Depuis 2008, Franck Labeyrie, propriétaire du château du Coureau, à Haux (Gironde), plonge chaque année 10 000 bouteilles de graves blanc dans le bassin d'Arcachon.
« À 15 m de profondeur, la conservation du vin est optimale, décrit-il. La température est fraîche, 7 à 9°C, et constante. Il y a peu de lumière et l'hygrométrie est optimale par rapport à une cave puisqu'elle est à 100 %. Enfin, il n'y a pas d'oxygène donc pas d'oxydation. »
Mais personne ne peut immerger librement ses bouteilles dans le bassin. Franck Labeyrie a donc dû obtenir « une autorisation d'occupation temporaire en mer. J'ai monté un imposant dossier et pris beaucoup de rendez-vous avec les affaires maritimes et la mairie. Cette autorisation est très difficile à obtenir ». Il lui a également fallu l'accord des douanes car « on sort des vins de la propriété sans qu'ils soient vendus », explique-t-il.
En pratique, il regroupe ses bouteilles par lots de seize dans des poches à huîtres. Il les immerge en décembre et les récupère vers le mois de juin. « Les bouteilles sont alors décorées des produits de la mer : elles sont couvertes d'algues, de petits coquillages et même parfois d'étoile de mer », décrit Franck Labeyrie. Il les rince, les laisse sécher trois semaines et les fait ensuite tremper dans une colle alimentaire pour conserver leur ornement marin.
Compte tenu de leur coût, Franck Labeyrie les vend 15 euros le col. Il conserve environ 10 000 bouteilles du même vin dans son chai qu'il ne vend que sept euros. « Le vin conservé dans le bassin est plus clair. Normal, il ne s'oxyde pas. Les arômes sont légèrement iodés et l'acidité est moins présente. Il est plus gras, plus souple et plus long en bouche », assure-t-il. Surtout, ce vin lui offre une occasion de se démarquer avec une cuvée originale.
Du champagne dans la Baltique. En juillet 2010, 168 bouteilles de champagne sont retrouvées dans une épave engloutie au fond de la mer baltique. « Quarant-sept d'entre elles étaient des bouteilles de Veuve Clicquot de 1839-1840 », explique Dominique Demarville, le chef de cave. Il a eu le privilège d'en déguster certaines. « Il n'y avait presque plus de gaz, c'était légèrement perlant. Le champagne était très ambré, d'un jaune doré. Le premier nez était surprenant avec des notes fumées, animales, presque d'écurie. Après aération apparaissaient des notes de tilleul, de noisette, de pain grillé. En bouche, il avait une grande fraîcheur et une belle acidité avec un côté sucré assez marqué. »
À l'époque, le champagne avait été dosé à 149 g de sucre par litre. Même si leur bouchon était intact et qu'aucune dilution ne semblait s'être produite, certaines bouteilles contenaient beaucoup de sodium. Est-il d'origine marine ou le résultat des pratiques oenologiques du milieu XIXe siècle ? Difficile pour Dominique Demarville de le dire. En tout cas, la découverte de ces bouteilles a attisé la curiosité de Veuve Clicquot, qui souhaite désormais mieux comprendre comment vieillissent ses champagnes. « L'évolution sous la mer a fait apparaître des arômes absents de nos champagnes les plus anciens », indique Dominique Demarville.
Pour étudier le phénomène, la maison a immergé le 18 juin dernier 350 bouteilles à 42 m de profondeur dans la mer baltique. Elle a conservé le même lot de bouteilles, dégorgé en même temps, dans sa cave de crayères. Seuls les bouchons en liège ont été légèrement modifiés. « La société Amorim a fabriqué des bouchons plus larges de 1 mm avec du liège plus serré pour limiter les risques de fuite ou de pénétration d'eau à l'intérieur », précise le chef de cave.
Pour bien comprendre le vieillissement de ses champagnes, Veuve Clicquot va collaborer avec l'université de Reims et l'Institut des sciences de la vigne et du vin de Bordeaux. Mais il faudra patienter. Les premiers cols ne seront remontés que dans trois ou quatre ans, et l'expérience devrait se poursuivre pendant une quarantaine d'années. Patience donc...
Larrivet Haut-Brion immerge une barrique
Le Château Larrivet Haut-Brion a conservé une partie de son premier vin 2009 dans deux barriquots de 55 litres. L'un stocké dans son chai, l'autre immergé dans le bassin d'Arcachon.
Après sept mois, les lots ont été analysés, ce qui a révélé « la dilution subie par le vin élevé dans le bassin d'Arcachon ». Plusieurs paramètres analytiques ont diminué, principalement le titre alcoométrique volumique qui a perdu 0,8 %. En contrepartie, le vin s'est chargé en sodium à raison de 86 mg/l, alors que cette molécule est indétectable dans le vin conservé au chai.
À la dégustation, une légère salinité est d'ailleurs perceptible. Le nez est plus net et expressif que celui de l'autre vin. En bouche, les tanins sont plus fondus, moins agressifs et astringents. C'est normal, car le vin du chai a été contaminé par des Brettanomyces.
Elles ont modifié son profil sensoriel et son équilibre gustatif.