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VIN

Inertys passe au rouge

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°270 - décembre 2014 - page 52

Jusque-là dédié aux vins blancs et rosés, le pressoir Inertys de Bucher se révèle également intéressant sur les rouges. Des utilisateurs obtiennent des vins de presse plus fruités et moins herbacés. L'explication scientifique est en cours.
PATRICE LÉVÊQUE DÉGUSTE un vin de presse rouge - un château-haut-bergey -, obtenu avec un pressoir Inertys de Vaslin Bucher, à Léognan. © L. WANGERMEZ

PATRICE LÉVÊQUE DÉGUSTE un vin de presse rouge - un château-haut-bergey -, obtenu avec un pressoir Inertys de Vaslin Bucher, à Léognan. © L. WANGERMEZ

« Je ne vois pas pourquoi ce qui est bon pour les blancs ne le serait pas pour les rouges. » Patrice Lévêque, directeur technique des Vignobles Garcin, en Gironde, n'est pas oenologue, et c'est tant mieux. Car c'est sans doute ce qui lui donné l'idée saugrenue d'utiliser le pressoir Inertys pour presser des vins rouges entièrement à l'abri de l'air.

« Dès le premier essai en 2009, nous avons constaté que les vins de presse étaient plus fruités et moins herbacés. » Sur cette propriété d'une trentaine d'hectares en Pessac-Léognan, Patrice Lévêque recherche une extraction maximale si le millésime le permet. Il pratique une macération préfermentaire à froid, puis effectue jusqu'à dix délestages durant la fermentation alcoolique. S'il remarque une tendance à la réduction en fin de fermentation, il pratique un microbullage. Il élève ensuite ses vins 18 mois en barrique. Durant cette période, il les soutire une à deux fois selon leur évolution. Depuis qu'il pratique le pressurage inerté, il n'a pas modifié son process de vinification. Et ses vins de presse ne sont pas plus sujets à la réduction qu'auparavant.

L'impact économique de ce changement n'est pas mince. Depuis 2009, les premières et deuxièmes presses (P1 et P2) entrent dans l'assemblage du premier vin alors qu'avant elles partaient dans le second vin. Les Vignobles Garcin, qui comptent quatre propriétés (Clos l'Église, à Pomerol, Château Barde-Haut, grand cru classé de Saint-Émilion, Château Haut-Bergey et Château Branon en Pessac-Léognan) ont investi en 2010 dans un second pressoir Inertys, monté sur un camion mobile, pour le Château Barde-Haut et le Clos de l'Église.

Pierre Guillot, oenologue, a suivi les premiers essais du Château Haut-Bergey. En 2011, il a rejoint le Château Pape Clément, à Pessac, dans les Graves. Dès son arrivée, il a introduit le pressurage Inertys pour les rouges de ce cru classé. « La différence est flagrante. Cette technique de pressurage élimine le caractère oxydatif et les goûts herbacés. Nous pratiquons un pressurage de 2 h 20 qui se rapproche de celui des blancs. La montée en puissance est très douce. Il n'y a pas de rebèche. Nous inertons le pressoir et la cuve de destination. On peut prendre notre temps. On ne craint pas l'oxydation », explique-t-il. Pierre Guillot a en effet vérifié avec le NomaSense de Nomacorc l'absence d'oxygène dissous tout au long du pressurage.

L'oenologue constate également que ses presses « se clarifient plus vite, dès la fin des malos. Elles passent une nuit en garde-vin avec des enzymes de clarification, puis nous les entonnons le lendemain ». Sur les 250 hl de vins de presse en 2013, 200 hl ont le potentiel pour être assemblés dans le premier vin, estime l'oenologue.

C'est les expériences de ses clients qui a conduit Vaslin Bucher à creuser le sujet dès 2013. « Ces observations empiriques mettent en lumière l'incidence de l'inertage des marcs sur le profil sensoriel des vins de presse. Nous avons donc monté des expérimentations avec l'ISVV de Bordeaux pour trouver des explications scientifiques à ces résultats inattendus », indique Pascal Noilet, responsable R & D de l'entreprise ligérienne.

Lors des dernières vendanges, Vaslin Bucher a conduit des essais sur divers sites, souhaitant vérifier l'intérêt de la technique pour d'autres cépages rouges. Deux expériences ont été menées sur de la syrah, l'un chez Chapoutier, à Tain-l'Hermitage (Drôme), l'autre au Domaine Chabrier, à Bourdic (Gard). Dans les deux cas, les raisins d'une même parcelle ont été répartis en deux cuves et vinifiés suivant un même protocole, avec pour seule variante le pressurage. Chez Chapoutier, c'était un AOC Crozes-Hermitage, chez Chabrier, des AOC Duché d'Uzès.

Chez Chabrier, la comparaison a été faite entre deux pressurages Inertys, l'un inerté, l'autre non. Chez Chapoutier, le pressurage Inertys a été comparé à un pressoir à cage ouverte. Les résultats sont contrastés.

Patrick Chabrier rejoint les conclusions des Bordelais « Nous avons dégusté les vins de presse avec mon oenologue. Entre les deux process, l'écart est flagrant : la P1 inertée est plus fruitée, ses notes poivrées sont plus intenses. Dans les P2 et P3, le côté végétal est nettement gommé. Du coup, cette année, j'ai assemblé les trois presses dans mes vins de pays, alors que précédemment je n'utilisais que la P1. »

Le vigneron gardois a également noté que l'inertage avait augmenté le volume de la P1. Il a obtenu 8 à 9 hl de P1 avec l'inertage contre 5 à 6 hl sans inertage.

Chez Chapoutier, les résultats sont beaucoup moins concluants. « À la dégustation, on note plus de fruits frais et moins d'oxydation sur les presses inertées. Par contre, les lots non inertés présentent plus de volume, de matière et de sucrosité. Et nous n'avons noté aucune différence significative sur le côté végétal », confie le maître de chai Clément Bartschi.

La syrah, qui est un cépage réducteur, se prêterait-elle moins bien à un pressurage sous gaz inerte que le merlot et le cabernet sauvignon ? La question mérite d'être creusée. L'ISVV publiera en février prochain le résultat du suivi analytique des essais menés depuis deux ans avec Vaslin Bucher.

« Pour le moment, nous constatons les bénéfices pour les vins de presse par l'analyse sensorielle. Nous avons un champ d'hypothèses pour l'expliquer. Il nous faut creuser le sujet », conclut Pascal Noilet.

Un pressurage sous gaz neutre

Le pressurage Inertys fonctionne avec une réserve souple de gaz neutre, généralement de l'azote, suspendue à proximité du pressoir. Une fois la vendange chargée dans le pressoir, le gaz est propulsé de la réserve souple vers la cuve du pressoir pneumatique. La réserve, en PVC souple, permet de transférer le gaz presque instantanément. L'ensemble du pressurage est alors effectué à l'abri de l'oxygène. Le constructeur indique que la teneur en oxygène lors du pressurage est de moins de 2 % dans la cuve du pressoir. Les jus de presse sont évacués par une pompe asservie à leur débit d'écoulement. Les opérations sont automatisées. Une bouteille d'azote de 9 m3 est nécessaire pour le remplissage de la réserve souple de 80 hl au début des vendanges. La consommation de gaz par pressée est estimée à 10 % du volume de la réserve souple, soit 9 m3 de gaz pour dix pressées.

Plus de finesse, moins d'oxydation

Les résultats des essais menés avec l'ISVV de Bordeaux montrent, d'une part, une diminution significative du caractère végétal, observée à l'analyse sensorielle. « Les vins de presse rouges (merlot, cabernet sauvignon) élaborés en 2014 et 2013 par pressurage sous gaz neutre expriment des arômes plus fins. Ils sont moins marqués par les notes de marc et végétales habituellement associées aux vins de presse. Les tanins présents dans les vins de presse sont moins rustiques », indique Philippe Darriet, en charge de cette étude à l'ISVV. Cette différence semble persister dans le temps puisqu'elle est perceptible sur les merlots 2013. D'autre part, les résultats révèlent une teneur moindre en MND (3-méthyl-2,4-nonadione), un composé très odorant associé à une évolution oxydative des vins rouges, mesuré par analyse physico-chimique.

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