Retour

imprimer l'article Imprimer

VIN

Le levurage à la récolte Nouvelle pratique à l'essai

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°266 - juillet 2014 - page 46

Pour sécuriser la fermentation alcoolique, le domaine de la Jasse, dans l'Hérault, a expérimenté le levurage sur la machine à vendanger. Une pratique simple à mettre en oeuvre et qui conduit à une réduction de la dose d'emploi de levures.
UN LEVAIN EST RÉPANDU DANS LA TÊTE DE RÉCOLTE dès l'étape de la machine à vendanger pour un ensemencement précoce. © DOMAINE DE LA JASSE

UN LEVAIN EST RÉPANDU DANS LA TÊTE DE RÉCOLTE dès l'étape de la machine à vendanger pour un ensemencement précoce. © DOMAINE DE LA JASSE

Au domaine de la Jasse, à Combaillaux, dans l'Hérault, Damien Michel, oenologue et maître de chai, n'a jamais rencontré de problème de fermentation alcoolique. Pourtant, lors des vendanges 2013, il a testé une nouvelle pratique : le levurage à la récolte, en dispersant du levain dans la tête de récolte de la machine à vendanger.

« Chaque année, nous avions des problèmes pour démarrer les malos sur les merlots. En 2012, nous avons donc expérimenté l'ensemencement des moûts en bactéries lactiques. À cette occasion, nous avons étudié de près le milieu microbien des raisins au vignoble, sur moût et en fermentation. Et nous avons pris peur. Les analyses ont révélé un vrai "bazar microbien". On a trouvé de tout : des levures Saccharomyces, mais également des non-Saccharomyces, notamment des Brett, en quantité deux fois plus importante que la normale. C'est un vrai miracle d'avoir vinifié toutes ces années sans accident de parcours », confie-t-il.

Depuis près de dix ans, suivant les préconisations de l'oenologue consultant Jean-François Vrinat, ce domaine de 60 ha planté en rouge vinifie tous ses vins sans SO2 jusqu'à la fin de la fermentation malolactique. « Nousavions pris cette option, notamment, pour ne pas favoriser les Brettanomyces qui résistent à des doses de SO2 bien plus importantes que les levures bénéfiques », argumente le maître de chai.

Ensemencement précoce. Le levurage était jusqu'ici réalisé à la cuve. Il était précoce, dès la première benne rentrée, à 5 g/hl, dose calculée pour l'ensemble de la cuve. Malgré cela, comme l'ont montré les analyses microbiologiques, la flore indésirable réussissait à s'installer.

La lecture de l'ouvrage d'Arnaud Immélé, « Les Grands vins sans sulfite », a été un autre élément déclencheur pour tenter le levurage à la récolte. Cet oenologue alsacien y préconise un ensemencement le plus précoce possible pour que la souche choisie prenne le dessus. Il part du principe que l'activité microbienne démarre dès que les jus sortent des baies. C'est le point de départ d'une multiplication de la flore, bonne ou mauvaise, argumente-t-il. D'où l'idée d'ensemencer au vignoble. Mais comment s'y prendre ?

Protocole. La première difficulté a été d'établir un protocole pour la préparation d'un levain. « J'ai fait des recherches en France et dans le Nouveau Monde, mais je n'ai rien trouvé sur ce thème », indique Damien Michel. Alors, il a fait appel à Marie-Thérèse Château, chercheuse au CNRS et enseignante en microbiologie pour les étudiants en oenologie (DNO) de Montpellier (Hérault).

Cette scientifique lui a proposé un protocole consistant à préparer 150 à 200 litres de levain par jour afin de pouvoir ensemencer la totalité de la récolte de la journée à une dose de 3 g/hl de LSA.

Des bidons de cinq litres de levain ont été distribués aux chauffeurs des bennes à vendange avant leur départ vers les vignes et à chacun de leurs passages à la cave. Arrivés sur le lieu de récolte, ils ont dispersé les cinq litres de levain dans la tête de récolte de la machine à vendanger. Ils ont réalisé cette opération chaque fois qu'ils revenaient pour remplir une benne (2,5 tonnes). Le levain s'est ainsi répandu de la parcelle à la cuve en passant par la machine et la réception. Damien Michel a confié à Réjane Tupinier, stagiaire oenologue, le suivi de cette expérience.

Parallèlement à son nouveau mode de levurage, Damien Michel a rentré de petites cuves témoin de 1 à 2 hl avec des raisins exempts de tout ensemencement. Réjane Tupinier a fait les comparaisons. Dans les cuves témoins, à l'entrée en cave, la population levurienne (dénombrement par cellule de Thoma) était proche de zéro alors qu'elle se situait entre 1,6 et 30 millions (1,6×106 et 3×107) de levures par millilitre pour la récolte ensemencée sur la machine.

Un levurage à l'encuvage. Par sécurité, n'ayant pas de recul sur la capacité de ces levures à assurer la fermentation alcoolique dans sa totalité, le domaine a pratiqué un levurage classique à l'encuvage, à 5 g/hl sur l'ensemble de la récolte. Les contrôles réalisés sur les cuves pleines après ce second levurage ont dénombré 54 et 69 millions (5,4×107 à 6,9×107) de levures par millilitre.

Les analyses n'ont pas révélé de différence entre les moûts ensemencés dès la récolte (dans la machine) et les témoins ensemencés uniquement de façon classique à l'encuvage. Par la suite, les cinétiques fermentaires étaient comparables. « Le levurage précoce n'entrave pas une vinification traditionnelle et n'entraîne pas de production anormale d'acidité volatile, souligne Réjane Tupinier dans son rapport de stage. La technique permet d'atteindre beaucoup plus rapidement le seuil de population nécessaire pour fermenter. »

« Au vu de ces premiers résultats, il nous paraît intéressant de poursuivre ces essais. Cette année, nous allons tester le levurage uniquement à la récolte, à la dose de 3 g/hl, sans complément à l'encuvage. Diminuer nos entrants (levures et SO2) tout en sécurisant nos fermentations s'inscrit parfaitement dans la stratégie environnementale du domaine qui, en 2013, fut le premier dans l'Hérault à être labellisé haute valeur environnementale », conclut Damien Michel.

Une idée qui fait son chemin

Auteur du livre « Les Grands vins sans sulfite », Arnaud Immélé a été le premier à défendre le concept de la bioprotection des vendanges, qui consiste à protéger les jus d'une invasion microbiologique indésirable, non pas avec le SO2, mais avec des souches de levures choisies. « C'est une pratique déjà bien installée en Alsace. En remplaçant le SO2 par un levurage précoce, nous observons toujours une amélioration de la qualité aromatique des vins. Et sur les rouges, c'est un moyen efficace de lutter contre les Brett. Tous les vignerons qui ont essayé poursuivent dans cette voie. » Cet oenologue a développé deux préparations destinées à l'inoculation de la vendange, l'une pour les vins blancs, à base de levures non-Saccharomyces (Torulaspora delbrueckii), l'autre pour les vins rouges, qui associe des Saccharomyces à une non-Saccharomyces (Pulkerima) très antagoniste des Brett. Ces préparations sont à utiliser sur la machine à vendanger ou au pressurage pour les blancs et à l'encuvage pour les rouges.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :