FRÉDÉRIC, CHRISTIAN ET OLIVIER effectuent la mise en carton de la cuvée particulière Brigue Royal, un côtes-de-provence rosé conditionné dans une bouteille blanche. F. BAL
FERNAND ET JEAN-MICHEL BRUN et deux employés procèdent à l'épamprage chimique sur 2,45 ha de grenache en AOP Côtes de Provence. À terme, les Brun souhaitent sous-traiter entièrement le travail de la vigne. F. BAL
Relancer leur domaine en partant à la conquête de l'export : au Château de Brigue, 85 ha au Luc, dans le Var, en AOC Côtes-de-Provence, c'est le pari que les quatre frères Brun sont en passe de réussir. Depuis qu'ils vendent à l'étranger, leur production est de mieux en mieux valorisée. Leur chiffre d'affaires à l'hectare a ainsi progressé de 35 % pour atteindre 10 353 euros. Pourtant, la partie n'était pas gagnée d'avance pour Jean-Michel, 40 ans, responsable du vignoble, Christian, 39 ans, à la direction administrative et financière, Olivier, 36 ans, à la direction commerciale et à la communication, et Frédéric, 26 ans, en charge du chai et du suivi de qualité.
En 2002, les trois aînés créent un Gaec, avec leur père Fernand, que le petit dernier intégrera dix ans plus tard. À l'époque, le domaine compte 112 ha de vignes, commercialise 120 000 bouteilles et le solde en vrac. « Au fil des ans, notre marché, centré sur la restauration et des grossistes locaux, s'est effondré », commente Olivier Brun. En 2012, les ventes en bouteilles atteignent le plancher de 50 000 cols et le domaine est tributaire du vrac à plus de 90 %. Le père part à la retraite. La surface passe à 85 ha. Les quatre frères doivent réagir.
Olivier se met à démarcher l'export avec un budget de 50 000 euros par an. Il commence par l'Europe et la Russie. Puis il prospecte les États-Unis où il réalise désormais 20 % de son chiffre d'affaires (30 % sont prévus en 2015). « Le retour sur investissement y est très rapide », commente Olivier. En revanche, le marché russe s'avère décevant. Olivier y renonce et met le cap vers le sud. Cette année, il a ajouté à sa liste de destinations le Brésil et le Mexique. L'an prochain, il retournera dans tous ces pays et se rendra également en Asie, en Océanie et à Saint-Martin, dans les Caraïbes. « Nous ciblons toute la zone autour de l'équateur, la plus importante par rapport aux perspectives de croissance de la consommation de rosé », poursuit Olivier. Aujourd'hui, il passe six mois par an à l'étranger.
« À l'export, on est sur des marchés de marques, friands de nouveaux concepts graphiques, poursuit le chargé des ventes. La mise en exergue d'un signe, d'un chiffre ou d'une lettre sur les bouteilles est primordiale. Il ne s'agit pas seulement de mettre en avant le nom du château. Pour cela, nous travaillons avec un designer graphiste. » Les frères Brun ont ainsi conçu des étiquettes simples et épurées, reléguant toutes les mentions obligatoires sur les contre-étiquettes qu'ils réalisent eux-mêmes grâce à une repiqueuse. C'est économique (3 centimes l'étiquette) et surtout instantané. « Nous n'avons plus à attendre la prestation d'un imprimeur, par ailleurs très chère, pour les petites quantités, explique Christian. Nous indiquons le nom de l'importateur, le millésime... Nous gagnons ainsi dix à quinze jours dans la préparation de nos commandes, ce qui nous permet d'être très réactifs. »
En France, le domaine vend toujours en vrac entre 55 et 60 % de sa production. En 2012, pour s'assurer un volume de ventes stable, les quatre frères signent avec un négociant un contrat de livraison de 900 hl de côtes-de-provence rosé pendant six ans, dont une partie en nom de domaine (Domaine de Brigue). « Un bon compromis », selon eux. Toujours en France, en 2014, ils ont commercialisé 11 000 bib de 5 et 10 litres en IGP Var et en vin sans IG, quasiment au prix de l'AOC.
Plutôt que de vendre en vrac et à perte le solde de leurs IGP et vins sans IG, ils les valorisent en créant des cuvées spéciales vendues plus cher que leurs AOC. Ils tirent notamment profit de la diversité des vingt-deux cépages léguée par leur père. Ils ont également découvert le livre d'Arnaud Immelé, Les Grands Vins sans sulfite. Excellent commercial, Olivier a compris les enjeux en termes d'image et de marché de la production de tels vins. La fratrie s'en inspire beaucoup sur le plan technique, ce qui lui permet de progresser par ailleurs.
Ainsi est né Héritage, un vin rouge sans IG, assemblage d'egiodola, d'arinarnoa [deux obtentions de l'Inra, NDLR] et de merlot. Il est produit « sans sulfites ajoutés » et vendu 15 € le col. Les frères Brun ont aussi lancé Élixir, un blanc sans IG de faible degré (11°) avec 35 g/l de sucre, conditionné dans une bouteille de 50 cl, très fine et élancée, avec une étiquette violette, sobre et attractive. En 2014, ils l'ont décliné en rosé. Ces types de vins séduisent une clientèle jeune et féminine.
Autre cuvée particulière : Bulles de Brigue. Il s'agit d'un effervescent brut à base de mourvèdre, syrah, cabernet-sauvignon et cinsault, vendu 16 € TTC et produit selon le cahier des charges de la méthode provençale. Celle-ci impose la prise de mousse par l'ajout du jus de raisin au vin de base, un jus congelé à la récolte. Elle prévoit aussi un élevage sur lattes de neuf mois minimum. « Le marché des effervescents explose, commente Olivier, par ailleurs président de l'association des rosés effervescents de Provence qui demande l'AOC. La Provence est la région du rosé, il est logique d'y produire un vrai rosé effervescent haut de gamme. » Il espère obtenir l'appellation d'ici trois à cinq ans. En attendant, le domaine conditionne ce mousseux dans une bouteille Saverglass champagne grand cru, avec coiffe, muselet et plaque personnalisée à son nom. Olivier a préparé ses prospects. « Des restaurants locaux et des importateurs très intéressés se sont déjà positionnés. Ils attendent l'AOC pour concrétiser », indique-t-il.
Pour s'adapter à leurs nouveaux marchés, les quatre frères ont profondément changé leur processus de vinification. « Nos rosés étaient beaucoup trop foncés, explique Olivier. Nous avons travaillé pour obtenir les vins pâles et fruités que demande le marché. » En 2009, ils s'équipent d'un groupe de froid et se mettent à vendanger la nuit. Ils ramassent les cépages oxydatifs (grenache, mourvèdre, tibouren...) avec les réducteurs (syrah, cabernet-sauvignon, cinsault...). Ils inertent ensuite les cuves avec les gaz de fermentation, mais ne tiennent pas à employer de la neige carbonique, ni à protéger outre mesure leurs vins. « La protection totale des jus jusqu'à la mise en bouteilles produit des vins fragiles qui ne tiennent pas, explique Olivier. Le vin rosé super-gourmand en janvier ne l'est plus en juillet. Une très légère oxydation au départ permet une meilleure conservation par la suite. »
Les quatre frères se sont également mis à filtrer les bourbes après les avoir travaillées au froid. « Ces jus donnent des vins plus aromatiques. C'est important pour les assemblages », confie Olivier. Ils ont introduit la colle de pois (30 g/hl) qui élimine, le cas échéant, les notes trop orangées et donne des vins plus brillants. Enfin, ils ont remplacé la centrifugation par des filtrations tangentielles à l'abri de l'air, plus respectueuses des vins et pratiquées par un prestataire.
Tous ces changements commerciaux et au chai se sont faits au détriment des investissements au vignoble. Pour réduire les coûts, les frères Brun ont fait appel à des prestataires de services pour la taille, y compris la taille rase à la machine initiée en 2014 dont ils sont très satisfaits et qu'ils vont pratiquer sur 6 ha sans IG. Après le départ à la retraite de deux employés d'ici deux ou trois ans, ils sous-traiteront l'ensemble des travaux à la vigne. « On ne retrouvera jamais une main-d'oeuvre d'une telle qualité », souligne Christian.
Si leur priorité absolue reste l'exportation, le 20 mai, les frères Brun ont ouvert une e-boutique pour développer leurs ventes directes en France (voir encadré ci-dessus). Comme fruit de tous leurs efforts, ils espèrent commercialiser l'intégralité de leur production en ventes conditionnées, soit 500 000 cols, d'ici cinq à dix ans sachant que, cette année, ils devraient vendre 200 000 cols.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ
L'export représentait 1 ou 2 % du CA en 2012 contre 40 % aujourd'hui. Un succès qui a relancé leur domaine.
Ils sont satisfaits des changements techniques initiés au chai pour améliorer la qualité des vins, comme la couleur des rosés.
Les expérimentations de process et produits innovants (tests de levures, enzymes, vins sans sulfites ajoutés, taille rase...) les aident à progresser.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'ILS NE REFERONT PLUS
Lorsqu'ils ont lancé leurs côtes-de-provence en bib, ils ont fixé des prix trop bas et perdaient 2 € par bib. En 2014, ils ont remplacé ces vins par des IGP et des vins sans IG, quasiment au même prix.
Le diable se cache dans les détails. Ils ont livré une commande de 60 bouteilles de 6 l à Miami avec une étiquette de travers. Dans cet univers luxueux à 750 $/col, c'est inadmissible. Depuis, ils veillent aux finitions.
Olivier a démarché la Russie en 2012. Mais il a compris que leur rosé n'avait pas d'avenir dans ce pays à cause du climat et parce qu'il y était considéré comme un vin de femmes. Il a arrêté de le prospecter.
LEUR STRATÉGIE COMMERCIALE « Une e-boutique pour vendre en direct en France »
Si les marchés à l'export restent leur priorité, le 20 mai, les frères Brun ont ouvert une boutique en ligne pour développer leurs ventes directes en bouteilles en France. « La vente de vins progresse sur Internet, relate Olivier Brun. Il y a des parts de marché à prendre, sans investir concrètement sur le territoire. Comme nous n'avons plus de revendeurs dans le pays, nous pouvons afficher nos prix sur Internet sans concurrencer personne. » La commande minimale est de 12 bouteilles et le client peut librement la panacher. Il bénéficie en outre d'une livraison express franco de port. Le paiement par carte bancaire, lui, est sécurisé. Le concept est actuellement en test. Sa mise en place fait partie intégrante de leur stratégie qui vise à valoriser toute leur production en bouteilles. Leur objectif est de réaliser avec cette e-boutique le même chiffre d'affaires qu'au caveau (100 000 €/an) pour, à terme, fermer ce dernier.