En Anjou-Saumur, un maître mot conduit la politique de plantations depuis des décennies : stabilité. Un chiffre l'éclaire : en 1994, le vignoble déclarait 19 800 ha en production. Vingt ans après, la surface est peu ou prou identique, avec 19 600 ha. « Nous avons toujours été raisonnables en terme de plantations », martelait Pierre Aguilas, président de la Fédération viticole de l'Anjou, au sortir de son mandat, il y a dix ans de cela. Cette politique reste inscrite dans le marbre.
L'Anjou-Saumur a donc été rapidement vent debout contre le projet de libéralisation des droits de plantation. En réaffirmant sa volonté de maîtriser son potentiel, mais aussi sa position de producteur d'appellations avant tout. Le vignoble est mixte mais seuls 10 % des vignes sont consacrés aux IGP Val de Loire ou aux vins de France, à parts égales. C'est dans ces deux segments que les choses ont évolué. Un transfert de 700 à 800 ha s'est opéré des IGP vers les vins sans IG en une décennie.
Lors du conseil de bassin Val de Loire d'avril 2014, Patrice Laurendeau, alors président de la Fédération viticole de l'Anjou, avait milité pour une croissance modérée, de 0,3 à 0,5 % par an. « Ceci correspond au volume de droits nouveaux attribués chaque année actuellement [75 ha en 2013-2014 ; 62 ha en 2014-2015, NDLR]. Nous ne voulons pas que notre surface explose, ni perdre du potentiel de production. Il faut maintenir cet équilibre. »
Mais Bernard Jacob, au nom du négoce angevin, estime que cette prudence n'est plus adaptée. « L'approvisionnement n'a pas été suffisant ces deux dernières années. Pour des raisons conjoncturelles - nous avons eu deux millésimes difficiles en rendements - et structurelles car les maladies du bois réduisent le potentiel de production. Or, nous avons des marchés porteurs en rosés et en bulles. C'est le moment d'accompagner le développement de ces marchés par des plantations. Mesurées, maîtrisées, certes, mais significatives. En outre, la moitié de notre vignoble est exploitée par des gens de plus de 50 ans. Le risque de perdre du potentiel est réel », détaille le directeur général d'Ackerman.
Autre point de friction entre production et négoce, le développement des VSIG. « Même si l'Anjou-Saumur n'est pas le vignoble le plus adapté, on peut imaginer planter des vins de France, avec des outils de protection des vins à indication géographique : contractualisation, engagement parcellaire, voire pourquoi pas une densité différente des AOC... », souligne Bernard Jacob.
Patrice Laurendeau n'est pas d'accord et répète ce qu'il a exprimé en conseil de bassin : « Nous ne sommes pas un vignoble de vins de table. Nous n'avons pas les conditions climatiques ni les sols pour atteindre les rendements qui permettraient que la production de VSIG soit viable pour les vignerons. »
Si la surface globale ne bouge pas, au coeur de l'encépagement, les choses évoluent au gré des marchés. En moins de dix ans, le cabernet franc, cépage destiné aux rosés demi-secs, a progressé de quelque 300 ha, au détriment du gamay en baisse de 200 ha, et d'une multitude de petits cépages. Désormais, il est de loin le premier cépage d'Anjou-Saumur et couvre 9 500 ha dont environ 40 % sont orientés vers le cabernet d'Anjou et le reste vers les vins rouges ou les effervescents. Le grolleau destiné au rosé d'Anjou, voire aux bulles, a progressé de 250 ha, à 2 300 ha. Le chenin pour les blancs tranquilles ou les bulles est resté stable à 5 400 ha.
Cette capacité d'adaptation est une chance pour l'Anjou-Saumur, qui produit diverses appellations sur son territoire avec un même cépage. Une situation qui permet de s'adapter plus rapidement aux marchés sans avoir à étendre les plantations.
« Ce qui est vrai d'un point de vue macroéconomique doit l'être aussi pour les exploitations. Je milite pour que tous les cépages principaux soient représentés au sein de chaque exploitation. Aujourd'hui, les rosés marchent bien. Mais qu'en sera-t-il dans cinq ou dix ans ? Personne ne peut le dire. Il faut donc avoir à sa disposition la variété de cépages pour adapter sa production aux marchés », analyse Olivier Brault, coopérateur et membre du bureau de la Fédération viticole de l'Anjou.
Stabilité ? Hausse maîtrisée ? Le dosage est subtil. « Il faut qu'on travaille ensemble, la production et le négoce, sur nos principales appellations pour savoir où on veut et où on peut aller, en termes de volumes, de marchés et de prix », indique Laurent Ménestreau, l'actuel président de la Fédération viticole de l'Anjou. « C'est seulement à partir de ce travail, que nous pourrons dire si nous allons nous développer ou pas. »
Le Point de vue de
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?
Pascal Biotteau, Château d'Avrillé, 200 ha, St-Jean-des-Mauvrets (Maine-et-Loire)
« Il faut agir avec sagesse, pour garder la maîtrise du vignoble, mais il faut aussi laisser de la liberté aux vignerons qui ont besoin de planter pour transmettre, embaucher un salarié ou faire face à la mortalité des vignes à cause de l'esca. Il y a encore des parcelles classées en AOC non plantées. Je ne crois pas cependant au développement des vins de France dans notre vignoble car on ne pourra pas faire de volume. »
Le Point de vue de
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?
Mickaël Hardouin, Domaine des Clos Maurice, 21 ha, Varrains (Maine-et-Loire)
« Je reste opposé à la libéralisation. Pas question de planter n'importe quoi n'importe où. Aujourd'hui, je renouvelle mes 21 ha. Je viens d'embaucher un nouveau salarié. Alors, oui, pour mieux amortir mes coûts de production, je pourrais m'agrandir de 2 ou 3 ha, mais je n'ai pas de velléités à me développer. Plus de surfaces, ce sont des pesticides en plus. Pas sûr, que sur le volet environnemental et sociétal, on soit gagnant. »
Le Point de vue de
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?
Philippe Delesvaux, 11 ha, St-Aubin-de-Luigné (Maine-et-Loire)
« On peut encore développer le vignoble pour faire du bon vin et le valoriser. Il reste de très beaux coteaux à planter en Anjou. Mais, si c'est pour produire du jus à bas coût, ça n'a aucun intérêt. Concernant les VSIG, je milite pour que les meilleurs terroirs soient revendiqués en AOC. Je préfère que les vignerons restent en appellation plutôt que de faire des vins de France de niche, même bien vendus. La politique de plantation devrait se gérer au niveau du bassin Loire. »