintenant cinq qui protègent 200 ha de vignes. De son côté, avec six pulvérisateurs traitant plus de 250 ha cette année, AVS a doublé son parc et son volume d'activité en un an.

Pourquoi un tel engouement ? « Beaucoup de petits domaines disposent de vieux matériels qu'ils ne veulent pas renouveler », explique Julie Martineau, technicienne vignoble chez AVS. En Champagne, le phénomène est amplifié par la présence de nombreux doubles actifs. « Ils n'ont pas forcément le temps ni les moyens d'investir dans du matériel », témoigne Xavier Auguste, gérant de la SARL Les Vignobles, à Courmas (Marne). La société, qui traite 55 ha en prestation pour 25 clients, enregistre elle aussi une progression « soutenue » de la demande. « Je refuse des clients tous les ans. »

Investissements et innovation

Même les grands domaines font appel aux prestataires. « Lorsqu'ils acquièrent des vignes trop éloignées du siège de leur exploitation, ils nous en confient la conduite », souligne Benjamin Banton.

Le recours à la prestation pour la pulvérisation s'explique aussi par une réglementation toujours plus lourde et dissuasive. Il faut entretenir un matériel de plus en plus coûteux, s'équiper pour le stockage des produits et le lavage des machines, traiter les effluents et obtenir le certiphyto pour tous les chauffeurs et décideurs. « Seules les grandes exploitations en sont capables. Les petites n'en ont ni l'envie ni les moyens », estime Jean-François Bertrand.

Soutenus par une activité croissante, les prestataires supportent mieux ces investissements. Ils renouvellent fréquemment leurs pulvérisateurs. Les plus grands embauchent des personnels qualifiés chargés du suivi des chantiers. Certains innovent.

AVS expérimente cette année une aire de remplissage mobile. Un caisson de type polybenne embarque des cuves d'eau (2 000 l), une potence, un lavabo, les EPI et un extincteur. Couvert et étanche, ce caisson permet au chauffeur de remplir le pulvérisateur en toute sécurité sur la parcelle. Un second chauffeur le déplace au gré des chantiers à l'aide d'un camion, réduisant ainsi les temps de trajet. De son côté, Vie-Tech prévoit d'équiper ses cinq tracteurs de GPS et d'un logiciel permettant de tracer les travaux en temps réel.

Les prix dépendent de la prestation demandée par le client. Le plus souvent, ce dernier fournit le produit et décide de la date du traitement, le prestataire se contentant d'appliquer. Certains viticulteurs, en revanche, optent pour une prestation intégrée ou clé en main. Dans ce cas, le prestataire entre en relation directe avec le distributeur qui lui fournit les produits et détermine le programme de traitement. Puis, il applique les produits et assure la traçabilité.

Des tarifs variables

Les investissements consentis par les prestataires devraient entraîner une hausse des tarifs à l'hectare. Selon Christopher Aubry, qui pulvérise 45 ha en prestation pour 70 clients, à Villedommange (Marne), les entreprises agréées dans la région ont augmenté leur prix de 5 à 10 %.

Les tarifs restent très variables selon les vignobles. De 30 €/ha (gasoil en sus) par passage dans les vignes larges du Gers, ils atteignent 70 à 80 €/ha dans les vignes étroites du Bordelais ou de Champagne. Dans cette dernière région, les prix peuvent grimper jusqu'à 180 €/ha selon les zones et le matériel utilisé. Autre explication de cet écart de prix : nombre de prestataires n'ont sans doute pas encore engagé leur démarche pour obtenir l'agrément... et ne supportent donc pas les mêmes coûts. « Obtenir l'agrément prend beaucoup de temps. J'ai suivi une journée de formation, passé trois jours à préparer mon dossier, plus une demi-journée d'audit », énumère Christopher Aubry, qui investira 15 000 euros, l'hiver prochain, dans une aire de lavage et de traitement des effluents pour adapter son entreprise aux normes en vigueur.

Tous ne feront pas cet investissement. Constatant le coût de la mise aux normes induit par l'audit, puis échaudée par la plainte d'un client après un traitement, la société Travaux gersois viticoles n'a pas souhaité renouveler son agrément. Elle préfère développer son activité de plantation. Comme elle, beaucoup de petits prestataires pourraient mettre un terme à leur activité de pulvérisation. De plus en plus, les traitements seront affaire de spécialistes.

Un agrément pour la prestation phytos

Depuis le 1er octobre 2013, les entreprises appliquant des produits phytosanitaires en prestation de services sont soumises à un agrément qui comprend : la souscription d'une assurance en responsabilité civile professionnelle, l'obtention du certificat individuel Certiphyto pour l'ensemble du personnel concerné et la certification de l'entreprise, délivré après un audit.

Cet agrément concerne tous les prestataires : l'ETA traitant 400 ha avec quinze appareils, comme le viticulteur pulvérisant vingt ares chez son voisin. Un amendement, adopté par le Sénat dans le cadre de l'examen du projet de loi d'avenir pour l'agriculture, prévoit une dérogation à l'obligation de certification pour les petits prestataires. En deçà d'un seuil qui reste à définir, le prestataire serait dispensé d'agrément. L'adoption de la loi est attendue, au mieux, fin juillet et son décret d'application après la campagne de traitement. La prestation de services est une activité commerciale. Une société civile (Gaec, EARL, SCEA) qui pratiquait la prestation doit changer de statut ou créer une société commerciale (SARL, SAS ou SA). Un exploitant individuel peut faire de la prestation sans créer une nouvelle structure, mais il doit enregistrer cette activité auprès du CFE de la chambre de commerce dont il dépend. La pulvérisation dans le cadre de l'entraide est strictement encadrée. Elle implique un réel échange de services et doit être formalisée par un contrat.

XAVIER SOURBES, RESPONSABLE VIGNE ET CHAI AU DOMAINE DE REY, À GONDRIN (GERS) « Pour traiter, il nous faudrait un second salarié »

« En arrivant au domaine de Rey, lors de son rachat en 2008, mon avis était plutôt mitigé sur le fait que le propriétaire confie les traitements à une entreprise extérieure. Ce choix lui évitait, certes, d'investir dans un pulvérisateur et un tracteur puissant. Mais je craignais que le prestataire ne puisse pas toujours traiter à temps. La SARL Guy Boué, à Gondrin, qui réalise les traitements, m'a vite rassuré. Elle est proche de l'exploitation. De ce fait, elle est très réactive. Je l'avise quatre ou cinq jours avant la date du traitement. Elle n'arrive pas à l'heure H, mais toujours le jour J ! Quand il a fallu intervenir en urgence après les pluies de l'an passé, elle a toujours répondu présente. L'entreprise, qui dispose de matériel performant, traite les 28 ha en deux fois, à raison de 14 ha par semaine et 3 heures par traitement. Déléguer la pulvérisation me libère aussi du temps pour soutirer au chai, préparer des commandes ou gérer les tâches administratives, car je suis le seul salarié permanent. Pour traiter nous-mêmes, il nous faudrait un second employé. »

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :