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VIGNE

Les petits hommes verts remplacent l'hélicoptère

MARTIN CAILLON - La vigne - n°267 - septembre 2014 - page 36

Devançant l'interdiction définitive des traitements aériens, les viticulteurs n'ont d'autre choix que de traiter leurs vignes pentues à l'aide de chenillards ou d'atomiseurs à dos.
Mickaël Zimmerlin, prestataire de services à Mutigny (Marne), pulvérise une vigne en coteaux sur la commune voisine d'Ay. La parcelle était jusqu'à peu traitée par hélicoptère.  PHOTOS : M. CAILLON

Mickaël Zimmerlin, prestataire de services à Mutigny (Marne), pulvérise une vigne en coteaux sur la commune voisine d'Ay. La parcelle était jusqu'à peu traitée par hélicoptère. PHOTOS : M. CAILLON

Dans cette parcelle naguère traitée par hélicoptère, le pilote ne peut pas sortir du rang qu'il vient de traiter en montant en marche arrière, la tournière n'étant pas aménagée. Il doit redescendre par le même passage sans pulvériser.

Dans cette parcelle naguère traitée par hélicoptère, le pilote ne peut pas sortir du rang qu'il vient de traiter en montant en marche arrière, la tournière n'étant pas aménagée. Il doit redescendre par le même passage sans pulvériser.

Utilisés depuis près de cinq décennies, les traitements par voie aérienne ont très mauvaise presse. Ils ne sont plus autorisés que par dérogation. Et le gouvernement prévoit de les interdire définitivement après le 31 décembre 2015. Les viticulteurs ont pris les devants. Les surfaces traitées par hélicoptère ne cessent de reculer. Cette année en France, moins de 500 ha ont été traités par les airs parmi lesquels 430 ha dans les Côtes du Rhône septentrionales (130 ha en Côte Rôtie), et 40 ha dans le Beaujolais. La Champagne n'a même pas demandé de dérogation. Dans cette région, l'an dernier déjà, à peine 50 ha avaient été traités par hélicoptère contre près de 3 500 ha, soit 10 % du vignoble, il y a dix ans.

Les viticulteurs concernés ont dû trouver d'autres solutions. Quelques-uns faisaient appel à l'hélicoptère par commodité, compte tenu du morcellement de leur parcellaire. Ils interviennent maintenant avec des enjambeurs. Toutefois, dans les parcelles en forte pente ou en dévers, ces engins manquent de puissance, d'adhérence, de stabilité et ne peuvent manoeuvrer dans les tournières les plus étroites.

Dans ces situations, les vignerons ont d'abord recours au traitement au sol avec des chenillards. « Ce type d'engin offre une bonne adhérence. Équipé d'un pulvé, il peut grimper des pentes jusqu'à 40 %, assure Bruno Pasquier, gérant de l'entreprise champenoise PMH Industries, importatrice des chenillards italiens Rotair. Pour travailler dans ces conditions, Bruno Pasquier recommande le modèle le plus puissant de la gamme Rotair, qui développe 33 ch. « Avec notre modèle de 24 ch, il est préférable d'ajouter un moteur auxiliaire pour entraîner le pulvé. »

Cependant, les chenillards, reposant sur une base étroite, sont instables. Ils peuvent à tout moment se cabrer. « Ils se retournent comme une crêpe », note un prestataire. La conduite, en position debout, est aussi très inconfortable. Le chauffeur est exposé en continu aux vibrations de la machine. Surtout, il est en contact direct avec le produit. Il doit donc porter un masque et une combinaison intégrale.

En Champagne, où les parcelles sont petites, il faut aussi sans cesse déplacer l'engin. Il faut également aménager les tournières, davantage taillées pour lutter contre l'érosion que pour le passage des engins. Au sommet des vignes en pente, certaines d'entre elles, conçues pour retenir et dévier l'eau ruisselant de l'amont, sont pratiquement infranchissables avec un chenillard (voir photo en haut à droite). Parfois, il faut arracher quelques plants en bout de rang pour créer un passage. Au final, on traite au maximum 5 ha par jour avec un appareil.

Aussi puissant soit-il, le chevillard ne peut pas franchir des pentes supérieures à 40 %. Il faut alors trouver d'autres solutions. C'est le cas en Beaujolais et en Côte Rôtie. « Les pentes sont trop abruptes et les chemins, traversés par des rigoles, sont impraticables avec des chenillards. Ici, les vignes ne peuvent être traitées qu'à l'hélicoptère ou avec des atomiseurs portés à dos », prévient Julien Giroux, technico-commercial à la Coopérative agricole Mâconnais Beaujolais (CAMB). Une perspective qui déplaît à Gilles Barge. « Porter 35 kg sur le dos avec une camisole, c'est une hérésie », s'emporte le président de l'ODG Côte Rotie, ardent défenseur de l'hélicoptère.

En Champagne, selon l'interprofession, seule une trentaine d'hectares doit être traitée à dos. Jean-Luc Corpart, régisseur du vignoble marnais de Piper-Heidsieck a dû s'y résoudre pour une parcelle de 27 ares très pentue, longtemps traitée par hélicoptère. « Désormais, le seul moyen, c'est d'y aller à pied », déplore-t-il. Pour cela, le domaine utilise un chenillard équipé spécifiquement à cet effet. Il embarque la cuve de produit, et dispose d'un enrouleur de 60 m terminé par une lance. Le chenillard reste sur le chemin. Deux opérateurs descendent à tour de rôle dans les rangs.

De leur côté, les champagnes Morlet, à Avenay-Val-d'Or (Marne), cultivent 10 ha dont l'un en très forte pente. Cette parcelle traitée jusqu'en 2012 par hélicoptère est depuis pulvérisée à l'atomiseur. Pour cela, le domaine a engagé un chantier titanesque. Il a aménagé des terrasses à l'aide de poutres en bois, soutenues par des étais. Elles font 1 m de large avec une marche de 80 cm de haut entre les rangs. L'aménagement, terminé il y a trois ans, facilite la conduite de la parcelle. « Il faut deux heures pour la traiter à deux personnes », précise Éric Morlet.

Vu le temps passé, les traitements au sol coûtent plus cher que par hélicoptère. Le surcoût, toutefois, ne concerne que 5 % des surfaces en Champagne, rappelle Arnaud Descôtes, du CIVC. « Avec l'hélico, la couverture des feuilles était parfois faible et celle des grappes insuffisante. La performance devrait être meilleure avec les pulvés montés sur chenillard. Le réglage des appareils ne doit toutefois pas être négligé. » Seule solution concrète imaginée à ce jour pour améliorer les choses : un chenillard enjambeur piloté à distance. Présenté à l'état de prototype au dernier Viteff, son développement n'est pas prévu pour demain.

En Allemagne, des traitements à la lance

Les viticulteurs du val mosellan, en Allemagne, ne font pas toujours appel à l'hélicoptère (une dérogation les y autorise). Ils traitent alors leurs vignes en coteaux avec un pulvérisateur particulier. Leur équipement comprend une tonne à eau traînée de 2 000 l, une pompe activée par la prise de force du tracteur et un ou deux enrouleurs munis d'une lance. Le chauffeur stationne en bas de la parcelle à traiter. Un opérateur grimpe au plus haut de la parcelle, lance en main. Le chauffeur, resté en bas, embraye la prise de force et la pompe puis grimpe à son tour. Les deux ouvriers redescendent ensuite la parcelle en aspergeant, de part et d'autre, chaque pied de vigne (photo). La pression en sortie des lances permet de traiter à plusieurs mètres. Mais la technique entraîne une hétérogénéité du dépôt sur la vigne. Elle génère également une importante dispersion de produit dans l'air entre chaque cep. Le traitement d'un hectare nécessite jusqu'à 8 heures à deux.

Le Point de vue de

MICKAËL ZIMMERLIN, GÉRANT DE L'ETA PVMZ, À MUTIGNY (MARNE)

« Il n'y a que les jeunes pour faire ce métier ! »

« Je traite une douzaine d'hectares de vignes avec un chenillard. La moitié d'entre elles était traitée par hélicoptère jusqu'en 2012. Protéger ces parcelles, souvent très pentues, n'est pas simple. Il y a des aménagements à faire, au niveau des tournières notamment. Mais c'est faisable. Je suis équipé d'un chenillard Rotair R70.1, doté d'une cuve de 200 l et d'un pulvé à voûte pourvu de cinq diffuseurs par côté. L'équipement pulvérise plus efficacement que l'hélicoptère. L'engin, équipé d'un moteur diesel de 24 ch, n'est pas très puissant, mais il grimpe bien. Dans une parcelle accusant un dénivelé de 45 à 50 %, il atteint toutefois ses limites. Par précaution, je ne remplis jamais complètement la cuve dans les parcelles en forte pente. Et je traite en montant en marche arrière. Dans ce sens, les poids du moteur et de mon corps se trouvent en haut de la pente. L'engin est plus stable. Je vois aussi mieux les obstacles. Car travailler dans les pentes avec un engin qui mesure à peine plus de 65 cm de largeur est dangereux. Je l'ai déjà renversé deux fois en faisant de l'épandage. C'est aussi très dur physiquement. Après deux ou trois jours de travail, on est cassé ! Il y a deux ans, après une grosse attaque de mildiou et d'oïdium, nous étions submergés. En fin de journée, ma combinaison de protection n'est plus étanche. Il n'y a que les jeunes pour faire ce métier. Je ne ferai pas ça toute ma vie. »

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