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DOSSIER - Languedoc Roussillon : la santé retrouvée

Languedoc Roussillon La santé retrouvée

DOSSIER RÉALISÉ PAR MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°275 - mai 2015 - page 22

Emmenée par une nouvelle génération de leaders, la région renoue avec le succès. Les ventes progressent. La situation des exploitaitons s'améliore. Seule ombre au tableau : la capacité à produire semble faire défaut. Le président d'Inter Oc appelle à un partenariat entre production et négoce pour relancer la machine.
À FAUGÈRES, une appellation qui a le vent en poupe, Cédric Guy, vigneron héraultais, inspecte ses vignes. © A.-C. POUJOULAT/AFP

À FAUGÈRES, une appellation qui a le vent en poupe, Cédric Guy, vigneron héraultais, inspecte ses vignes. © A.-C. POUJOULAT/AFP

Le Languedoc-Roussillon est « la région viticole la plus excitante du monde ». C'est l'avis de Hal Wilson, cofondateur et directeur général de Cambridge Wine Merchants. Cet enthousiasme n'est pas feint. Cette société possède sept boutiques implantées dans la région de Cambridge (Angleterre) et vend 500 000 bouteilles de vin par an. Chez ce caviste indépendant, le Languedoc-Roussillon se taille la part du lion. « C'est notre première région en nombre de références. Elle représente 16 % de la totalité de notre gamme et 40 % de notre offre en vins français. Et nos ventes progressent tous les ans depuis sept à huit ans. L'an dernier, notre gamme Languedoc a progressé de 16 % en volume et 21 % en valeur. »

Cambridge Wine Merchants vend les vins de la région entre 9 et 70 euros la bouteille, le gros des volumes se situant entre 9 et 20 euros. Sa meilleure vente : un carignan IGP Hérault, vendu 10 euros la bouteille.

Les raisons de ce succès : des vins d'un bon rapport qualité/prix, avec un profil méditerranéen qui se rapproche du style du Nouveau Monde auquel les Anglais sont habitués. La référence au cépage, très fréquente sur les IGP du Languedoc, est un autre atout qui fait mouche auprès d'une clientèle familiarisée avec les vins de cépages du monde entier.

Cambridge Wine Merchants apprécie également la qualité de ses relations avec la trentaine de vignerons auprès desquels il se fournit. « Dans ce territoire, il y a un esprit de camaraderie qu'on ne retrouve pas dans les autres régions françaises », confie Hal Wilson, qui organise deux fois par an des visites en Languedoc pour ses meilleurs clients. Des compliments qui iront sûrement droit au coeur de Jacques Gravegeal, fervent défenseur du Midi viticole. « On est premier partout sauf en chiffre d'affaires : premier vignoble du monde avec 12,4 millions d'hectolitres, premier vignoble bio de France, premier producteur français de rosé et de vins de cépages, premier vignoble de vins doux naturels », assène le viticulteur, président d'Inter Oc et d'Inter Sud de France, l'association qui fédère les trois interprofessions de la région.

Les sorties de chai au plus haut

La région brille également par ses performances commerciales. Depuis deux campagnes, les sorties de chai s'élèvent à 14 millions d'hectolitres, un niveau bien supérieur à la production. Les ventes progressent autant en France qu'à l'export. Avec 3,6 millions d'hl vendus à l'étranger en 2014, le Languedoc-Roussillon s'affiche comme une locomotive des vins français. « Avec une croissance en volume de 5,7 % en 2014, nous limitons le repli des exportations de vins français qui, elles, sont en retrait de 1,4 % », souligne avec gourmandise le chef de file des interprofessions régionales. Partout, excepté au Japon et aux États-Unis, le Languedoc-Roussillon affiche des taux de croissance supérieurs à la moyenne des vins français. C'est sur le marché chinois que la région enregistre sa plus belle performance avec une progression de 24 % en valeur alors que l'ensemble des vins français recule de 5,3 %. Après des années noires, le Languedoc-Roussillon relève la tête. Ses responsables professionnels tiennent à le faire savoir.

« Notre révolution qualitative finit par payer. Nous avons construit une offre mixte IGP-AOP qui nous permet d'être présents sur tous les segments. C'est un modèle gagnant. Plus on sera complémentaire, plus on sera efficace », souligne Jérôme Villaret, directeur du CIVL, l'interprofession des vins AOC du Languedoc et des IGP Sud de France. Les clivages qui autrefois opposaient AOP et IGP s'atténuent. « Le rattachement des IGP à l'Inao a eu cet effet bénéfique », analyse un observateur.

De nouvelles locomotives

La révolution en cours est dynamisée par une nouvelle génération de producteurs-négociants, dont les deux plus emblématiques sont Gérard Bertrand et Paul Mas. Les avis sont unanimes : tous deux contribuent largement au nouveau rayonnement des vins du Languedoc-Roussillon. En une quinzaine d'années, ces deux fils de viticulteurs languedociens ont construit, autour de leur nom, deux marques de référence qu'ils exportent dans le monde entier en misant sur la qualité. En mars 2015, Paul Mas est arrivé en seizième position dans le classement 2015 des marques de vins les plus admirées au monde, établi par le magazine Drinks International. Il a fait un bond de quatorze places par rapport à l'an dernier et a devancé d'un rang Château Mouton-Rothschild !

À côté de ces deux locomotives très médiatisées, a émergé une multitude d'entreprises dans la même lignée. Vignoble Bonfils, Les Domaines Auriol, Vignoble Lorgeril, Laurent Miquel et Domaine Lafage, pour ne citer que les plus importants, reposent sur ce même modèle de producteur-négociant, bien implanté en Bourgogne ou dans la vallée du Rhône, mais jusqu'ici peu courant en Languedoc.

Des prix en hausse

Cette belle dynamique se répercute sur l'amont. Depuis trois ans, les cours des vins en vrac sont en hausse. En un an, à cause de la petite récolte 2014, ils ont à nouveau progressé de 8 % pour les AOP et de 16 % pour les IGP. Ils s'établissent à des niveaux records depuis dix ans : 87 à 89 €/hl d'IGP Pays d'Oc de cépage rouge, 114 €/hl de corbières et 146 €/hl de faugères, en mars dernier. Une bouffée d'oxygène pour les viticulteurs après des années noires. « Le niveau actuel des cours, sous réserve d'un rendement cohérent avec le type de vins, permet de renouer avec la rentabilité [...] tout en assurant une rémunération correcte au vigneron, souligne CER France Méditerranée, dans son dernier observatoire de la production viticole régionale. L'amélioration des résultats économiques permet une consolidation des situations financières, avec des capitaux propres en augmentation et des niveaux d'endettement en diminution. Il n'en demeure pas moins que les performances des entreprises sont très disparates. »

Les résultats des exploitations en progrès

L'étude porte sur un panel de 946 exploitations. 44 % ont engrangé un bénéfice en 2013, alors qu'elles n'étaient que 18 % en 2006. « L'amélioration se confirme sur l'année 2014 et les perspectives 2015 sont également favorables. On peut s'attendre à ce que la reprise des investissements, observée depuis deux à trois ans, dope ce redressement. On voit maintenant des exploitations qui font 40 000 euros de résultat pour un chiffre d'affaires de 100 000 euros. C'était impensable il y a quelques années. Pour ces exploitants, le problème majeur aujourd'hui c'est la hausse des impôts et des cotisations sociales », note Vincent Lacanal, directeur de CER France Gard.

Cette embellie est également perceptible à travers l'investissement subventionné par l'Europe dans le cadre de l'OCM vin. « Les dossiers présentés sont beaucoup plus solides. Les comptes des demandeurs sont satisfaisants dans 95 % des cas alors qu'en 2009, seulement 20 % des entreprises qui ont sollicité cette aide avaient des comptes corrects », confie-t-on à FranceAgriMer. Au total, aide européenne comprise, la région investit ainsi 70 à 80 millions d'euros par an dans ses chais.

« La trésorerie des exploitations viticoles s'est nettement améliorée, confirme Patrice Roth, responsable du département Agriculture & Coopératives au Crédit Agricole du Languedoc. Au coeur de la crise, entre 2003 et 2010, nous avions deux personnes à plein temps par département qui travaillaient sur la reconstruction d'encours et sur l'endettement des exploitations en difficulté. Depuis trois à quatre ans, ces situations délicates se sont raréfiées. Nous avons réaffecté ces effectifs à d'autres services. » Patrice Roth observe également que la viticulture est la seule activité agricole de la région où les encours de crédit progressent chaque année depuis trois ans. « En 2014, nous avons a accordé le niveau record historique de 82 millions d'euros de crédit Agilor, destinés à financer du matériel agricole », ajoute-t-il.

Un risque de pénurie pour la fin de la campagne

Reste à savoir si cette embellie sera durable. Car la dynamique commerciale pourrait être freinée par la pénurie de vin qui se profile pour la fin de cette campagne. La précédente campagne s'était déjà achevée avec des stocks au plus bas après une récolte de 13,6 millions d'hl en 2013. Avec 1,2 million d'hl en moins cette année, la situation s'annonce encore plus tendue. « Il va nous manquer entre 400 000 et 500 000 hl pour alimenter correctement le marché jusqu'à l'arrivée de la prochaine récolte. C'est très préoccupant. On risque de perdre des parts de marché », s'inquiète Florence Barthès, directrice d'Inter Oc. « C'est la première fois de l'histoire des pays d'Oc que nous avons à gérer une pénurie », souligne Jacques Gravegeal.

Cette situation préoccupe les metteurs en marché qui redoutent, en plus, les conséquences des hausses des cours survenues cette année.

« La production baisse de manière récurrente. En 2013, la région a exceptionnellement engrangé une belle récolte alors que les autres vignobles manquaient de vin. Elle a ainsi pu gagner des parts de marché. Mais les faibles disponibilités et la hausse des cours de cette année risquent de mettre à mal cette dynamique. Il y a cette année des importations massives de vins d'Espagne pour fournir les marchés d'entrée de gamme que la région a perdus. La base de la pyramide va fondre », s'inquiète le négociant Bruno Kessler.

« Sans volume, pas de dynamique de développement »

Bruno Le Breton, producteur-négociant à la tête de BLB Vignobles, est tout aussi soucieux : « Ce qui m'inquiète le plus, c'est qu'on a perdu la compétence pour faire produire la vigne. Dans notre région, nous devrions faire de très bons vins avec de gros rendements car c'est la condition pour rester compétitif. Or, la production n'est pas là. »

Viticulteur-négociant à Vias, dans l'Hérault, Jérôme Vic ne comprend pas « ceux qui font croire qu'il faut diminuer les volumes pour rester rentables. Sans volume, il ne peut pas y avoir de dynamique de développement ».

Au début des années 1990, il reprend le domaine familial de Preignes-le-Vieux. À l'époque, la quasi-totalité de la production des 140 ha de vigne est commercialisée en vrac. Aujourd'hui, il vend l'équivalent de 11 millions de cols par an, moitié en France, moitié à l'exportation. Son domaine, pourtant porté à 175 ha, ne représente plus que 16 % de son approvisionnement. L'essentiel des vins est acheté en vrac via une société de négoce. « C'était la solution pour rentabiliser notre démarche commerciale et pour répondre à la demande de gros clients sans fragiliser la structure », explique-t-il.

Aujourd'hui, il enrage d'être confronté à une pénurie de vin. « Je me réjouis de cette embellie sur la filière, mais je crains que ce ne soit ponctuel. Je pourrai développer de nouveaux marchés, mais je dois me freiner car j'ai tout juste les quantités de vins nécessaires pour fournir mes clients. C'est dommage car dans un contexte de compétition mondiale, il est dangereux de laisser la place aux autres », déplore-t-il.

Trouver de nouvelles formes de contractualisation

La capacité de la région à produire est sans doute l'un des enjeux majeurs des années à venir. L'arrachage primé a fait disparaître 50 000 ha entre 2004 et 2010. Depuis 2011, le potentiel viticole s'est stabilisé à 245 000 ha. Une bonne chose. Reste à redresser les rendements et à retrouver le chemin de la croissance. Le nouveau régime des plantations nouvelles va-t-il permettre d'accroître le vignoble ? Rien n'est moins sûr. Aujourd'hui, les transferts de droits représentent 700 à 800 ha par an. À partir de 2016, il sera possible de planter jusqu'à 2 400 ha de vignes nouvelles. Encore faut-il avoir les finances et les hommes pour porter cette croissance. Les finances, on l'a vu, s'améliorent. S'agissant des hommes, depuis 2010, les installations de viticulteurs progressent : 61 installations aidées en 2013 contre seulement 35 en 2010. Mais ce mouvement ne suffira sans doute pas à retourner une très alarmante pyramide des âges. Ainsi, dans l'Hérault, 66 % des viticulteurs ont plus de 54 ans.

« La filière est interpellée. Sans renouvellement, il n'y aura pas d'avenir pour notre viticulture. Nous avons lancé un vaste chantier sur le sujet au sein de l'interprofession de l'IGP Pays d'Oc. Notre objectif est de trouver de nouvelles formes de contractualisation de longue durée pour assurer un revenu aux producteurs et relancer les installations », indique Jacques Gravegeal, qui a également lancé l'idée de faire appel à une banque d'investissement. Le renouvellement des générations, c'est tout l'enjeu des années à venir.

TROIS INDICATEURS ORIENTÉS À LA HAUSSE

+ 15 % de CA

En 2013-2014, le chiffre d'affaires des vins AOC et IGP du Languedoc-Roussillon a atteint 2,2 milliards d'euros, soit 15 % de plus que deux ans auparavant.

+ 5,6 % en GD

En 2014, les ventes de vins de la région dans la grande distribution française se sont élevées à 2,8 millions d'hl, en hausse de 5,6 % par rapport à 2013.

+ 5,7 % à l'export

En 2014, 3,59 millions d'hl ont été vendus à l'export, soit plus 5,7 % par rapport à 2013, pour une valeur de 813 millions d'euros, en hausse de 8,3 %.

La filière recrute à nouveau

Parmi les signes encourageants : les entreprises recrutent. Depuis cinq ans, les offres de postes à pourvoir en Languedoc-Roussillion se multiplient sur Vitijob, le site de référence en France pour l'emploi viticole. Ces offres suivent la tendance observée au niveau national mais, dans cette région, la progression est plus forte que la moyenne nationale. En 2014, le site a publié 629 annonces pour des emplois dans le Midi contre 377 en 2010, soit une hausse de 67 %. Sur la seule année 2014, leur nombre progresse de plus de 18 % par rapport à 2013. Ces offres représentent près de 18 % des offres nationales, contre 17 % en 2010. La majorité des emplois proposés concernent le vignoble (chef de culture, tractoriste...) et la cave (caviste, maître de chai...).

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :