L'arrêt du Conseil d'État du 20 mars 2013 concerne une coopérative laitière, mais son enseignement est transposable à une coopérative viticole. Voici les faits : une coopérative laitière prend au fil du temps une telle ampleur qu'elle devient une vraie entreprise, bien implantée dans les métiers du lait. Pour accompagner sa réussite, elle a construit des bâtiments pour les activités de collecte, de fabrication de beurre, de crème, de fromage... Dans le secteur viticole, on pourrait imaginer qu'une cave coopérative investisse dans une cuverie plus importante ou agrandisse son chai de stockage après avoir gagné en notoriété.
Le problème de l'affaire est qu'à force de grossir, la coopérative s'est retrouvée assujettie à la taxe foncière par l'administration, alors qu'à l'origine de son activité, elle en était bien sûr exonérée, comme le veut l'article 1382 du code général des impôts : « Sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties [...] les bâtiments qui servent aux exploitations rurales tels que [...] greniers, caves, celliers, pressoirs et autres, destinés, soit à loger les bestiaux [...] soit à serrer les récoltes ».
L'Administration refuse de faire droit à la requête en exonération de la coopérative. Celle-ci saisit alors le tribunal administratif qui lui donne raison. Mais, le ministre du Budget, toujours à l'affût de recettes fiscales, se pourvoit devant le Conseil d'État. Dès lors, un débat juridique s'instaure sur la législation des sociétés coopératives.
Selon l'article L. 522-1 du code rural, toute personne physique ou morale ayant la qualité d'agriculteur peut être associé- coopérateur. L'article L. 521-3 précise : « Ne peuvent prétendre à la [...] la dénomination de coopérative [...] que les sociétés dont les statuts prévoient [...] l'obligation, pour chaque coopérateur, d'utiliser les services de la société [...] et, corrélativement, de souscrire une quote-part du capital en fonction de cet engagement ». Enfin, l'article L 522-5 dispose : « Lorsque les statuts le prévoient, des tiers non-coopérateurs peuvent être admis à bénéficier des services d'une [...] coopérative [...], dans la limite de 20 % du chiffre d'affaires ».
Dans notre affaire, la coopérative laitière conditionnait et transformait du lait qu'elle avait acheté à des éleveurs tiers. Confrontée à un volume plus grand à traiter, elle a donc dû procéder à d'importants investissements. Reste à savoir si ces extensions demeuraient agricoles, bénéficiant de ce fait de l'exonération de taxe foncière. Selon le ministre, les bâtiments d'exploitation doivent être soumis à la taxe foncière car ils servent en grande partie à traiter du lait apporté par des producteurs non-coopérateurs. Pour le ministre, on est aux frontières de l'agricole et du commercial.
L'analyse du Conseil d'État va se faire en deux temps. Tout d'abord, le juge administratif suprême va définir la notion d'usage agricole comme les « opérations qui sont réalisées habituellement par les agriculteurs et qui ne présentent pas un caractère industriel ». Puis, il précise « ne présentent pas un caractère industriel les opérations réalisées par une société coopérative avec des moyens techniques qui n'excèdent pas les besoins collectifs de ses adhérents, quelle que soit l'importance de ces moyens ».
Les juges vont donc, dans un second temps, considérer que le tribunal aurait dû vérifier si les extensions réalisées l'ont été pour satisfaire les besoins des coopérateurs ou au vu des apports des tiers. On peut noter qu'avant les installations nouvelles, les existantes suffisaient aux besoins des coopérateurs. On s'étonnera que rien ne soit dit sur le seuil de 20 % du chiffre d'affaires de l'article L 522-5...
Au final, le Conseil d'État a considéré que le tribunal administratif a mal fait son travail. Il aurait dû rechercher si les apports réalisés par les tiers n'étaient pas la cause de l'agrandissement des installations. Le jugement du tribunal administratif est annulé. Un nouveau tribunal administratif doit juger l'affaire en tenant compte de cet impératif du Conseil d'État.