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VIN

Azote Chasser les carences dès la véraison

MARION BAZIREAU - La vigne - n°287 - juin 2016 - page 46

À partir de la véraison, les teneurs en azote des raisins n'évoluent presque plus. On peut donc déjà prévenir le risque de carence pour les levures. Cette observation est encore trop méconnue, au péril du potentiel aromatique des vins.
UNE ANALYSE ENZYMATIQUE est indispensable pour doser l'azote à la véraison. Sur moût, cette technique permet également de distinguer l'azote minéral de l'azote organique. © P. ROY

UNE ANALYSE ENZYMATIQUE est indispensable pour doser l'azote à la véraison. Sur moût, cette technique permet également de distinguer l'azote minéral de l'azote organique. © P. ROY

Peu de vignerons ont le réflexe de faire doser l'azote de leurs raisins dès la véraison. « La majorité de nos producteurs ne font analyser l'azote qu'au dernier contrôle de maturité ou à l'arrivée en cave des moûts, voire juste après le débourbage », détaille Anne Kazabian, oenologue à l'Œnolabo du Gers, à Éauze.

En Gironde, David Pernet, directeur du service conseil de Sovivins et Tatiana Paricaud, oenologue pour les laboratoires Dubernet, dans le Languedoc, partagent le même constat : les analyses d'azote sont systématiques en cuve, sur les blancs comme sur les rouges, mais restent anecdotiques en amont. « C'est également plus pratique pour nous d'analyser ce paramètre à la récolte, lors des analyses de série que nous faisons sur les moûts », reconnaît Mathilde Ollivier, du laboratoire Litov-OEnologie, dans le Maine-et-Loire.

Les teneurs en azote des raisins à la véraison sont proches de celles des moûts aux vendanges. C'est ce qui ressort de plusieurs travaux. En faisant des analyses à ce stade, on peut donc prévoir les risques de carence. « C'est vrai pour tous les cépages et dans près de 80 % des cas », détaille Fabrice Lorenzini, chef du groupe d'analyses à l'Agroscope de Changins, en Suisse. La corrélation est encore meilleure quand les raisins contiennent moins de 140 mg/l d'azote assimilable à la véraison. « Le vigneron est alors presque sûr de récolter des moûts carencés. »

Mais ce fait reste ignoré. « L'évolution des teneurs azotées au long de la maturation est un sujet encore assez peu connu et les analyses sont plutôt chères. Seule une poignée de viticulteurs s'en préoccupe », explique le chercheur suisse. En France, une telle analyse coûte entre 15 et 25 € par échantillon.

Bien sûr, pour que les fermentations se déroulent sans heurts, il est toujours possible de complémenter le moût en azote une fois le raisin encuvé. « Mais ce n'est pas la meilleure solution sur le plan aromatique, surtout pour les vins blancs et rosés », souligne Fabrice Lorenzini. Pour avoir des vins expressifs, mieux vaut rectifier le tir au vignoble, si besoin. Et la véraison est le meilleur moment pour cela. « Après, la vigne n'est plus capable d'absorber l'azote. »

En France, l'IFV partage cet avis. En cas de carence moyenne, quand les moûts renferment entre 80 et 150 mg/l d'azote assimilable, l'institut préconise d'appliquer 10 à 15 kg d'azote par hectare, éventuellement associés à 5 kg de soufre, en deux passages. Le premier lorsque la véraison est engagée à 20 %, le second 7 à 10 jours plus tard. « Un passage trop précoce aura une action fertilisante et sera moins efficace pour augmenter l'azote du moût », prévient l'IFV. Les techniciens ont constaté une augmentation de 50 % de la teneur en azote assimilable des moûts pour un apport de 10 kg/ha d'azote, et de 100 % pour 20 kg/ha. Lorsqu'ils ont ajouté du soufre à l'azote, ils ont obtenu des vins 3 à 5 fois plus thiolés. Fabrice Lorenzini, quant à lui, a obtenu de bons résultats en appliquant 5 kg/ha par semaine pendant quatre semaines à partir de la véraison.

« Il faudrait connaître l'azote minéral et l'azote organique assimilables. Or, en plus d'attendre le dernier moment pour doser l'azote, beaucoup de vignerons se contentent de la mesure globale de l'azote assimilable pour calculer leur ajout de nutriments », souligne Arnaud Delaherche, chargé du support technique pour les produits de fermentation chez AEB. Chacune de ces fractions azotées a un rôle bien spécifique. L'azote minéral permet la multiplication des levures. Il représente environ 30 % de l'azote assimilable. « Les levures y sont accros et en viennent à bout trois jours après le début de la FA. Ensuite, elles s'orientent vers l'azote organique, qu'elles mettent plus de temps à digérer mais qui leur permet d'entretenir leur métabolisme et de synthétiser les arômes », détaille Arnaud Delaherche.

Dans l'idéal, il faudrait que le moût contienne 60 mg/l d'azote minéral et 120 mg/l d'azote organique avant de partir en fermentation. L'ajustement de l'azote minéral passe par l'ajout de sulfate ou de phosphate d'ammonium, tandis que les levures inertées permettent de gagner en azote organique.

Cette méconnaissance de la composition azotée tient au fait que la plupart des laboratoires font des analyses en spectroscopie infrarouge à transformée de Fournier (IRTF), une technique qui permet de mesurer de multiples paramètres en une seule fois (degré probable, sucre, acidité totale ou pH...), mais qui ne fait pas la distinction entre les fractions de l'azote assimilable.

Seuls les laboratoires Dubernet, bien qu'utilisant l'IRTF, sont capables de le faire. « Nous sommes les instigateurs de l'IRTF en oenologie et nous disposons de calibrations particulières sur notre appareil Foss, explique Tatiana Paricaud. En revanche, pour doser l'azote à la véraison, il nous faut forcément passer par des analyses enzymatiques, plus lourdes et plus chères. »

Même si elle est plus chère, c'est cette méthode enzymatique que les laboratoires d'Anne Kabakian, Mathilde Ollivier et David Pernet ont choisie. « Elle nous permet de discriminer azote minéral et organique, et de donner au vigneron des consignes précises. Et elle reste rapide. Le client dépose son échantillon le matin et reçoit les résultats dans l'après-midi », rapporte Anne Kazabian. Cette réactivité est importante car les levures indigènes consomment de l'azote pendant la macération des raisins. Arnaud Delaherche conseille d'ailleurs de faire analyser le moût au plus près de l'implantation de la LSA, « au plus tôt l'avant-veille ».

Un élément capital pour la levure

L'azote est le nutriment le plus limitant pour la levure.

Si elle en manque, la fermentation peut traîner, voire s'arrêter. Pour qu'elle se déroule bien, le moût doit au minimum contenir de 140 à 150 mg/l d'azote assimilable. Côté arômes, une carence en azote aboutit souvent à une production excessive de composés soufrés, tels que le sulfure d'hydrogène (H2S). En effet, en l'absence d'azote, la levure métabolise le soufre pour produire des acides aminés qui lui serviront à fabriquer ses protéines. Des odeurs lourdes de solvants peuvent également apparaître. Fabrice Lorenzini précise que les carences sont encore plus gênantes sur les moûts blancs, car elles conduisent à la vinification de vins peu aromatiques, moins riches en esters et en thiols. « Les vins qui ont manqué de nutriments azotés sont plus plats et souvent plus amers. Et les choses s'aggravent encore pendant le vieillissement. »

Maîtriser le rapport feuille/fruit

La dernière étude de l'Agroscope de Changins montre un lien direct entre le rapport feuille/fruit et la teneur des moûts en azote assimilable. Des chercheurs ont appliqué la même quantité d'urée foliaire (5 kg/ha pendant 4 semaines à partir de la véraison) sur des chasselas présentant différents rapports feuille/fruit : de 0,4 à 1,6 m²/kg, avec 90 ou 150 cm de hauteur, et 5 ou 10 grappes par souche. Aux vendanges, les moûts issus des pieds au plus petit rapport feuille/fruit contenaient 230 mg/l d'azote assimilable, quand les moûts des pieds les plus feuillus n'en renfermaient que 143 mg/l. Les chercheurs ont remarqué que quand le rapport feuille/fruit est inférieur ou égal à 0,5 m²/kg, 52 % de l'azote pulvérisé migre vers les grappes, contre seulement 23 % quand il dépasse 1,5 m²/kg. L'équipe suisse conseille de viser 1 à 1,2 m²/kg de feuillage de raisin pour s'assurer à la fois la pleine maturation des raisins, l'accumulation d'azote assimilable dans le moût et le stockage d'azote dans les organes de réserve de la vigne.

Piloter l'azote de la vigne à la cave

La société ITK vient d'obtenir le financement par le Fonds unique interministériel (FUI), d'un projet baptisé « Piloter l'azote de la vigne à la cave pour maîtriser le profil organoleptique des vins ». Des essais, en partenariat avec Nyséos, Frayssinet, Lallemand, l'IFV et des unités de recherche publique, démarreront à l'automne, « pour développer des outils qui permettront aux vignerons et aux oenologues d'adapter les apports d'azote au profil de vin qu'ils visent », détaille Philippe Stoop, directeur de la recherche et de l'innovation chez ITK. D'abord, différentes stratégies de fertilisation seront mises en place sur de petites parcelles de sauvignon et de merlot en Midi-Pyrénées et en Languedoc-Roussillon. « Nous comprendrons mieux le transfert de l'azote dans les baies et le profil aromatique des moûts obtenus. » Puis, des raisins seront vinifiés avec plusieurs couples levures-nutriments. D'ici quatre ans, différents itinéraires de vinification devraient être définis et proposés au vigneron en fonction du vin qu'il recherche.

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