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VIN - Spécial levures

Azote Un nutriment indispensable

MARION BAZIREAU - La vigne - n°277 - juillet 2015 - page 42

Les carences en azote assimilable nuisent au bon déroulement de la fermentation. Toutefois, les besoins des levures diffèrent d'une souche à l'autre. Le point sur cet élément essentiel.
L'AZOTE PEUT ÊTRE APPORTÉ AU TIERS de la fermentation avec un apport d'oxygène, au cours d'un remontage. © L. WANGERMEZ

L'AZOTE PEUT ÊTRE APPORTÉ AU TIERS de la fermentation avec un apport d'oxygène, au cours d'un remontage. © L. WANGERMEZ

Qu'est-ce que l'azote assimilable ?

C'est la fraction de l'azote que la levure peut utiliser. Saccharomyces cerevisiæ est capable d'en consommer deux formes : l'azote ammoniacal (ou minéral) et une partie de l'azote organique, à savoir les acides aminés (à l'exception de la proline) et les peptides de petite taille. Dans un moût, l'azote assimilable peut représenter moins de 50 % de l'azote total.

Que se passe-t-il en cas de carence ?

L'azote est le nutriment le plus limitant pour la levure. Les moûts carencés entraînent des fermentations languissantes, voire des arrêts de fermentation. En outre, trop peu d'azote aboutit souvent à une production excessive de composés soufrés, en particulier de sulfure d'hydrogène (H2S). En effet, lorsqu'elle manque d'azote, la levure métabolise le soufre pour produire des acides aminés qui lui serviront à construire ses protéines. Une carence en azote provoque également la production d'alcools supérieurs et l'apparition d'odeurs lourdes de solvants.

Toutes les levures ont-elles les mêmes besoins ?

Non. Il est communément admis qu'un moût est carencé lorsqu'il présente des teneurs en azote assimilable inférieures à 150 mg/l. Mais cette limite n'est pas à prendre au pied de la lettre, toutes les levures n'ayant pas les mêmes exigences. Dans le cadre d'une thèse faite au sein de Montpellier SupAgro et de l'Inra de Montpellier, Claire Brice a étudié les besoins en azote assimilable de 23 souches commerciales. Pour cela, en partant d'un moût carencé, elle a calculé la quantité d'azote assimilable qu'il leur fallait pour réaliser la fermentation à une vitesse constante.

Ses résultats montrent une fois de plus la grande hétérogénéité des levures, certaines souches ayant besoin de moins de 1 mg d'azote assimilable pour dégager 1 g de CO2, quand d'autres en demandent plus de 2,5 mg. « Lors de la fermentation, le dégagement de 1 g de CO2 équivaut à la transformation en alcool de 2,17 g de sucre. Autrement dit, une levure qui a besoin de 1 mg d'azote assimilable pour dégager 1 g de CO2 a besoin de 0,46 mg d'azote assimilable pour transformer 1 g de sucre », rappelle Jean-Marie Sablayrolles, directeur de recherches à l'Inra. On pourrait en déduire que, pour arriver au bout de la fermentation d'un moût qui présente une teneur initiale en sucre de 200 g, cela correspondrait à un besoin initial de 92 mg d'azote assimilable par litre de moût. À l'opposé, les levures qui demandent plus de 2,5 mg d'azote pour dégager 1 g de CO2 auraient besoin, dans le même moût, de 186 mg d'azote assimilable par litre de moût, mais «cela ne correspond pas forcément à la réalité», nuance le chercheur.

Quelles sont les souches les plus gourmandes ?

MTF1782, 7013, une levure sélectionnée par l'Inra de Narbonne et distribuée par La Littorale, et K1M, levure distribuée par l'ICV, sont celles qui, dans l'étude de Claire Brice, ont présenté les besoins les plus forts.

Et celles qui ont le moins de besoins ?

Les levures MTF2029, 4CAR1, Zymasil, distribuée par AEB, Fermiflor de La Littorale et EC1118, sélectionnée par Lallemand, sont celles qui dans l'étude ont été les moins gourmandes.

Quelles sont les teneurs des moûts en général ?

Elles sont très variables. Dans les années 1990, des chercheurs ont mesuré la concentration en azote assimilable d'une centaine de moûts provenant des principales régions viticoles françaises. Les teneurs oscillaient entre 53 et 444 mg/l d'azote assimilable. Avant tout levurage, il est donc important de se renseigner sur les besoins de la souche que l'on va utiliser et de faire analyser les moûts pour voir s'ils sont carencés ou non. Le cas échéant, il faudra prévoir de les complémenter.

En cas de carence, quand faut-il complémenter ?

Tout dépend des teneurs en azote du moût et de l'objectif recherché : augmenter la multiplication des levures ou favoriser leur activité. D'après l'ICV, la multiplication cellulaire est augmentée par des ajouts d'azote jusqu'à la moitié de la fermentation (autour de 1050 de densité). Une partie de l'azote assimilé est alors incorporée dans des protéines de structure, nécessaires à la construction de nouvelles cellules. Pendant la phase stationnaire, deux à trois jours à partir du début de la fermentation, l'azote ne favorise plus la multiplication des levures mais facilite leur activité. En effet, il les aide à synthétiser les protéines qui vont assurer le transport des sucres vers l'intérieur de leur cellule, où ils seront fermentés en éthanol. Techniloire conseille d'intervenir avant la moitié de la fermentation car plus le milieu s'enrichit en alcool plus la levure peine à prélever l'azote. L'apport peut se faire en une seule fois, autour de -30 points de densité, ou de manière fractionnée, avec un premier apport autour de -5 ou -10 points, début de la phase de multiplication, puis un deuxième apport au tiers de la fermentation, conjugué avec un apport d'oxygène, à l'occasion d'un remontage.

Quelle forme privilégier ?

La complémentation en azote minéral passe par l'ajout de sulfate d'ammoniaque ou de phosphate d'ammoniaque (DAP). Pour l'apport organique, ce sont souvent des préparations de levures inactivées. Il existe également des mélanges complexes, comprenant des levures inactivées, des vitamines et du sel d'ammonium. D'après Arnaud Delaherche, responsable levures pour le groupe AEB, « l'azote minéral aide à la multiplication cellulaire et permet aux levures d'atteindre très rapidement un niveau de population de 106 cellules par millilitre, le seuil d'entrée en fermentation. Il est entièrement consommé durant les quatre ou cinq jours qui suivent le début de la fermentation ».

Selon lui, l'azote organique est consommé par les levures quand elles ont épuisé l'azote minéral. En outre, il aide au bon déroulement de la fermentation malolactique. S'il faut corriger une carence, Arnaud Delaherche conseille d'apporter de l'azote minéral au moment du levurage, puis de l'azote organique lors du remontage d'aération après la perte de 30 à 40 points de densité.

Pour rappel, l'ajout de 40 g de DAP par hectolitre apporte environ 100 mg/l d'azote assimilable. Pour l'azote organique, le rendement en azote assimilable est plus faible et variable selon les préparations. Il faut compter en moyenne 2 euros par kilo d'azote minéral, alors que les préparations de levures inactivées ou les mélanges complexes peuvent grimper jusqu'à 25 euros par kilo.

Attention aux excès

Apporter trop d'azote aux levures n'est pas bénéfique.

Au contraire, Jean-Marie Sablayrolles, directeur de recherches à l'Inra, a montré qu'il est dangereux d'apporter trop d'azote. Ainsi, une trop forte population conduit à une mortalité élevée du fait d'une augmentation de la température et de la concurrence entre les levures.

En outre, en fin de fermentation alcoolique, l'azote qui n'aura pas été assimilé par les levures peut contribuer à la formation d'amines biogènes et de carbamate d'éthyl, un composé classé cancérigène.

Enfin, plus les teneurs en azote du moût sont élevées plus la levure aura tendance à synthétiser des esters au détriment des thiols.

Des travaux de l'Inra ont montré que ce phénomène est dû à une compétition entre les précurseurs des thiols et les ions ammonium pour pénétrer dans la levure.

L'essentiel de l'offre

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