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« 45 minutes pour convaincre »

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°273 - mars 2015 - page 57

LORS DU DERNIER FORUM INTERNATIONAL D'AFFAIRES de Montpellier, Aurélie Charron a enchaîné les rendez-vous avec des acheteurs du monde entier. À chaque fois, elle avait 45 minutes pour les convaincre de travailler avec sa coopérative.
AURÉLIE CHARRON PRÉSENTE SA CAVE à l'acheteur malaisien Chang King Chew.  Celui-ci pourra affiner son choix par une dégustation des vins qui l'intéressent pour enrichir sa gamme avec des vins du Languedoc. P. PARROT

AURÉLIE CHARRON PRÉSENTE SA CAVE à l'acheteur malaisien Chang King Chew. Celui-ci pourra affiner son choix par une dégustation des vins qui l'intéressent pour enrichir sa gamme avec des vins du Languedoc. P. PARROT

C'EST AU TOUR DU FINLANDAIS JONAL TALLGQVIST de présenter sa société à Aurélie Charron. Elle comprend ainsi les besoins de cet éventuel client.  P. PARROT

C'EST AU TOUR DU FINLANDAIS JONAL TALLGQVIST de présenter sa société à Aurélie Charron. Elle comprend ainsi les besoins de cet éventuel client. P. PARROT

Dans l'espace de dégustation, les vins de tous les producteurs présents sont disponibles.  P. PARROT

Dans l'espace de dégustation, les vins de tous les producteurs présents sont disponibles. P. PARROT

Le forum est divisé en sections représentant quatre continents. Chaque acheteur attend à sa table les vignerons avec qui il a prévu un rendez-vous. P. PARROT

Le forum est divisé en sections représentant quatre continents. Chaque acheteur attend à sa table les vignerons avec qui il a prévu un rendez-vous. P. PARROT

Ce mercredi 28 janvier, à 9 heures, il règne une effervescence policée au parc des expositions de Montpellier (Hérault). À l'invitation de Sud de France Développement, 200 acheteurs du monde entier sont venus dénicher de nouveaux fournisseurs de vin du Languedoc-Roussillon. Les drapeaux de tous les pays représentés flottent au-dessus de cet immense espace ouvert qui est subdivisée en quatre continents. Tous les acheteurs sont là pour deux jours de rencontres internationales d'affaires. Chacun est assis à une table bistrot, attendant les producteurs qui vont se succéder pour leur vanter leur offre.

Alma Cersius, cave coopérative de Cers, près de Béziers (Hérault), fait partie des 300 producteurs régionaux qui participent à l'opération. Cette coopérative produit 85 000 hl par an. Elle a démarré la vente directe en 2008 et commercialise 2 millions de cols par an, dont 70 % à l'export.

Aurélie Charron, 41 ans, la directrice commerciale, est sur le pied de guerre. Tenue sobre et confortable, mine avenante, elle se prépare à enchaîner les sept rendez-vous prévus pour la journée. Avec une idée en tête : bien se vendre. À chaque rencontre, elle aura 45 minutes pour donner envie à son interlocuteur de travailler avec Alma Cersius.

Son tour du monde commence par la Finlande. Jonas Tallqvist, directeur commercial du groupe Hartwa-Trade Oy Ab, l'accueille d'une cordiale poignée de main. « Very nice to meet you », lui lance-t-il dans un anglais impeccable. Le jeune cadre tiré à quatre épingles lui présente son entreprise au moyen d'un PowerPoint sur son ordinateur.

En moins de dix minutes, il en fait valoir les atouts : Hartwa-Trade Oy Ab est le troisième importateur finlandais de vin. Il appartient au groupe Royal Unibrew, géant de la distribution de bières, d'eaux minérales et de soft-drinks. Il vend au monopole d'État mais aussi directement aux hôtels et restaurants. Pour la logistique, il bénéficie du réseau de distribution de sa maison mère.

L'entreprise importe chaque année 10 millions de cols de vins. 2,6 millions proviennent de la France, dont 1,7 million du Languedoc. Il cherche un partenaire de taille moyenne pour étoffer son offre de vins de la région de milieu et haut de gamme.

Réceptive à cette entrée en matière très professionnelle, Aurélie attaque sur le même mode. Classeur à l'appui, elle décline les points forts de son entreprise : la sélection parcellaire, la définition précise du profil des produits avant les vendanges, la rémunération des coopérateurs à la qualité, les 24 cépages permettant une grande variété d'assemblages, l'équipement de la cave (pressoir pneumatique, filtre tangentiel) et l'écoute des clients. « Nous avons créé nos propres marques avec des étiquettes novatrices, mais nous pouvons adapter nos packagings à la demande des clients. Nous avons déjà réalisé une vingtaine d'étiquettes personnalisées », précise-t-elle.

Jonas tique sur la marque Vino Erotico, un vin d'assemblage IGP Coteaux du Libron, dont il « craint les effets », s'amuse-t-il. En revanche, les étiquettes « Les pieds dans l'eau », « Les yeux dans les étoiles » et « La tête ailleurs » lui paraissent intéressantes. « C'est une french touch qui peut marcher », avance-t-il, tout en précisant qu'il les soumettra à son équipe.

Le rendez-vous touche à sa fin. Aurélie se prépare à conclure : « Comment voulez-vous qu'on procède pour la suite ? » « Nous allons avancer par étapes. Envoyez-moi une synthèse de cette entrevue, avec la liste de vos prix. La semaine prochaine, je ferai le point avec mon équipe sur tous mes nouveaux contacts. Nous pouvons nous revoir à Prowein, puis à Vinexpo pour affiner les détails de notre collaboration. Et, si tout va bien, on peut envisager une première commande à l'automne », indique Jonas, avant d'ajouter : « C'est le rendez-vous qui m'a le plus intéressé. » « Mais c'est votre premier rendez-vous ! » rétorque Aurélie, pas dupe. La rencontre s'achève dans un éclat de rire. « Si tous mes entretiens sont de la même veine, ce sera une très bonne journée », confie la directrice commerciale, mise en confiance par ce premier entretien.

La seconde rencontre l'emmène en Asie, à la table de Chang King Chew, un passionné de vin, membre de l'association des sommeliers de Malaisie. Depuis trois ans, il est à la tête de la branche vin de Finlux SDN BHD, qui développe en parallèle une activité dans le surgelé. Il souhaite introduire des vins du Languedoc dans sa gamme actuelle, essentiellement composée de ceux du Nouveau Monde et d'Espagne. Il cible deux types de produits : des entrées de gamme pour la grande distribution et des vins premium pour la restauration.

Aurélie lui propose de déguster avec elle quelques échantillons de ses produits. Ils se rendent à quelques mètres de là, dans l'espace où les échantillons de tous les producteurs sont en libre accès. Aurélie commente ses vins. Quel type d'étiquette recherche-t-il ? Faut-il prévoir une contre-étiquette ? Bouchon ou capsule à vis ? Quelles sont les formalités pour exporter du vin en Malaisie ? Peu à peu, Aurélie l'amène à préciser ses besoins et ses exigences. Chang King explique qu'il s'intéresse à la gamme AfterBefore. Elle promet de lui envoyer un tarif et des échantillons. La relation est amorcée. « C'est un autre bon contact », estime Aurélie à l'issue de la conversation.

Sans transition, elle entame la dernière entrevue de la matinée avec Korkenzieher (tire-bouchon), un caviste allemand implanté à Stuttgart. « J'ai hésité à confirmer ce rendez-vous car c'est une petite entreprise. Mais nous avons un agent sur place qui pourrait la suivre. »

Là encore, Aurélie cherche à cerner le plus précisément possible la demande de son interlocuteur. Le caviste est moins expansif que les précédents acheteurs. Il ne cherche que des petits volumes de vins rouges bien travaillés. « Puis-je choisir mon mode de bouchage ou mon étiquette ? », s'enquiert-il. « C'est possible sans surcoût pour un minimum de 3 000 bouteilles », lui précise Aurélie.

L'après-midi commence avec un agent anglais, Cassie Alastair, qui a flashé sur les étiquettes très originales d'Alma Cersius. La coopérative livre déjà l'un de ses plus gros clients. Mais le Britannique travaille également avec Mark & Spencer et Sainsbury, deux leaders de la distribution de vin au Royaume-Uni. Il voudrait les impliquer dans les assemblages des cuvées. « Pour eux, c'est magique de participer aux assemblages », souligne-t-il. « Aucun problème, venez quand vous voulez », l'encourage la commerciale.

Les trois rencontres suivantes emmèneront Aurélie en Russie, au Brésil puis en Hongrie. Centroblat, importateur basé à Saint-Pétersbourg, a besoin d'entrées de gamme à la suite de la dévaluation du rouble. La Pastina, une entreprise familiale brésilienne, importe des vins premium mais cherche également des entrées de gamme pour le lancement d'un site de vente en ligne. Enfin, l'après-midi s'achève avec le Hongrois Süli Tamas, qui représente une société familiale de Budapest spécialisée dans l'importation de vins de qualité pour les restaurants et les épiceries fines.

Il est 18 heures. Fin des rendez-vous. Aurélie a le sourire. Elle n'a pourtant signé aucun contrat au cours de cette journée bien chargée. « Ces prises de contact me font mettre un pied dans les entreprises. C'est une première étape. Cette année, tous les contacts ont été satisfaisants. Il n'est pas sûr qu'ils aboutissent tous, mais on va se battre pour ça. »

LES CONSEILS DE LA COMMERCIALE

- Bien sélectionner ses rendez-vous. Lors de la précédente édition, Aurélie avait eu beaucoup de rendez-vous avec des interlocuteurs qui n'étaient pas les décideurs. Le processus est alors beaucoup plus long. Cette année, elle a choisi en priorité des managers, même s'ils consultent toujours leur équipe avant de prendre une décision. Sur les 35 demandes de rendez-vous, elle n'en a retenu que onze. « L'autre critère important, la place sur la liste des souhaits de l'importateur. Quand on est dans le top 5, on part avec plus d'atouts que si on est en vingtième position », note Aurélie.

- Relancer ses contacts. Il ne faut pas s'attendre à conclure une vente lors de ces échanges. Il s'agit d'opérations de prospection qui nécessitent d'autres étapes pour aboutir. À l'issue des deux journées, Aurélie envoie un mail personnalisé à chacun des importateurs rencontrés en ajustant son offre.

Elle expédie les échantillons demandés dans la foulée.

- Prévoir des supports de communication. Aurélie a remis sa carte de visite, un catalogue des produits et des flyers avec les coordonnées du stand de sa coopérative sur les prochains salons internationaux (Prowein, Vinexpo). Par ailleurs, elle disposait d'un classeur de présentation de son entreprise. Un support visuel (papier ou numérique) est nécessaire pour capter l'attention de ses interlocuteurs.

Deux jours d'échanges

Le Forum international d'affaires est organisé tous les deux ans depuis 2007 par Sud de France Développement. Cette agence du conseil régional du Languedoc-Roussillon sélectionne des importateurs. Fin janvier, elle les invite pendant quatre jours dans la région, au moment du salon Millésime bio. Le lundi, les acheteurs dégustent les vins proposés par les producteurs inscrits au forum. Cette année, ils avaient le choix entre 1 500 échantillons. Ils reçoivent également une fiche de présentation de chaque entreprise. En fin de journée, ils communiquent la liste des rendez-vous qu'ils souhaitent obtenir le mercredi et le jeudi. La veille du forum, les producteurs reçoivent la liste des importateurs qui ont demandé à les rencontrer, avec le rang de priorité attribué. Ils acceptent ou non les rendez-vous. Sud de France Développement facture chaque rendez-vous 120 euros aux producteurs et chaque échantillon 60 euros pour les cinq premiers et 100 euros, les suivants. Durant les deux jours du forum, chaque importateur a un emplacement. Ce sont les producteurs qui se déplacent pour les rencontrer pendant 45 minutes. Une annonce au micro indique la fin des rendez-vous.

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