Terra Vitis est née en 1998 dans le Beaujolais. À l'origine de cette association : un groupe d'une vingtaine de viticulteurs qui pratiquaient la lutte raisonnée depuis plusieurs années. Leur initiative a ensuite essaimé dans d'autres vignobles. Des associations Terra Vitis se sont créées dans le Bordelais, l'Arc méditerranéen et le Val de Loire. Ce mouvement a atteint son apogée en 2002 avec plus de huit cents adhérents.
« Au départ, le développement a été exponentiel car on avait misé sur un gros travail de recrutement. Mais les marchés n'ont pas suivi », se souvient Jean-Henri Soumireu, en charge des relations médias. Le négoce n'a pas mieux valorisé les vins des viticulteurs certifiés. Des acheteurs ont passé commande puis se sont ravisés. C'est alors l'hémorragie. Les effectifs tombent à trois cents adhérents en 2004. Mais après une longue période creuse, Terra Vitis retrouve un nouveau souffle. « Ces quatre dernières années, les effectifs ont progressé de 7 % par an. Désormais, ils se stabilisent », note Jean-Henri Soumireu.
Aujourd'hui, la fédération nationale compte 530 adhérents répartis dans six associations régionales qui couvrent presque tous les vignobles. En 2012 s'est créée l'association Terra Vitis Vignoble champenois et, cette année, Terra Vitis Alsace. Ces deux nouvelles venues ont rejoint leurs aînées du Val de Loire, de Bordeaux, de Rhône-Méditerranée et de Beaujolais-Bourgogne. Par ailleurs, des viticulteurs du Jura ont adhéré à l'association Beaujolais-Bourgogne. Et des contacts ont été pris dans le Cognaçais.
Cette année, les surfaces certifiées couvrent environ 11 000 ha, avec d'importants contributeurs comme la cave des Vignerons de Camplong, dans l'Aude, la coopérative du Mont Tauch, à Tuchan (Aude), la cave des Vignerons d'Estézargues (Gard), la coopérative des Producteurs de vins de Montlouis-sur-Loire (Indre-et-Loire) ou encore les Domaines Castel.
« Nous avons 750 ha certifiés sur un total de 1 000 ha, soit plus de 70 % de notre foncier viticole », indique Alexis Raoux, responsable du management environnemental chez Castel. « Nous avons démarré une stratégie globale de développement durable en 2010. Pour nos domaines, nous avons décidé de mettre en place la certification Terra Vitis car le cahier des charges intègre toutes les étapes, de la culture de la vigne à l'élaboration du vin. Il prend en compte la gestion de l'énergie, de l'eau, le bilan carbone et le recyclage des déchets. Grâce à Terra Vitis, l'impact des pratiques sur l'environnement peut être quasi nul. C'est une démarche qui émane de viticulteurs. Elle remet le terroir et la vigne au coeur du métier. C'est important, car si on est capable de récolter un raisin de qualité en faisant un minimum de traitement, l'essentiel du travail est fait. Par rapport à d'autres certifications comme Iso 14001, elle a un côté plus humain. Elle est moins contraignante au niveau administratif », argumente Alexis Raoux.
Ce bel élan résulte de la nouvelle stratégie de communication mise en place par la fédération nationale voici plusieurs mois. En 2013, avec l'aide d'AOC Conseils, Terra Vitis se dote d'une nouvelle identité visuelle et clarifie le message qu'elle diffuse à ses adhérents. « On s'est rendu compte qu'on passait beaucoup de temps sur la technique. Certes, c'est notre marque de fabrique et une garantie de sérieux. Mais nos adhérents n'étaient pas à l'aise pour expliquer concrètement ce qu'était la démarche Terra Vitis. Et on avait toujours tendance à nous opposer au bio », reconnaît Didier Vazel, le président de Terra Vitis.
La fédération nationale a donc développé plusieurs supports de communication pour ses membres : dépliants, affiches, chemises cartonnées pour l'envoi des documents commerciaux aux acheteurs, banderoles pour les salons... Tous sont marqués du nouveau logo de l'association, une chrysope adulte posée sur une feuille de vigne assortie de la signature : « Terra Vitis : plaisir du vin - terre vivante ». « Nous avons opté pour une police de caractère qui renforce le côté terroir et met en avant la chrysope, un des principaux auxiliaires de la vigne, car nous travaillons beaucoup sur le respect de la biodiversité. En plus, cela donne un côté aérien au logo », explique Jean-Henri Soumireu. Les viticulteurs ont très bien accueilli cette nouvelle identité visuelle. Les consommateurs aussi. « Ils posent beaucoup de questions sur l'insecte. Cela nous permet d'engager la conversation sur ce qui nous tient à coeur », constate Jean-Henri Soumireu.
La fédération nationale a aussi renforcé la protection de la marque Terra Vitis. Elle travaille avec une agence de presse et diffuse des communiqués tout au long de l'année. Elle est aussi active sur les réseaux sociaux qu'elle alimente avec de l'information technique et de l'actualité. « Nous sommes suivis par des bloggeurs, des cavistes... L'idée est qu'ils servent de relais pour nous faire connaître auprès du grand public car nous n'avons pas les budgets pour le viser directement. En effet, nous fonctionnons à 75 % sur les cotisations des adhérents, à 6 % sur des subventions, et le reste sur des prestations diverses. Les trois quarts de ce budget servent au fonctionnement de l'association. Seuls 17 % sont consacrés à la communication, soit une enveloppe d'environ 50 000 € par an », détaille Jean-Henri Soumireu.
La fédération nationale envisage également de participer à des salons professionnels du vin sous une bannière commune et d'y faire des animations. Elle mise aussi sur les partenariats. Par exemple, elle travaille en étroite collaboration avec le caviste ambulant Itinévin (Indre-et-Loire) qui a choisi de proposer ses vins.
Mais il y a encore beaucoup à faire pour développer la notoriété de la marque Terra Vitis. « Nous ne sommes pas connus des consommateurs. Quelques négoces commencent à travailler avec nous. Mais le fait d'avoir une nouvelle identité visuelle est bien perçu. En réalité, nous sommes davantage connus à l'étranger. La Société des alcools québécois (SAQ) nous a reconnus comme démarche officielle en faveur de la protection de l'environnement. Il y a trois ans, nous avons fait un minisalon en Suède avec une dizaine de viticulteurs où nous avons reçu un bon accueil. À la suite de cela, nous avons obtenu une commande de 20 000 bouteilles de blanc et de 30 000 bouteilles de rouge », relate Didier Vazel. Terra Vitis est également bien présent aux Pays-Bas grâce à un caviste néerlandais ayant pignon sur rue qui a joué les ambassadeurs. Il a fait connaître la marque auprès de ses confrères et des hôteliers-restaurateurs.
Les vins Terra Vitis sont-ils mieux valorisés ? Non, reconnaissent les responsables de l'association. Mais la démarche fidélise et tranquillise les acheteurs. L'arrivée de la certification HVE va-t-elle bousculer cette dynamique ? Terra Vitis n'est pas inquiète.
« Si nous pensions que la certification environnementale mise en place par le gouvernement allait nous concurrencer, nous n'aurions pas demandé l'équivalence pour le niveau 2. Nous avons en effet été échaudés par l'agriculture raisonnée. À l'époque, nous avions obtenu la qualification de 98 % de nos adhérents. Mais le gouvernement n'a pas porté cette certification. HVE peut représenter une opportunité pour les vignerons mais nous n'allons pas dépenser de l'énergie pour les inciter à y aller. À chaque adhérent de faire son choix. Néanmoins, nous accompagnerons ceux qui le souhaitent », explique Didier Vazel.
Un contrôle de l'ensemble du process
Terra Vitis est une démarche de certification de viticulture raisonnée. Elle est fondée sur le respect d'un cahier des charges qui comprend une centaine d'engagements et 14 fiches progrès. Ce cahier des charges est remis à jour chaque année et comprend des exigences qui couvrent un large périmètre. Par exemple, les adhérents doivent accepter que des analyses des résidus dans leur vin soient effectuées. Le désherbage d'hiver en plein et sur le cavaillon leur est interdit. Ils doivent justifier de toutes leurs interventions phytosanitaires par îlot cultural, identifier et entretenir les infrastructures agroécologiques. Au niveau oenologique, les teneurs en SO2 de leurs vins doivent être inférieures de 30 mg/l aux teneurs légales. Ils doivent trier les déchets et promouvoir la démarche Terra Vitis. Les adhérents doivent également choisir deux fiches progrès et les mettre en oeuvre. Tous les ans, ils sont contrôlés par un organisme indépendant. S'ils répondent aux exigences, ils reçoivent l'autorisation d'utiliser la marque pour une année.
Le Point de vue de
Jean-Louis Chevallier, président de la cave coopérative des Producteurs de vins de Montlouis, à Montlouis-sur-Loire (Indre-et-Loire)
« À l'avenir, la labellisation Terra Vitis sera un droit d'accès aux marchés »
« Nous avons démarré la certification Terra Vitis en 2009. L'objectif : travailler en viticulture raisonnée, apporter une traçabilité irréprochable à nos produits et valider nos actions. Aujourd'hui, nos seize adhérents sont certifiés, ce qui représente 160 ha. C'est la coopérative qui prend en charge le coût de leur adhésion. Si jamais l'un d'entre eux n'obtient pas la certification une année, les raisins qu'il livre sont isolés et mis en commun avec ceux que nous achetons à des tiers pour être vinifiés à part. Depuis 2009, les vins labellisés arborent le logo Terra Vitis. Il n'y a qu'en 2013 que nous n'avons pas obtenu le label à cause d'un problème de traçabilité.
Nous avons opté pour cette certification parce que nous travaillons beaucoup avec la grande distribution. Or, certaines centrales se montraient de plus en plus demandeuses de produits issus de la culture raisonnée sans pour autant exiger une certification. Nous nous sommes dit qu'ils auraient un jour cette exigence. La démarche étant assez lourde, nous avons voulu anticiper sur cette tendance. La labellisation Terra Vitis ne nous apporte pas de plus-value, mais nous pensons qu'à l'avenir ce sera un droit d'accès aux marchés. Nous vendons aussi un tiers de nos volumes en direct. À l'entrée de la cave, nous avons installé un panonceau expliquant la démarche, et le personnel qui accueille les clients leur en parle. C'est un argument de discussion que l'on développe et les réactions sont positives. »
Le Point de vue de
Francis Wenner, Champagne Guy de Forez, 11 ha de vignes, Les Riceys (Aube)
« Une démarche trop méconnue »
« J'appartiens au groupe de viticulteurs qui a fondé l'association Terra Vitis Vignoble champenois et je suis certifié depuis deux ans. Dès que j'ai su que cette démarche se mettait en place chez nous, j'y ai adhéré car, à l'époque, il n'y avait pas d'autres certifications. Je fais partie des viticulteurs à la pointe du développement durable. Depuis vingt-cinq ans, j'essaye de mettre en place les pratiques les plus respectueuses de l'environnement. En 2008, mon IFT (Indice de fréquence des traitements) était déjà inférieur de 35 % à la moyenne régionale. Depuis, j'ai adhéré au réseau de fermes Dephy dans le plan Ecophytos mis en place par la chambre d'agriculture. En 2011, je me suis équipé d'un nouveau pulvérisateur Bobard jet 6 000 qui traite face par face. Grâce à cet appareil, je ne mets en général que 50 % de la dose pour les deux premiers traitements, ensuite, je passe à 75 %. En encadrement de la fleur, je traite à pleine dose, puis, à nouveau, je réduis doucement le dosage. Grâce à ces nouveaux efforts, en 2013, mon IFT était inférieur de 37 % à la moyenne régionale de 2008. En 2014, sur l'ensemble de la commune, qui comprend 866 ha de vignes, nous avons mis en place un réseau de huit pluviomètres. Nous les relevons tous les matins à 8 heures. Cela nous permet d'affiner davantage le positionnement des traitements. En ce qui concerne l'entretien des sols, depuis cinq ans je ne mets quasiment plus d'herbicides et je travaille les sols. La certification Terra Vitis est pour moi une façon de faire connaître à mes clients tout le travail réalisé. J'ai expliqué la démarche sur notre site internet et via un mailing. Mais elle est reste encore trop méconnue. Contrairement au bio, il n'y a pas de véritable demande des marchés pour cette certification. À nous de continuer à la promouvoir.