Comment se faire connaître des amateurs de vin lorsque l'on est un jeune vigneron (34 ans), que l'on exploite un petit domaine et que l'on dispose de peu de temps ? Des questions qui taraudent certainement nombre de viticulteurs débutants et auxquelles Louis-Clément David-Beaupère a dû répondre le 3 juillet dernier. Ce jour-là, ce vigneron de Juliénas a participé à une dégustation collective des dix crus du Beaujolais chez le caviste Vavro and Co, installé dans le très chic VIe arrondissement de Lyon (Rhône).
L'opération a pris place dans le cadre des Instants Beaujolais, une campagne de promotion initiée par Inter Beaujolais, du 3 au 13 juillet, dans une trentaine de bars, restaurants, cavistes et même musées lyonnais. Le gérant de chaque lieu avait carte blanche pour bâtir son casting. Le caviste Vavro and Co a ainsi invité sept de ses fournisseurs : un habile mélange de domaines très connus et de jeunes prometteurs comme Louis-ClémentDavid-Beaupère. Le 3 juillet, ce caviste avait déjà sélectionné sept producteurs pour une autre opération intitulée avec humour « Vieux motard que gamay », avec une photo à l'appui où l'équipe du magasin était déguisée en « bikers » !
100 % juliénas. « Le casting est de haut niveau. Il y a de très bons vins aujourd'hui », commente Louis-Clément, que l'on sent un peu tendu avant l'arrivée des premiers clients. Pour l'occasion, il présente ses deux cuvées principales : La Croix de la Bottière et La Bottière. « La première est vinifiée à la beaujolaise : grappes entières, macération carbonique et élevage en cuve sur lies fines pendant six mois. La seconde est vinifiée à la bourguignonne, avec éraflage, pigeage quotidien et élevage de douze mois en fûts de chêne, sans filtration. » La première cuvée, du millésime 2013, est vendue 13 €, la seconde (millésime 2011) 19 € par le caviste qui a fait « rentrer » 42 bouteilles de chaque pour l'occasion.
Depuis 2008, notre vigneron exploite quatre hectares, uniquement en appellation Juliénas. Pour lui, participer à une dégustation pour le grand public ne va pas de soi. « Tout d'abord, je suis seul sur mon exploitation où les vignes ont 50 ans, en moyenne, ce qui demande beaucoup de complantation. Ensuite, je suis en bio ; je viens d'obtenir la certification. Cela demande plus de travail à la vigne. J'ai donc peu de temps à consacrer à l'aspect commercial. »
Surprenant de la part d'un jeune homme qui a débuté comme... commercial dans la grande distribution, avant de reprendre ce domaine familial lorsque le métayer est parti à la retraite ! « Oui, vu mon parcours, on peut s'attendre à ce que je m'investisse davantage dans la vente directe, mais c'est plus difficile et plus chronophage de vendre au public que de négocier en B to B, d'entreprise à entreprise », plaide-t-il.
Cuvée beaujolaise ou cuvée bourguignonne ? Malgré ses réticences, une fois en situation, l'homme s'avère être un excellent prescripteur de ses vins. Il insiste sur la différence - réelle - entre ses deux cuvées qui se partagent les faveurs des dégustateurs. « La première est gourmande, gouleyante, fruitée, avec le caractère de juliénas ; la seconde, c'est de la complexité, de la puissance et des épices. »
Pour certains, la « beaujolaise » l'emporte. « C'est rond, tout en ayant une sacrée pêche », commente un visiteur. « Le nez est puissant, mais la bouche est tendre. Je m'attendais à un vin plus tannique d'après le nez. C'est une belle surprise », affirme un autre.
D'autres préfèrent clairement la « bourguignonne ». « Ce vin me rappelle ceux de ma jeunesse », note Claude, un habitué des lieux affichant un certain âge, qui a passé toutes ses vacances d'adolescent à Juliénas. « Sans doute qu'à l'époque, on privilégiait plus la garde. Ce vin est une vraie madeleine de Proust ! »
« J'ai un coup de coeur pour ce 2011 », s'exclame un amateur qui l'élit sans hésiter meilleure cuvée de l'après-midi.
Exploitation et vinification intéressent les visiteurs. Plusieurs clients s'intéressent au potentiel de garde des vins. « Le 2011 commence à être bon à boire. Mais il peut encore se garder », rassure Louis-Clément. Les visiteurs veulent aussi des détails sur le terroir et l'emplacement de son exploitation. « Je suis sur un sol mixte, limoneux, avec des pierres bleues. C'est atypique pour le Beaujolais. Mon exploitation est située sur un replat », décrit le vigneron. Deux questions reviennent plus particulièrement : « Comment vinifiez-vous ? » et « Pourquoi avoir opté pour le bio ? » Le vigneron explique alors qu'il a choisi deux modes de vinification différents « pour exprimer toutes les facettes du gamay ». Il ajoute qu'il a choisile le bio « parce que ma maison est située au beau milieu de mes vignes et que je n'avais pas envie de traiter à proximité de ma famille ». Un argument qui touche les visiteurs, en majorité aisés et que l'on pourrait qualifier de « bobos ».
En aparté, le vigneron confie également que « si c'est bien par choix personnel que j'ai converti mes vignes au bio, c'est aussi parce que je suis aussi le seul dans le village, donc c'est également devenu un argument de vente. J'ai un peu augmenté mes prix, vu la charge de travail supplémentaire ».
Au passage, on note que le bio est encore mal connu de beaucoup d'amateurs y compris de ceux qui ont une bonne culture du vin. Le vigneron rappelle donc qu'il ne traite qu'au soufre et au cuivre, deux produits naturels, qu'il n'a pas le droit d'utiliser des produits chimiques et qu'il a dû palisser en partie ses vignes pour pouvoir labourer.
Mais, au-delà des points techniques, c'est bien son histoire personnelle qui sert de base à son argumentaire. Dans un discours bien rodé, il raconte comment il montait sur le tracteur de son grand-père dans son enfance, comment son propre tracteur est le premier véhicule qu'il a acheté, ses voitures lui ayant été prêtées. Bien sûr, il insiste aussi sur son changement d'orientation professionnelle, ses études tardives et ses débuts difficiles dans les vignes. « Quand il a fallu tailler la première fois, j'étais comme une poule avec un couteau ! » lance-t-il à la cantonade. Le public est séduit. « C'est un sentimental ! », reconnaît un client visiblement séduit. « C'est super important qu'il y ait une histoire derrière le vigneron », apprécie Yves, qui repart avec plusieurs bouteilles du vigneron de Juliénas.
« Finalement, ma plaquette c'est moi !, commente Louis-Clément David-Beaupère, venu avec quelques cartes de visites pour seul outil de marketing. Les clients achètent aussi du bonhomme. Mon histoire est à la fois banale et extraordinaire. »
Les conditions de dégustation favorisent aussi cet échange. Les petits groupes se déplacent d'un stand à l'autre, sans ordre établi et en fonction de la fréquentation, de sorte qu'il n'y a pas d'embouteillage devant tel ou tel producteur. Plusieurs visiteurs confirment l'intérêt de la formule. « Rencontrer plusieurs producteurs de la région proposant les dix crus, c'est la première fois que j'en ai l'occasion et c'est vraiment bien », reconnaît Patrick, 49 ans, « en phase de réconciliation avec les beaujolais ».
« Avoir toutes les faces d'un même vignoble, c'est idéal », note Claude. Un constat partagé par Alexis et Jérémy, deux jeunes amateurs. « Goûter tous les crus permet de comparer et aussi de partager avec les vignerons, de voir le vin d'une façon non commerciale. Ce n'est pas comme un salon grand public, avec beaucoup de monde et des prospectus commerciaux partout. Cet aspect est très important. »
La fin de l'après-midi est animée par de nombreux habitués des lieux. Déjà vient l'heure des comptes. C'est Érica Vavro, la gérante de la cave, qui s'y colle. « Nous avons doublé le chiffre d'affaires par rapport à un samedi normal, se réjouit-elle. C'est moins bien que d'habitude pour ce genre d'opération. Mais cela s'explique par la période : début juillet. En ce qui concerne Louis-Clément David-Beaupère, il réalise la deuxième meilleure vente de la journée, avec 66 bouteilles vendues sur les 84 que nous avions en stock. Je ne suis pas surprise par sa performance alors qu'il y avait de grands noms invités. Je procède toujours ainsi, en mélangeant des noms connus et des domaines à découvrir. Dans le placement des stands, j'alterne les deux en sachant que les noms connus attirent le public qui pourra également découvrir les autres viticulteurs. Les jeunes vignerons ne doivent pas hésiter à se mesurer aux domaines installés, cela valorise leurs produits. À condition bien sûr que leur vin soit bon et qu'ils aient une belle histoire à raconter. Ce qui est bien le cas de Louis-Clément. »
Contrairement à Érica Vavro, Louis-Clément est surpris de son bon résultat. « Ah bon ? Autant de ventes que ça ?, s'étonne-t-il. C'est un honneur parmi tous ces gens qui font du bon vin. » Humble, jusqu'au bout !
TIRER LE MEILLEUR PARTI D'UNE OPÉRATION COMMERCIALE
- Il semble intéressant d'axer son discours sur ses débuts, même s'ils ont été difficiles, lorsque l'on est jeune et que l'on n'a pas des années d'expérience à raconter. Cela donne un côté sympathique, proche. Les clients adorent également les histoires de reconversion, de changement de vie. Comme notre vigneron, il est important d'avoir un discours rodé, cela permet d'avoir l'air décontracté devant le client.
- Les vins vinifiés différemment de la norme, comme la cuvée bourguignonne de Louis-Clément, se distinguent plus facilement des autres lors d'une dégustation avec de nombreuses cuvées.
- Il est important de jouer le jeu avec vos distributeurs, surtout si votre domaine est à moins de cent kilomètres d'eux. Notre vigneron est ainsi venu défendre ses vins à l'invitation de son caviste lyonnais. Et il les vend à la propriété à des prix proches de ceux du caviste. Il l'aide à vendre sans entrer en concurrence avec lui.
- Pour attirer le public, pas de surprise : il faut prévenir sa clientèle. Les gérants de Vavro and Co ont envoyé 700 mails et 300 courriers pour faire la promotion de leur journée « Vieux motard que gamay ». Le bouche-à-oreille a également bien fonctionné.
- Pour son opération « Instants beaujolais », Inter Beaujolais a laissé chaque partenaire - restaurateur, caviste, etc. - libre du choix de son événement et des vignerons invités. Ainsi, chacun a pu travailler avec ses fournisseurs habituels. Climat de confiance garanti.
« Je vends 70 % de mes vins à des professionnels en France »
Louis-Clément David-Beaupère vend en bouteilles l'intégralité de sa production, c'est-à-dire environ 12 000 cols par an. Il confie sa commercialisation à des agents, comme en région parisienne, ou à des distributeurs exclusifs, comme à Lyon.
« Je vends 70 % de mes vins à des professionnels en France, dont 30 % chez des cavistes. Le complément, c'est du grand export (États-Unis, Canada, Chine) et de la grande distribution avec un client historique du domaine. La vente à la propriété reste marginale. C'est une question de temps. »
C'est son distributeur lyonnais qui a placé ses vins chez Vavro and Co.