À L'AISE, JEAN-MICHEL ROHFRITSCH va systématiquement au devant des clients. Quelques mots lui suffisent pour savoir s'ils sont disponibles et prêts à déguster. © M. FAGGIANO
DÈS SON ARRIVÉE, Jean-Michel débouche quelques bouteilles à faire déguster pendant que Carmen Kuehn, la commerciale, installe le kakemono aux couleurs de la cave sous l'oeil d'Éric Joanny, le responsable du rayon vins qui les accueille.
ISMAËL (CI-DESSUS) A REPÉRÉ LES BOUTEILLES de la Cave du Roi Dagobert grâce à la cigogne qui orne leurs étiquettes. Il connaît déjà la cave où il a ses habitudes mais cette dégustation peut être l'occasion d'aborder une cuvée qu'il ne connaît pas encore. Jean-Michel recueille ses impressions et lui donne toutes sortes d'explications sur ses vins.
Ce samedi matin 23 mai, Jean-Michel Rohfritsch n'est pas venu faire ses courses au supermarché Simply Market de la Porte de France, à Strasbourg (Bas-Rhin). Il est là pour vendre les vins de sa coopérative, la Cave du Roi Dagobert, à Traenheim (Bas-Rhin). Il découvre le magasin pour la première fois. Mais il repère tout de suite l'endroit où il va passer sa journée. Éric Joanny, le manager du rayon vins, l'a installé en face du stand des légumes frais, près des caisses. Une table l'attend.
Jean-Michel l'habille de la nappe aux motifs traditionnels qu'il a récupérée - avec le reste du matériel - à la coopérative. Il déplie le kakemono à l'effigie de la cave et dispose les cartons de vins sur la table en prenant soin de les ouvrir « car il faut que les gens voient le produit ». Il n'a pas fini de nouer son tablier noir de sommelier et de préparer ses verres de dégustation qu'il est déjà interpellé par un monsieur âgé : « Y aura-t-il de nouveau du muscat ? Je l'aime beaucoup car il n'est pas trop sucré ! » Pas tout à fait prêt, Jean-Michel lui répond calmement : « Nous allons vérifier ça, Monsieur. Vous avez encore des achats à faire ? Repassez donc après ! »
Jean-Michel se hâte de déboucher et de mettre au frais dans une glacière un riesling, un pinot gris, un gewurztraminer vieilles vignes, un rosé et une bouteille de crémant sur les quatre (brut, médaillé, bio et rosé) qu'il a mission de faire découvrir. Arrivé à 10 heures, il a mis une petite demi-heure à être opérationnel, juste avant le rush de la matinée. Le supermarché n'a que 900 m² de surface de vente, mais il profite d'une bonne clientèle d'habitués. Les personnes âgées et les étudiants sont les catégories les plus représentées.
« Pour cibler la jeune clientèle, nous avons créé une cave à bières, explique Éric. Elle stimule aussi la vente de vins. Nous avons une bonne rotation des crémants. Nous travaillons beaucoup avec la cave du Roi Dagobert avec laquelle nous définissons régulièrement des offres. Je suis très demandeur d'opérations et d'animations commerciales car c'est un moment d'échanges. Un plus pour nos clients. » C'est lui qui a sollicité Carmen Kuehn, la commerciale de la cave, pour cette animation. Ils ont choisi ensemble de mettre en avant, sans pour autant les proposer en promotion, des vins de fond de rayon, histoire de les dynamiser. « Une dégustation marque davantage qu'une promotion. Et la présence du viticulteur fait que le consommateur se sent plus proche de la cave », argumente Carmen.
Jean-Michel est à l'aise dans cet espace restreint mais passant. Il repère une connaissance et lui fait promettre de repasser. Il aborde une dame qui choisit des légumes et lance sa phrase d'accroche favorite : « Vous connaissez la cave du Roi Dagobert ? » Son interlocutrice hésite. « Vous pouvez goûter sans acheter », enchaîne Jean-Michel. Elle accepte finalement d'essayer le crémant. « Vous le trouvez comment ? » « Pas mal ! ». « C'est un très bel apéritif, à déguster frais ». Jean-Michel va en permanence au devant des clients. Un seul principe le guide : s'adapter à la personne qu'il aborde. Il n'insiste jamais si elle décline son invitation. Mais quand son discours accroche, il enchaîne en lui demandant où elle habite, quels sont ses goûts. Il précise où se situe la cave et ses heures d'ouverture.
L'information intéresse un étudiant auvergnat. Mais il n'a pas le temps de s'arrêter. Jean-Michel lui glisse un dépliant. C'est le minimum qu'il se fixe : un dépliant distribué à chaque personne abordée.
Dimitri, un autre jeune homme, demande si la cave propose du crémant en demi-bouteilles pour sa « grand-mère qui ne veut pas ouvrir une grande bouteille à chaque fois ». Il connaît la cave et promet de s'y rendre à l'occasion. Il se laisse tenter par un rosé. « Il est élaboré avec du pinot noir. C'est sympa pour l'été », lance Jean-Michel. Une dame d'âge mûr affirme qu'elle « n'aime que le champagne ». Le vigneron arrive à lui faire tremper les lèvres dans un crémant. La cliente admet qu'elle doit réviser ses classiques. « Ça fait plaisir », lâche un Jean-Michel tout sourire.
Les dégustations restent plus nombreuses que les refus. Elles sont rapides. Les clients s'arrêtent quelques dizaines de secondes. Rarement plus de deux minutes. Exceptionnellement cinq ou plus. « Il ne faut pas trop casser les pieds aux gens. Surtout quand on voit qu'ils ne sont pas très réceptifs. »
Jean-Michel a de l'expérience. Cet éleveur de poulets est aussi viticulteur coopérateur sur 1,8 ha de vignes. Il a suivi une journée de formation à la vente organisée par la cave du Roi Dagobert. Son thème ? « Comment approcher le client ». « Chacun a sa technique » estime Jean-Michel. « Mais dès la réponse à ma première question, je sais si je peux continuer ou pas. Dans tous les cas, il ne faut pas donner l'impression qu'on aborde quelqu'un pour vendre, même si c'est le but, in fine. » Carmen complète. « Pour ce genre d'opération, il faut sélectionner des adhérents qui ont le contact facile. Rester planté là à attendre le client est le plus sûr moyen de ne voir à peu près personne. Il faut avoir le feeling pour accoster les gens qui font leurs achats, jauger le temps dont ils disposent et aller à l'essentiel : les faire déguster. »
En discutant avec Éric, Jean-Michel a appris qu'un creux de fréquentation se produisait à partir de 13 h 30 environ. C'est le moment de s'accorder une pause d'une heure, le temps d'aller déjeuner à proximité dans un restaurant partenaire, autrement dit un établissement qui propose des vins de la cave sur sa carte.
14 h 30, la reprise est tranquille. « C'est classique. Il y a toujours un peu moins de monde l'après-midi », note Jean-Michel, en vieux briscard qu'il est. Arrive Ismaël qui se laisse convaincre de goûter sans beaucoup de résistance. Et pour cause. Il a reconnu l'étiquette de la cave avec sa cigogne pour emblème. « Je leur achète souvent du vin pour offrir. Du gewurztraminer essentiellement », dit-il. Jean-Michel, qui a surtout cartonné avec le crémant jusque-là, ne rate pas l'occasion de changer de vin et de proposer un gewurztraminer au visiteur.
Le dernier pic de fréquentation, prévu entre 16 et 18 heures, se confirme. La clientèle qui se présente après cette heure-là ne vient que pour du « dépannage ». « Ce ne sont pas les clients qu'on essaie de cibler parce qu'ils ne sont pas réceptifs », indique Jean-Michel.
Quand il prend congé d'Éric, Jean-Michel n'a pas servi toutes les bouteilles qu'il a débouchées. Mais il a quasiment rempli le seau où il collecte les verres de dégustation après leur utilisation par les clients du magasin. Preuve que beaucoup ont goûté ses vins. Il est satisfait de sa journée. « Les clients étaient plus réceptifs que la moyenne. Plus de la moitié a accepté le dialogue. » Carmen n'est pas en reste. Dans ce magasin, les vins de la cave sont bien représentés. En plus du linéaire traditionnel, ils occupent un meuble dédié.
Jean-Michel a permis de vendre 90 bouteilles de plus qu'un jour normal dont 24 bouteilles de pinot blanc collection terroir (4,99 €/col), 18 crémants médaillés (6,20 €) et 18 pinots gris (6,70 €), soit un chiffre d'affaires d'environ 550 €. « C'est très positif. Par rapport à la surface du magasin, ce sont de très bonnes ventes », juge Carmen.
L'opération ne s'arrête pas tout à fait là. Dans les jours qui viennent, Jean-Michel va rendre à la coop sa « fiche d'action » qui, outre ses frais, mentionne son avis sur l'emplacement qui lui a été réservé, ses rapports avec le personnel du magasin, le nombre, la fréquence et la qualité des contacts. Pour lui comme pour Carmen, l'animation doit se prolonger par un effet sur les ventes des vins proposés à la dégustation ainsi qu'une progression de la notoriété de la cave.
Pour Jean-Michel, ce type d'événement provoque des retombées indirectes. « La progression régulière de la fréquentation de notre caveau indique que nous sommes dans le vrai. »
SES QUATRE CONSEILS POUR RÉUSSIR UNE ANIMATION EN GRANDE DISTRIBUTION
- Proposer des vins de saison. Au printemps, le crémant et le rosé sont bien indiqués.
- Accoster les gens sans leur tomber dessus. Il ne faut pas braquer les clients. C'est contre-productif. Tout doit se passer naturellement. Comme si chacun avait l'impression d'engager une conversation amicale.
- Ne pas aborder les clients avec « l'esprit vendeur ». L'animationit doit avoir pour but premier de faire découvrir les vins de la cave au public.
- Se fixer un objectif par type de magasin. Si dans un hypermarché, l'opération peut viser à « faire du volume », dans les plus petites surfaces l'idée est davantage de fidéliser la clientèle en travaillant l'image de marque.
Un système incitatif
La cave du Roi Dagobert envoie ses adhérents faire la promotion de ses vins en grande distribution depuis 2004-2005. L'ensemble des coopérateurs a donné son aval à un système d'encouragement original pour ces animateurs occasionnels. La cave retient ainsi systématiquement 1 % du chiffre d'affaires à chaque adhérent et elle ne le lui verse que s'il participe à cet effort commercial. Elle dispose ainsi d'une trentaine d'animateurs actifs, qui tournent une à cinq fois par an en magasin. Chaque viticulteur qui démarre dans l'animation est parrainé par un collègue expérimenté. La cave fournit à chaque animateur un tablier, des dépliants et des fiches techniques mentionnant les principales caractéristiques (sucre restant, acidité, pH, accords mets-vins) des vins qu'il est chargé de faire découvrir. En dix ans, la coopérative a organisé trois cycles de formation consacrée aux techniques de mise en relation commerciale.