Et si la nouvelle campagne était celle de la sortie de crise… Après des années de prix bas, l'équilibre entre l'offre et la demande a changé. Les indicateurs économiques de deux grands vignobles - le Languedoc-Roussillon et la Vallée du Rhône - sont tous au vert. Les stocks sont bas. La récolte est bonne en qualité et faible en quantité. Les exportations et les ventes en grande distribution française progressent.
Dans ces deux régions, le mot d'ordre est donc passé : la production doit revaloriser ses prix du vrac - surtout ceux des rouges. Objectif : 110 €/hl pour le cours moyen du côtes-du-rhône, soit 15 €/hl de plus que durant la campagne 2009-2010. Tel est l'appel passé aux vignerons et aux négociants de l'AOC par les responsables professionnels. « Il y a consensus au sein de la profession pour reconnaître qu'en dessous de ce seuil, les viticulteurs ne peuvent pas se rémunérer », explique Gilles Ferlanda, coprésident de la section économique d'Inter-Rhône.
Apprendre à dire « non »
Début octobre, Inter-Rhône a écrit à tous ses viticulteurs et négociants pour rappeler les bons points économiques de l'appellation. « Rien ne s'oppose au raffermissement des cours du vrac. En particulier, les transactions d'entrée de gamme ne devraient pas atteindre des niveaux aussi bas qu'en 2009-2010 », lit-on en conclusion de ce courrier.
« Je bats la campagne pour dire aux viticulteurs qu'ils doivent apprendre à dire “non, je n'ai pas de vin au prix que vous me proposez”, si celui-ci est trop bas », assène Philippe Pellaton, le président du syndicat de l'AOC. « On ne devrait plus voir de vins à moins de 90 €/hl », complète Gilles Ferlanda. Les quelques transactions enregistrées sur les côtes-du-rhône primeur en octobre avoisinaient les 100 €/hl. De quoi remonter le moral des troupes viticoles…
Même bel optimisme dans le Languedoc-Roussillon. « On voudrait obtenir 70 €/hl pour nos cépages rouges. Qu'ils soient en IGP Oc ou en vins de France, le prix doit être le même à qualité égale», annonce René Moreno, président de la cave de Montagnac (Hérault). Un important négociant serait passé aux achats fin octobre à 65 €/hl pour du merlot, donnant le ton au début de la campagne. C'est plutôt encourageant… L'an passé à cette période, ce cépage était vendu 56 €/hl.
Sur les cépages blancs, la viticulture ne cherche pas à augmenter ses prix. « Ils sont correctement rémunérés. Vouloir plus pourrait nous faire décrocher… De plus, le déficit de récolte semble concerner plus les rouges que les blancs », poursuit le président de l'Anivin.
Des propos confirmés par Nicolas Sinoquet, directeur général de l'Uccoar. « Nos six caves coopératives actionnaires évaluent leur récolte au pire 5 % inférieure à l'an passé. On aurait plus de blancs, mais moins de rouges. Le fait notable est que depuis 2007 nous sommes passés sous la barre des 15 Mhl dans le Languedoc-Roussillon. Cette année, on sera même inférieur à 12 Mhl, c'est 4 Mhl de moins qu'en 2006 ! Entre l'arrachage et le réchauffement climatique, on ne devrait plus avoir de grosses récoltes dans le Midi.»
Là encore, producteurs et négociants interrogés s'accordent pour dire qu'une revalorisation du prix des vins rouges est nécessaire si on veut pérenniser le vignoble. « Le problème est de savoir si le rattrapage doit se faire en une seule fois ou s'étaler dans le temps, déclare un acheteur. Proposer à la grande distribution du 70 €/hl pour un cépage rouge du Midi, même bien fait, c'est courir un risque. Pour 7 euros de plus, on peut avoir un bordeaux… »
Même remarque d'un acheteur de côtes-du-rhône : « Entre le manque de disponibilité et les prix demandés, je sais que certains de mes clients iront s'approvisionner ailleurs… »
Quand Bordeaux tousse…
Dans ce contexte, tout le monde se tourne vers Bordeaux. L'adage veut que quand ce vignoble va mal, toute la viticulture française souffre… Or, sur place, on ne crie pas victoire. « La situation ici est bien différente de celle en Côtes-du-Rhône, prévient un analyste. On ne peut pas parler de petite récolte. De plus, il y a encore du stock chez nous. »
Sur place, les prévisions vont bon train. Certains estiment que la pénurie en côtes-du-rhône devrait les servir. Le cours des bordeaux génériques devraient se raffermir. D'autres remarquent que si ce n'est pas le cas, ils auront intérêt à vendre leurs merlots et cabernet-sauvignon sur le marché des vins de France de cépages, ce qui serait un sacré retournement de situation pour une région qui a toujours privilégié l'AOC.
Beaujolais nouveau, l'embellie des cours
Au 29 octobre, les beaujolais génériques affichaient un cours moyen à 164 €/hl, soit 18 % de plus qu'en 2009. Les villages, à 175 €/hl, enregistraient un rebond de 16 %. La petite récolte associée et la baisse des rendements autorisés ont favorisé cette embellie. Cette année, les viticulteurs ne pouvaient vendre que 25 hl/ha de primeur, soit 7 hl/ha de moins qu'en 2009. Les prix sont ainsi revenus au niveau de 2004. « En beaujolais, tout le disponible est parti. Les villages se sont bien vendus aussi », se félicite le président de l'ODG, Gérard Presle. « Le moral est remonté », ajoute un autre responsable professionnel. De quoi aborder avec confiance le marché des vins de garde. « D'habitude, ce marché part avec les prix de fin de primeur, à 100 €/hl », explique un habitué. Là, les exploitations ont refait de la trésorerie. La campagne devrait se tenir. »
Le Point de vue de
Michel Bataille, président de l'union Les vignobles de Foncalieu, basée à Arzens (Aude)
« Dès juin, j'ai informé mes clients d'une hausse possible des prix »
« Dans notre cave, c'est aujourd'hui une certitude : nous avons une plus petite récolte que l'an passé. En tonnage, nous avons rentré 3 % de moins, mais en jus, nous nous orientons vers une baisse de 6 %. Comme nos stocks étaient déjà au plus bas, à mon avis, nous allons avoir du mal à approvisionner certains marchés. Tous les cépages rouges ont souffert. On va manquer de syrah, de grenache, de merlot…
Nous intervenons sur quatre départements. Le Gard a été le plus touché par la baisse de récolte. Notre production en côtes-du-rhône est très faible. En tant que viticulteur, je suis plutôt confiant dans le déroulement de la nouvelle campagne. Sur les vins de cépages rouges, nous devrions sans mal gagner 10 €/hl. Pour les blancs, nous pensons rester stables. En tant qu'opérateur sur le marché des vin en bouteilles, le contexte va être plus difficile… Il va falloir négocier des hausses de tarifs. C'est toujours délicat mais j'ai déjà pris les devants. Dès le mois de juin, j'ai informé mes clients qu'une hausse était prévisible compte tenu de la petite récolte. A l'époque, certains me disaient que je me trompais. Ils me montraient les chiffres officiels. Mais j'étais sûr de mon fait…
Quand il y a un décalage entre les prévisions ministérielles et les observations faites sur le terrain, c'est toujours cette seconde source d'informations qu'il faut prendre en compte… »
Le Point de vue de
Joël Julien, directeur de la cave Les Costières de Pomerols (Hérault)
« La quasi totalité de mon vrac a déjà trouvé preneur »
La cave de Pomerols n'a pas trop souffert des pertes de récolte. Sur le chardonnay et le sauvignon, nous devrions même enregistrer 15 % de plus que l'an passé. En revanche, nous avons un déficit de récolte sur les rouges. Le contexte actuel me fait voir la campagne sous les meilleurs auspices… Fin octobre, j'ai déjà sous contrat 40 000 hl de vin sur les 90 000 hl que j'ai à vendre en vrac. 40 000 autres hl font l'objet de réservations auprès de partenaires. Il me reste donc 10 000 hl pour prospecter de nouveaux clients. Je vais chercher des débouchés bien valorisés…
Notre cave travaille en partenariat avec quatre gros négociants. L'un d'entre eux est déjà passé aux achats. Sur les cépages rouges, j'ai obtenu 12 % de plus par rapport à l'an passé. Pour les blancs, je suis resté au même niveau de prix que la campagne dernière. Je pense négocier avec les autres partenaires une hausse comprise entre 12 et 15 %, suivant les volumes achetés. Je pourrais être plus opportuniste et viser + 20 %, mais je préfère assurer 12 % et maintenir ce niveau l'an prochain. Pour sécuriser le développement technique de la cave, j'ai bien conscience qu'il nous faut des relations commerciales stables. Jusqu'à présent, cette stratégie nous a été profitable : sur la dernière décennie nous avons investi 10 millions d'euros. Sans de solides partenariats, nous n'aurions pas pu. Par ailleurs, notre cave intervient aussi sur le marché en bouteille. Presque le quart de notre production est commercialisé ainsi. Sur ce circuit, je sais bien qu'une augmentation de 12 % du prix est gérable. Au-delà, cela devient compliqué. Nos coopérateurs savent bien que s'il fallait les rémunérer d'un coup 20 % de mieux, cela se ferait au détriment de l'équilibre de l'entreprise.