PHILIPPE VINCENS, À DROITE, a fait goûter quatre de ses vins aux acheteurs et journalistes étrangers. Ici, il présente sa gamme à Marisa D'Vari, journaliste américaine basée à New York et écrivant pour de nombreux magazines et sites anglophones. PHOTOS F. JACQUEMOUD
Il est 10 h 30, à Floressas, sur les coteaux du Lot. En ce mercredi de juin ensoleillé, trois personnes de l'Union interprofessionnelle des vins de Cahors (UIVC) s'affairent à dresser de grandes nappes blanches sur les tables installées dans la salle des fêtes. Le petit village aux pierres jaunes s'attend à recevoir plus de cent acheteurs de vin (importateurs, détaillants, restaurateurs...) et journalistes spécialisés venus du monde entier. C'est la semaine des Cahors Malbec Days, organisée par l'interprofession.
Philippe Vincens est l'un des premiers vignerons arrivés. Il exploite 38 ha de vignes avec ses parents et sa soeur à Luzech (Lot), à une trentaine minutes de Floressas. Il dispose ses bouteilles à l'emplacement qui lui est réservé, attribué par ordre alphabétique.
Il a préparé quatre de ses cuvées. Son entrée de gamme, le Malbec du château Vincens 2011, vendue 5 euros départ cave au particulier, qu'il « ne fera pas forcément déguster. Tout dépend si les visiteurs veulent tout goûter, explique-t-il. S'ils ne veulent tester qu'un ou deux vins, je leur proposerai mes meilleures bouteilles ».
Vient ensuite, la cuvée Origine 2011 (8 euros), puis Les Graves de Paul (2011), un 100 % malbec vendangé sur les meilleures parcelles de la propriété et gardé deux ans en barrique. Ce vin est vendu à la propriété 16,50 euros au particulier. Enfin, La Parcelle Oubliée (2009) est un vin issu d'une seule parcelle récoltée à surmaturité, puis fermentée en barrique de bois. « C'est un vin fin et équilibré, avec un côté épicé et confituré, commente le vigneron. Nous n'en produisons que 1 200 à 1 500 bouteilles par an, que nous vendons 38 euros au domaine. »
Une excursion dans les vignes. Ce ne sont bien entendu pas les prix que propose Philippe Vincens aux importateurs. « Mais il est important de les indiquer, cela donne une idée de ma gamme, précise-t-il. J'ai préparé des fiches plastifiées, en français et en anglais, qui donnent toutes ces informations. »
Le vigneron finit de s'installer avec vingt-trois autres producteurs. Acheteurs et journalistes ne vont pas tarder à arriver. Leur journée a commencé par une excursion dans les vignes, au petit matin, où on leur a parlé de sols, d'oenologie et d'histoire.
Le château Vincens réalise 30 % de ses ventes à l'export et il espère bien progresser. Il exporte déjà au Bénélux, en Angleterre, en Irlande, au Canada (Ontario) et dans douze états des États-Unis. Philippe Vincens travaille avec un importateur américain avec lequel il réalise un tiers de son chiffre d'affaires export. Il a également fait affaire avec une grosse société belge.
Comme l'UIVC n'a invité que des étrangers, Philippe Vincens a apporté avec lui toutes les informations sur ses exportations : la liste de ses distributeurs, celle des magasins qui vendent ses vins, etc. « J'ai tout sous la main au cas où quelqu'un chercherait un distributeur de mes vins dans son pays », précise-t-il. Le vigneron espère collecter une vingtaine de contacts. Il ne s'attend pas à signer de contrat. Il sait qu'il faudra d'autres échanges pour cela. Comme il a passé un an en Irlande et six mois au Canada avant de revenir sur la propriété familiale en 2009, il maîtrise l'anglais. Pas besoin de demander l'aide de l'interprète proposé par l'interprofession.
Ça y est ! Acheteurs et journalistes arrivent. Ils ont en mains un livret que l'interprofession leur a remis. Ce document leur présente, en français et en anglais, les vins, les vignerons et les négociants qui les attendent. Un espace est prévu pour leurs notes de dégustation et pour inscrire les prix proposés par les producteurs. Comme les visiteurs l'ont étudié, ils savent tout sur la propriété des Vincens. Ils attaquent d'emblée par des questions très techniques sur les cuvées.
Lier une bouteille à une parcelle. « Quelles sont vos méthodes de vinification ? Quelle est la température de fermentation ? Utilisez-vous des levures indigènes ou sélectionnées ? », demandent sommeliers, restaurateurs et détaillants. Sans entrer dans tous les détails, Philippe Vincens insiste sur le fait qu'il pratique des sélections parcellaires auxquelles il applique des vinifications adaptées et différenciées. Il dit travailler en « single vineyard », sur ses vins moyen et haut de gamme. La démarche et l'expression plaisent beaucoup. Les Américains font le lien avec le whisky single malt. Ils apprécient de pouvoir relier une bouteille à une ou plusieurs parcelle(s).
Cependant, un journaliste américain ne s'en laisse pas conter. Il met l'accent sur le fait que ses compatriotes ne connaissent que le malbec argentin, lequel est moins cher que le cahors. Pourquoi achèteraient-ils du cahors ? Philippe Vincens admet que le malbec argentin fait référence. « Mais nous ne produisons pas le même vin, objecte-t-il. Le malbec argentin, notamment dans les premiers prix, est chargé en sucre. Il présente un côté lourd et opulent. Mon malbec est beaucoup plus frais et acide. Il se boit bien plus facilement. Cette différence, qui pouvait être considérée comme un point faible à une époque, est un avantage aujourd'hui, aux yeux des consommateurs. »
Après la dégustation, l'interprofession a prévu un buffet quercynois sous une grande tonnelle installée devant la salle des fêtes. Les vignerons et leurs invités déjeunent ensemble et terminent les bouteilles entamées. Entre deux bouchées de jambon cru, de foie gras et de brochettes d'agneau, Philippe Vincens commente sa cuvée Les Graves de Paul à une acheteuse suédoise. « Il s'agit d'un vin 100 % malbec, vendangé à la main sur nos meilleures parcelles, que nous gardons deux ans en barriques neuves, lui explique-t-il. Paul est mon neveu. Nous avons baptisé ce vin ainsi lorsqu'il est né. » La Suédoise sourit à l'anecdote familiale.
Tous les visiteurs demandent des histoires : les journalistes et blogueurs pour rédiger leurs articles, les détaillants pour vendre les vins. « Racontez-moi l'histoire de cette cuvée », commandent les uns et les autres. « Notre Parcelle Oubliée est parfaite pour cela, se réjouit le vigneron. Le fait qu'il s'agisse d'un vin issu uniquement d'une vieille vigne, bien délimitée, que nous vendangeons plus tard que les autres, d'où le terme oubliée, est accrocheur. C'est ma mère qui a trouvé ce nom. Il lui rappelait un roman. »
Bouche-à-oreille. Et lorsqu'il n'y a pas d'anecdote, les acheteurs en inventent... « Deux anglophones m'ont fait la même réflexion, note le vigneron avec amusement. Ils m'ont expliqué qu'en anglais, "grave" signifie "tombe". Ils se sont donc demandés si les raisins utilisés pour notre cuvée Les Graves de Paul provenaient de vignes proches de la tombe de Paul. Et ils se sont interrogés sur le rôle joué par ce fameux Paul. Sans le vouloir, en inventant cette marque, nous avons suscité la curiosité, c'est un point très positif. »
Bilan de la matinée ? « J'ai eu beaucoup de compliments sur nos vins et des contacts intéressants et assez variés, pour moitié de journalistes et pour moitié d'acheteurs. Ceux venus du Danemark et d'Allemagne, deux pays que je ne connais pas, m'intéressent tout particulièrement. Comme nos visiteurs restent plusieurs jours, je vais les revoir durant cette semaine. Et dès ce soir, nous dînons ensemble au château de Mercuès. L'intérêt de cet événement, c'est que les gens ont le temps. Tout le monde est calme. Et pour les vignerons, le programme est à la carte. Nous pouvons choisir les dégustations et les festivités auxquelles nous voulons participer durant les sept jours que durent les Cahors Malbec Days. »
À la fin de la semaine, Philippe Vincens se félicite du bouche-à-oreille. Un des journalistes invités, ayant goûté ses vins, les a recommandés à des acheteurs qui n'en avaient pas eu l'occasion. Le vigneron est aussi ravi d'avoir rencontré des détaillants américains à qui il a donné les coordonnées de ses distributeurs outre-Atlantique.
« C'est une nouvelle porte d'entrée pour vendre davantage aux États-Unis, commente-t-il. Le lendemain de la clôture des Cahors Malbec Days, j'avais déjà reçu des demandes d'information complémentaires en provenance d'un importateur et distributeur danois. Je vais maintenant relancer par mail toutes les personnes rencontrées. »
Dernier motif de satisfaction : « Après une semaine comme celle-ci, les invités deviennent de vrais ambassadeurs de l'appellation. Ils savent situer le vignoble, comment nous travaillons et n'hésiteront certainement pas à mettre un cahors sur leur table. »
CAHORS MALBEC DAYS, UNE OPÉRATION À LA CARTE POUR LES VIGNERONS
Du 16 au 22 juin, le vignoble a reçu 130 acheteurs et journalistes étrangers. De plus, deux jours d'animations étaient ouverts au grand public. L'interprofession paye le séjour des journalistes et des prescripteurs en partant du principe que leurs articles et recommandations bénéficieront à toute l'appellation. Pour la prise en charge du séjour des acheteurs, les vignerons qui participent aux dégustations versent 75 euros à l'UIVC pour chaque séquence de dégustation à laquelle ils s'inscrivent, car ces contacts ne bénéficient qu'à eux. À cela s'ajoutent des subventions de partenaires (pouvoirs publics, banques, coopératives, pépinières, fabricants de matériels, etc.). Les invités arrivent et repartent en fonction de leurs disponibilités. De même pour les vignerons, qui s'inscrivent aux dégustations de leur choix. À cette période, ils ne peuvent pas consacrer une semaine entière à accueillir des acheteurs.
Le Point de vue de
CATHERINE KAYLOR, WINE MANAGER DE L'ENTREPRISE DYONISOS IMPORT, EN VIRGINIE (ÉTATS-UNIS)
« Je cherche des vins à moins de 5 euros la bouteille »
« Le dollar étant toujours très faible, par rapport à l'euro, je recherche avant tout le meilleur rapport qualité prix. Les Américains connaissent mal Cahors. Ils pensent que le malbec ne provient que d'Argentine et qu'il s'agit d'un vin bon marché. Or, le cahors est de bien meilleure qualité, je le reconnais. J'ai goûté de très bons vins, autant dans la vallée du Lot que sur les coteaux. Mais pour mes marchés, il me faut des bouteilles à moins de 5 euros au départ de la propriété. À ce prix-là, je n'ai que des cahors d'entrée de gamme. Si l'on y ajoute le transport et les taxes, cela fait une bouteille proposée à 18 dollars en magasin aux États-Unis. C'est déjà difficile à vendre. Les Américains recherchent des bouteilles qui coûtent moins de 15 dollars. Or, ils peuvent trouver des vins argentins importés à moindre coût, car le transport est bien moins cher que depuis la France. J'importe pour ma part du champagne, des vins d'Alsace, des Pays de Loire et du Languedoc-Roussillon, où je trouve de très bonnes bouteilles à 2 euros prix départ cave. J'importe aussi de grandes quantités de côtes de Gascogne à 1,90 euro. Par ailleurs, j'ai beaucoup de clients qui boivent du vin bio. J'en ai goûté de bons durant les Cahors Malbec Days, mais ils ne sont pas dans mes prix. »