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AU COEUR DU MÉTIER

« Je peux m'occuper à fond de la production »

COLETTE GOINÈRE - La vigne - n°270 - décembre 2014 - page 26

TIRER TOUJOURS PLUS HAUT LA QUALITÉ DE SON VIN : c'est le credo de Julien Berjal, à la tête du Château Le Chatelet. Déclassé en 1996, son vin a obtenu à nouveau en 2012 le classement Saint-Émilion Grand Cru.
EN 2006, JULIEN BERJAL s'est décidé à marquer les pieds des vignes en fonction de leur cépage pour les vendanger tous à bonne maturité.  En rouge, les merlots.  PHOTOS : P. ROY

EN 2006, JULIEN BERJAL s'est décidé à marquer les pieds des vignes en fonction de leur cépage pour les vendanger tous à bonne maturité. En rouge, les merlots. PHOTOS : P. ROY

LE VITICULTEUR CONTRÔLE LA TEMPÉRATURE lors de la fermentation malolactique en barrique.

LE VITICULTEUR CONTRÔLE LA TEMPÉRATURE lors de la fermentation malolactique en barrique.

LA NOUVELLE ÉTIQUETTE (à droite) après le classement en grand cru en 2012.

LA NOUVELLE ÉTIQUETTE (à droite) après le classement en grand cru en 2012.

LE TABLEAU DE BORD DE SON EXPLOITATION

LE TABLEAU DE BORD DE SON EXPLOITATION

DANS LE CHAI À BARRIQUES NOUVELLEMENT RÉNOVÉ, et qui fait office de salle de dégustation, Julien Berjal présente tout le matériel de communication : flyers, verres sérigraphiés au nom du château... Fort de sa notoriété, il espère désormais pouvoir agrandir son domaine en acquérant des vignes.

DANS LE CHAI À BARRIQUES NOUVELLEMENT RÉNOVÉ, et qui fait office de salle de dégustation, Julien Berjal présente tout le matériel de communication : flyers, verres sérigraphiés au nom du château... Fort de sa notoriété, il espère désormais pouvoir agrandir son domaine en acquérant des vignes.

LE CAVISTE ANTHONY OLLIVIER (à gauche), un partenaire commercial indispensable.

LE CAVISTE ANTHONY OLLIVIER (à gauche), un partenaire commercial indispensable.

Ne comptez pas sur lui pour crier sur les toits qu'il fait partie des heureux promus en saint-émilion grand cru classé en 2012. Se mettre en avant, ce n'est pas son genre. « Je ne sais pas faire », avoue Julien Berjal à la tête de Château Le Chatelet. Le viticulteur préfère évoquer le long chemin, ardu, pour redresser la barre de la propriété qui prenait l'eau.

Originaire de Saint-Émilion (Gironde), Julien Berjal baigne dans le vin. Son père, ses oncles et cousins sont tous propriétaires viticoles. Sauf que Julien, lui, a une passion pour la mécanique. Il enchaîne un BEP maintenance des systèmes et un bac STI électrotechnique. Mais à force de traîner dans les chais, il bifurque vers un BTS viticulture-oenologie qu'il obtiendra en 2001.

En janvier 1996, son père hérite du Chatelet et de ses 3,65 ha, à Saint-Émilion. Un cadeau empoisonné. La même année, la propriété sort du classement des grands crus de saint-émilion. La qualité du vin est jugée insuffisante et un autre vin (2 ha de Clos-Saint-Valery) est vinifié dans le chai, ce qui est rédhibitoire. Le Chatelet est vendu en bouteilles à des prix très bas et les dettes s'accumulent.

Lorsqu'en 2001, Julien, 20 ans, intègre le château, l'horizon semble bouché. La propriété nécessite des investissements. Julien s'attaque en priorité à la conduite de la vigne. « Il fallait remonter la surface foliaire, revoir la taille, mal réalisée, et passer du guyot simple au guyot double », se souvient-il. Dans le même temps, il arrête le désherbage chimique.

En 2005, il prend à bras-le-corps la commercialisation. Il décide de se passer du négoce, qui écoule de 70 à 80 % de sa production selon les années, le reste étant vendu à la propriété. « Le négoce veut de la qualité mais il propose des prix trop bas. » Julien met le cap sur la vente aux particuliers. Sur ses propres deniers, il finance 15 000 flyers qu'il dépose dans les bons restaurants de Bordeaux et de la Gironde et dans les offices de tourisme. D'avril à décembre, il ouvre le château qui dispose d'une belle salle de dégustation.

En 2006, il fait acte de candidature au classement en grand cru. Sans trop d'espoir. « Les dégustations portaient sur les millésimes de 1993 à 2002. On n'était pas à la hauteur. » La propriété n'est pas retenue. Qu'à cela ne tienne ! Julien Berjal continue de tracer sa route. Il décroche un prêt de 40 000 € pour renouveler l'outil de production. La propriété se dote ainsi d'un nouvel érafloir avec une table de tri vibrante de quatre mètres de long. Julien décide de ramasser chaque cépage à bonne maturité. Mais ce qui paraît une banalité relève du défi sur son exploitation. De fait, le viticulteur est confronté aux anciennes pratiques. « Lorsqu'un pied de vigne mourait, on ne regardait pas par quel cépage le remplacer. On complantait des cabernets dans les merlots et inversement », explique-t-il. Pour clarifier cette situation, il marque les pieds avec des colliers de couleur : rouge pour les merlots, blancs pour les cabernets francs et jaunes pour les cabernets-sauvignons. « Cela permet de vendanger tous les cépages à leur optimum. Depuis, nous avons fait un gain qualitatif énorme, même si le coût de production est plus important. »

Il se lance, cette même année, dans la vinification intégrale en barriques. Il achète huit barriques de 400 l, de quoi vinifier 10 % de sa production. La macération s'y fait directement. L'intérêt ? Vendanger à la carte des microparcelles. Sans compter le gras et la structure qu'apportent les échanges avec le bois.

En 2008, il diminue les rendements en pratiquant une vendange en vert plus sévère. Les raisons ? « D'abord, je souhaitais gagner plus de concentration en bouche. Ensuite, j'avais des difficultés à vendre. Je n'avais pas envie d'accumuler les stocks. Autant produire moins », explique-t-il. Sa capacité est de 20 000 bouteilles, il n'en fera que 15 000.

Début 2010, les huissiers frappent à la porte. Dans les chais, quatre récoltes et demie se sont accumulées. « Je ne dormais plus beaucoup. J'ai pris peur. Comment m'en sortir ? J'étais aux abois et j'étais seul », lâche-t-il. L'éclaircie va venir de sa rencontre avec Anthony Ollivier, caviste et négociant créateur de Marchand de Soif à Saint-Émilion. Tous deux signent un accord. Antony Ollivier s'engage à acheter au minimum 6 000 bouteilles par an. En contrepartie, Julien lui accorde l'exclusivité de la distribution de ses vins pendant dix ans. Depuis, le viticulteur se frotte les mains : « Anthony Ollivier est un négociant à part. Seule la qualité du vin lui importe. Et puis, il fait tout pour mettre en avant votre bouteille. C'est un vrai partenaire », martèle-t-il. Du coup, Château Le Chatelet se retrouve sur la carte d'une trentaine de restaurants étoilés (Passard, Ducasse, Coutanceau...).

À l'été 2011, Saint-Émilion est en effervescence. Les châteaux se préparent à postuler pour le prochain classement 2012 en grands crus. Julien s'interroge. Va-t-il tenter le coup ? Ses chances de réussite ne pèsent pas lourd. « En termes de notoriété, je n'avais pas beaucoup d'articles de presse à fournir. Tout au plus, cinq par millésime. Et aucun architecte de renom n'avait procédé à la rénovation de mes bâtiments », explique-t-il.

Mais il tente le coup. En deux mois, il bâtit un dossier de 84 pages, assorti de témoignages de professionnels de la restauration tels que le traiteur parisien Potel et Chabot, le sommelier Frédéric Rouglan ou Sodival, importateur de Nouvelle-Calédonie. Tous attestent de la notoriété de son vin. En septembre, le dossier est ficelé. Julien Berjal s'acquitte de 6 000 € pour se présenter, « sans trop y croire ». Un an plus tard, le 6 septembre 2012, le classement est dévoilé. La veille les promus ont reçu une lettre recommandée. Rien pour Julien Berjal. Un retard dans le courrier qui provoquera une « grosse angoisse ». C'est sur internet, ce 6 septembre à 18 h 30, qu'il découvre qu'il intègre les grands crus classés. Ils sont une petite poignée de nouveaux promus parmi lesquels Château Le Chatelet qui côtoie des propriétés tenues par des industriels et investisseurs, des Clément Fayat, Baron Bic, Marionnaud.

« J'étais vraiment fier. J'ai téléphoné à ma femme, à mon père. J'ai remercié Anthony Ollivier, je lui dois ma notoriété », glisse-t-il. Discret, Julien Berjal ne fera pas de communiqué de presse pour annoncer la bonne nouvelle. En revanche, il change d'étiquette, en remplaçant les lettres noires par des dorées, en relief. Il adopte une nouvelle bouteille plus « classe » - le modèle « caudalie » de Saverglass - et augmente de 25 % le prix du millésime 2012, qui passe de 41 € la bouteille à 55 €.

Fin 2012, sa banque lui accorde un nouveau prêt de 40 000 €. De quoi rénover son chai doté désormais de 40 barriques. Cette année, il a acheté deux cuves en Inox à ciel ouvert pour faire du pigeage. Il a également acquis un pressoir vertical pour améliorer la qualité de ses vins de presse et un tracteur pourvu d'une cabine. Ce qui ne l'empêche pas de privilégier la simplicité. Il se dit fervent adepte des outils mécaniques plus faciles à réparer que les hydrauliques. Ainsi, pour désherber les rangs de vigne, il a choisi d'utiliser des lames mécaniques.

Aujourd'hui, il l'avoue : « J'ai l'esprit libre. Je peux m'occuper à fond de la production. » Le chiffre d'affaires progresse. La propriété, en bio depuis trois ans, sans être certifiée, attire nombre de visiteurs. Par le biais des « wine tours », des groupes de deux à dix personnes font halte à la propriété au moins deux fois par semaine. La visite et la dégustation sont gratuites. 600 bouteilles disparaissent ainsi par an. Mais les clients achètent, si bien qu'en 2013 l'activité d'oenotourisme a rapporté 50 000 € de chiffre d'affaires sur un global de 330 000 €.

Julien Berjal ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. « J'aime relever de nouveaux défis », confie-t-il. Son rêve ? Acheter des vignes à Lalande-de-Pomerol. En attendant, il est allé vinifier en barrique un côtes-de-bourg, issu d'une vingtaine d'ares, sur la propriété de son parrain. 1 200 bouteilles sortiront en 2016 pour une clientèle particulière. En ce moment, il mène des négociations avec un cru classé de Sauternes. L'idée est la même : élaborer à petite échelle un vin, l'acheter pour le revendre. Juste 600 bouteilles. Jouer au viticulteur et au négociant sur d'autres appellations. Pour se faire plaisir. « J'aime comprendre ce qui se passe ailleurs », répète-t-il. Sa voie est tracée.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ

Le plus beau succès : être revenu en 2012 parmi les grands crus classés de Saint-Émilion après avoir été déclassé en 1996. Il se dit « heureux » d'avoir porté seul son vin jusqu'à cette consécration, sans l'aide de consultants contrairement à des propriétés voisines tenues par de riches investisseurs.

Julien Berjal se dit « fier » d'être sorti du négoce de la place de Bordeaux à partir du millésime 2005, considérant qu'il ne valorisait pas assez les vins.

Il se félicite également d'avoir mené une stratégie de commercialisation tournée vers les particuliers et se trouve chanceux d'avoir un très bon partenaire commercial, qui écoule son vin auprès des restaurants étoilés.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'IL NE REFERA PLUS

Julien Berjal ne souhaitait pas devenir viticulteur. Il a refusé en 1997 de reprendre la propriété de 3 ha Chante Alouette, à Saint-Émilion, que détenait son père. Il s'en mord les doigts aujourd'hui, son père l'ayant vendue. Aujourd'hui, Julien cherche une petite propriété pour pouvoir s'agrandir !

UN AVENIR INCERTAIN Trois motifs d'inquiétude

- « Le prix du foncier des grands crus classés atteint de 1 à 4 M€ l'hectare, constate Julien Berjal. C'est énorme. Dans ces conditions, il est très difficile de payer les droits de succession. La transmission d'entreprise s'avère très compliquée. C'est une vraie problématique. »

- « Un grand nombre de grands crus classés sont tenus par des investisseurs qui ont d'énormes moyens. Lorsqu'ils rénovent un chai, ils font appel aux architectes les plus connus. Je ne peux pas suivre. J'ai peur qu'à terme ces critères de rénovation, par exemple, soient davantage pris en compte dans le classement. Or, ils n'influent pas sur la qualité d'un vin. »

- « En été, il y a de plus en plus d'orages de grêle de très forte intensité. Ils sont courts, très violents et se répètent. Du coup, début 2014, j'ai pris une assurance multirisque contre la sécheresse et la grêle. »

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L'exploitation

- Main-d'oeuvre : Julien, cogérant avec son père Alain de la SCEA Alain Berjal, deux salariés (un sur la vigne, un chargé de l'oenotourisme), 15 saisonniers 2 à 4 jours par an pour les travaux d'effeuillage, d'éclaircissage et de vendanges.

- Surface : 3,18 hectares

- Appellation : Saint-Émilion Grand Cru

- Densité : de 6 600 à 8 500 pieds/ha

- Mode de taille : guyot double

- Production : 115 hl soit 15 000 bouteilles

L'essentiel de l'offre

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