EN 2013, LA FAMILLE SIMONNET (de g. à d. : Jean-Jacques, Thierry, Coralie et son conjoint) aménage un petit chalet de 12 m2 pour vendre des bouteilles et mieux valoriser son travail. PHOTOS : F. BAL
À LA VEILLE DES VENDANGES, Jean-Jacques et Thierry Simonnet inspectent l'état sanitaire des raisins dans leurs vignes intégralement enherbées depuis le passage en bio.
« On espère s'en sortir par le bio et la vente directe. » À Escassefort, dans le Lot-et-Garonne, la famille Simonnet, qui livre l'intégralité de sa production à la cave coopérative du Marmandais (810 ha, 6 millions de bouteilles), veut ajouter des cordes à son arc. Jean-Jacques Simonnet, (59 ans) par ailleurs vice-président de la coopérative, Françoise (55 ans) et leur fils Thierry (37 ans) exploitent 51 ha de vigne, certifiés en bio depuis 2012. Leur Château Côte-de-France, de 38 ha, est vinifié à part. De même que le Château Bazin, une propriété dont ils cultivent 8 ha en fermage et qui est le fleuron de la coop avec un vin vendu à 14 € TTC.
En 1981, Jean-Jacques et son épouse s'installent en polyculture-élevage avec 4 ha de vigne. À l'époque, ils apportent leur récolte à la coopérative de Beaupuy (Haute-Garonne). En 1998, leur fils Thierry se lance à son tour et crée un Gaec avec ses parents. Le domaine compte alors 28 ha de vigne et effectue de la prestation de services en complément. « Il fallait nous agrandir pour amortir les coûts de production, raconte Jean-Jacques. Durant la crise viticole qui a démarré en 2001-2002 dans le Marmandais, on nous a proposé beaucoup de fermages. Nous avons repris trois vignobles en 2005, 2006 et 2007, pour nous stabiliser à 51 ha de vigne (et 75 de céréales, NDLR). »
Les années 2000 sont très dures. La cave de Beaupuy fusionne avec celle de Cocumont (Lot-et-Garonne) en 2003. Les prix nets payés aux Simonnet baissent pour atteindre le plancher de 35 €/hl pour le millésime 2005. Ils ne remonteront « décemment » que pour le millésime 2010 vendu 60 €/hl. Pour la cuvée 2012, le prix devrait s'élever à 77 €/hl, soit le niveau de 1996, hors plus-value bio.
En 2009, sous l'impulsion de Thierry, le domaine se convertit au bio. Un changement auquel il tenait vraiment, tout comme sa soeur Coralie qui, titulaire d'un BTS d'horticulture, rejoint l'exploitation familiale cette année-la. Quant à Jean-Jacques, il finit par céder sous la pression de ses enfants.
« Je fais tous les traitements du domaine depuis 1998, commente Thierry. Je me sens beaucoup mieux dans ma peau depuis que nous sommes passés au bio. D'abord, parce que c'est plus sain. Ensuite, parce que je n'ai plus peur que les gens me regardent de travers quand je sors le pulvé. »
« Je pensais bien que ce serait compliqué, mais pas autant », confie, avec le recul, Jean-Jacques. « Quand vous commencez en bio, vous changez complètement de métier », renchérit Thierry qui, lui non plus, ne s'attendait pas à ce que les premières années soient si rudes. Le domaine n'ayant jamais travaillé les sols, le défi était de taille. D'autant plus que les Simonnet ont converti les 51 ha d'un coup.
« La gestion des maladies se passe très bien, commente Thierry. Avec la cave, on travaillait déjà en lutte raisonnée avec, en saison, des réunions sur site une fois par semaine. En bio, on n'a pas plus de maladies voire moins que ceux qui travaillent en conventionnel. » Timothée Visentin, responsable technique de la coop qui suit les adhérents, confirme : « L'état sanitaire avant la vendange est très bon. »
Le problème est ailleurs. « Le plus dur, et de très loin, c'est de maîtriser l'herbe sous les pieds des ceps », commentent de concert le père et le fils. Avant de passer en bio, ils désherbaient sur un mètre de large sous le rang et enherbaient le reste. La première année, ils ont laissé l'espace sous le rang s'enherber. « On l'a seulement fauché à l'aide de broyeurs équipés de deux têtes interceps avec rotofil sur chacune », raconte Thierry. Le résultat a été catastrophique. La vigne a subi un énorme stress hydrique. Le contrecoup s'est fait sentir surtout la deuxième année. « La vigne a beaucoup moins poussé. On n'a d'ailleurs effectuer qu'un seul rognage », continue Thierry. Le rendement a ainsi chuté de 20 %.
L'année d'après, en 2011, ils choisissent de travailler le sol un rang sur deux, avec des interceps à lames. « Compte tenu de la main-d'oeuvre dont nous disposons, c'est matériellement impossible de passer ces interceps sur tout le vignoble, commente Thierry. Mais nous avons vu le changement : l'eau pénètre plus dans le sol et alimente mieux la vigne. » Ce n'est qu'en 2013 qu'ils renouent avec des rendements corrects. Malgré la coulure, ils récoltent 1 600 hl. Et, cette année, ils attendent 2 000 hl en dépit de parcelles grêlées.
Parallèlement à leur passage au bio, ils se sont mis aux normes en aménageant deux locaux de stockage - 70 m2 au total -, l'un pour les produits phytosanitaires, l'autre pour les emballages vides. Ils ont en outre agencé une aire de lavage et de remplissage des pulvés avec une cuve de récupération de 5 000 l, et ont construit un phytobac de 12 m2.
Avec la conversion au bio, le temps de travail est passé de 130 h à 160 h/ha. Le coût de production à l'hectare a, lui, augmenté de 16 % à 3 500 €, amortissements du matériel compris. Pendant trois ans, ils ont touché 300 €/ha d'aides à la reconversion au bio, complétées par une subvention de 500 €/ha donnée par la coop. Depuis 2012, ils perçoivent uniquement une aide au maintien de l'agriculture biologique de 150 €/ha.
Sur le plan économique, ils sont déçus. « Pour le moment, on ne s'y retrouve pas vraiment », affirment-ils. Il est vrai que la coopérative paye très tardivement ses adhérents. Le premier acompte (sur cinq) est versé seize mois après les vendanges et le solde, trois ans après. Le paiement de l'exercice 2012, première année de certification en bio, se terminera donc en janvier 2016. À ce jour, Jean-Jacques espère une plus-value de 30 à 40 %, soit une trentaine d'euros par hectolitre. Mais rien n'est encore certain.
Aujourd'hui, la coop a vendu 80 000 bouteilles du premier millésime certifié bio, le 2012. Elle n'a pas encore démarré les ventes du 2013. « Elle n'a pas les marchés en face », regrette Jean-Jacques. Elle a une tradition de vente en GMS, à prix bas ou moyens, et elle ne met pas vraiment en avant le château Côte de France bio. De même pour l'abouriou bio des Simonnet. Elle le réserve aux marchés à l'export vers l'Europe du Nord. La famille a pourtant misé sur ce cépage typique du Marmandais. Elle en cultive 9 ha dont 3 plantés depuis trois ans. « C'est pour conserver notre typicité. Elle nous différencie de Bordeaux », explique Jean-Jacques.
Afin de mieux valoriser leur production, les Simonnet ont décidé d'en vendre eux-mêmes une partie. Pour cela, la cave leur rétrocède des bouteilles à un tarif préférentiel. Depuis avril 2012, Coralie, qui est partie produire et vendre des fleurs en Bretagne tout en restant associée de l'EARL, commercialise là-bas les vins du domaine et de la cave. « Petit à petit, le bouche à oreille se met en place, raconte-t-elle. La première année, on a lancé l'activité. La deuxième, on a commencé à se faire connaître. Nous avons vendu environ 3 000 bouteilles. » Son objectif est d'écouler 20 000 bouteilles d'ici à trois ans.
À Escassefort, Thierry et ses parents ne sont pas en reste. Au printemps 2013, ils ont monté un petit chalet de bois de 12 m2 qui fait office de caveau pour y accueillir les clients de passage. Ils ont par ailleurs intégré le réseau « Les Fermes de Garonne » qui regroupe une vingtaine de producteurs locaux (fruits, fleurs, viande, légumes, escargots, vin...). Les bouteilles sont vendues entre 6 € et 14 € TTC. Ils en ont déjà écoulé un petit millier. « Les clients sont contents de voir notre façon de travailler », racontent-ils. Et la cave est ravie de voir que ses adhérents développent de nouveaux marchés.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ
Les Simonnet se sont fortement agrandis, reprenant des vignes vouées à l'arrachage durant la crise.
Aujourd'hui, ils sont fiers de maîtriser la culture en bio après d'importants déboires les premières années liés à la gestion du sol.
La création d'une EARL en 2011, à la place d'un Gaec, a permis à Coralie d'être associée-gérante tout en travaillant à distance de l'exploitation et en maintenant une activité en Bretagne.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'ILS NE REFERONT PLUS
La conversion en bio, initiée en 2009, sur les 51 hectares de vigne du domaine a été trop brutale. Elle a occasionné une forte perte de rendement les deuxième et troisième années de conversion. Les Simonnet estiment qu'ils auraient dû travailler le sol un rang sur deux au lieu de tondre, dès la première année.
Pour l'instant, la coopérative ne valorise pas assez leur production en bio que ce soit le château ou le cépage abouriou.
LEUR POINT DE VUE Trois inquiétudes pour l'avenir
- La famille ne cache pas ses inquiétudes pour l'avenir, sur trois points distincts. « Dès que Françoise et moi serons à la retraite, Thierry et Coralie devront embaucher. Le coût sera plus élevé car en famille nous ne comptons pas nos heures », estime Jean-Jacques.
- Deuxième incertitude : « Petit à petit, les productions agricoles locales disparaissent. Ainsi, il n'y a presque plus de maraîchage. Le tissu économique qui fait vivre la campagne se désagrège. Les gens migrent vers les villes où se recentrent les activités. C'est un problème auquel nous sommes directement confrontés », témoignent les Simonnet.
- Enfin, Jean-Jacques craint que des plantations de vignes sans IG ou en IGP soient à nouveau autorisées après l'arrachage définitif de la moitié du vignoble ces dernières années. « La région produira alors à nouveau des vins pas chers qu'on ne pourra pas vendre. On va encore engorger les marchés et les appellations seront touchées par ricochet. La filière va refaire les bêtises qu'elle a déjà faites. Elle n'en a pas tiré les leçons. » Espérons que si.