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LANGUEDOC-ROUSSILLON Forte tension sur les rouges

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°278 - septembre 2015 - page 8

Les stocks d'IGP Pays d'Oc rouge sont très faibles après la petite récolte de 2014 dont une grande partie a été vinifiée en rosé. La jonction avec le prochain millésime s'annonce particulièrement délicate.
ANNE DUBOIS DE MONTREYNAUD, propriétaire du domaine de la Vistoule, à Vendres (Hérault), espère valoriser ses merlots au même niveau que la précédente campagne. © P. PARROT

ANNE DUBOIS DE MONTREYNAUD, propriétaire du domaine de la Vistoule, à Vendres (Hérault), espère valoriser ses merlots au même niveau que la précédente campagne. © P. PARROT

C'est une première en Languedoc : le début de campagne s'annonce très tendu pour les IGP Pays d'Oc rouges. Après s'être inquiétés pour leur approvisionnement en blancs en 2013 et en rosés en 2014, les metteurs en marché se demandent s'ils auront assez de rouges cette année. « Il reste très peu de disponibilités en IGP Pays d'Oc rouge. La jonction avec le prochain millésime va donc être encore plus compliquée que l'an dernier avec les rosés, car les vins 2015 ne seront pas prêts avant décembre. Le marché va être très tendu au dernier trimestre », confirme René Vergne, courtier biterrois, qui s'attend à ce que les prix restent fermes.

Les responsables professionnels ont pris la mesure du problème. Lors des différentes réunions de prévendanges, organisées fin août, Coop de France tout comme les Vignerons indépendants ont recommandé à leurs adhérents de lever le pied sur les rosés. Il s'agit d'éviter la surproduction dans cette couleur et d'alimenter correctement le marché en rouges. « Dans la région, les sorties de rouge sont actuellement plus importantes que la production et les stocks diminuent, constate Jean-Marie Fabre, le président des Vignerons indépendants du Languedoc-Roussillon. Baisser la production de rouges au profit des rosés nous mènerait sans doute à nous retrouver en rupture pour certains produits. »

« L'an dernier, nous avons eu une petite récolte en Languedoc. Tout le monde s'est focalisé sur le rosé car les stocks étaient nuls et le marché tirait très fort. Les acheteurs se sont affolés craignant pour leur approvisionnement. Dès lors les vinificateurs ont été encouragés à produire plus de rosé. Le millésime s'y prêtait, certaines parcelles, habituellement destinées aux rouges, ne présentant pas un parfait état sanitaire », explique Jean-Christophe Baille, courtier gardois.

Ces choix ont eu de fortes conséquences. Pour le millésime 2014, les volumes certifiés en IGP Pays d'OC rouge ont baissé de 372 000 hl, alors qu'en rosé, ils ont progressé de 336 000 hl par rapport à 2013. Cette baisse est survenue alors que les stocks de rouges en fin de campagne 2013-2014 étaient déjà en recul. Au bout du compte, pour la campagne 2014-2015, les disponibilités en rouges ont chuté de 700 000 hl (- 13,5 %) alors qu'en rosé, elles ont augmenté de 20 % (+ 336 000 hl). « À partir de janvier, les acheteurs se sont rendu compte du déficit de production en rouges. Le marché s'est donc crispé », commente Jean-Christophe Baille.

À Vendres, dans l'Hérault, Anne Dubois de Montreynaud, qui exploite un vignoble de 215 ha en cave particulière, a senti le vent tourner. L'an dernier, comme tout le monde, elle a mis l'accent sur les rosés. « En 2014, j'avais une petite récolte, mais j'ai maintenu mes volumes en rosé en réaffectant des parcelles que je destinais habituellement à mes rouges. Fin août, cette année, ma cave était quasiment vide, et mes rosés sont sortis dans la douleur. Aujourd'hui, je suis prudente. Je vais vinifier le même volume de rosé que l'an dernier pour répondre à la demande de mes clients. Comptant sur une récolte un peu plus importante, c'est sur les rouges que portera l'augmentation de ma production », confie-t-elle. La viticultrice table ainsi sur des cours au niveau de la campagne passée. « Nous n'avons pas encore parlé des prix avec les acheteurs. On en discutera quand les vins seront finis et qu'on pourra les déguster », précise-t-elle.

À Lédignan, dans le Gard, la cave coopérative, pourtant très orientée vers la production de rosé, va, elle aussi, revoir ses choix. « L'an dernier, nous avions une très forte demande. Qui plus est, en fin de vendange, l'état sanitaire de nos cabernets nous a conduits à les vinifier en rosé. Nous avons tout vendu très vite. En fin de campagne, notre stock était inférieur à l'année précédente. Cette année, nos acheteurs sont également passés très tôt. Ils ont reconduit les volumes en rosé et nous ont demandé un peu plus de rouge. »

À Gignac, dans l'Hérault, Éric Paulet, le président de la coopérative, mise aussi sur des rouges qualitatifs. « Nos quatre plus gros acheteurs sont passés. Tout est réservé. À tel point qu'on aurait pu vendre plus si on avait eu les volumes », précise-t-il. La cave produit des rouges d'une bonne concentration, bien travaillés. « Nous voulons vendre dans le haut de la fourchette. On demande à nos adhérents d'attendre pour avoir de belles maturités. Mais il faudrait que les cours soient plus attractifs. Durant la dernière campagne, les cours du rosé ont dépassé ceux des rouges. Difficile dans ces conditions de motiver nos adhérents pour qu'ils laissent mûrir les raisins afin d'obtenir de jolis rouges. »

Pour cette campagne, Coop de France Languedoc-Roussillon a émis le souhait d'une revalorisation des rouges par rapport aux rosés et d'une hiérarchisation des prix entre cépages. « Il s'arrache beaucoup de cabernet-sauvignon et il s'en replante peu car ce cépage est sensible aux maladies du bois, tardif et moins productif que le merlot. Il faudrait qu'on puisse le vendre à 95 €/hl pour relancer la plantation », estime Éric Paulet. Ce qui correspondrait à 8 % de hausse par rapport au cours moyen de la campagne 2014-2015 (88 €/hl).

Mais attention à ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul prévient Jean-Christophe Baille. « Il ne faudrait pas se retrouver avec un nouveau déséquilibre sur les rosés. Il faut du bon sens. Que les beaux raisins soient affectés à la production de vins rouges, soit ! Mais il faut aussi continuer à produire du rosé car les marchés sont là. »

Inter Oc estime que la bonne récolte de 2015 - 13,5 millions d'hectolitres prévus pour le Languedoc-Roussillon, tous vins confondus - devrait permettre de reconstituer les stocks. « Le point important, c'est de trouver l'équilibre entre le rouge et le rosé. L'augmentation du rendement en rosé, porté de 90 à 100 hl/ha cette année, devrait y contribuer. Elle permettra de répondre à la demande en rosé sans pénaliser la production de cépages rouges », analyse la directrice, Florence Barthès.

L'interprofession table sur 6,2 millions d'hl d'IGP Pays d'Oc certifiés dont 3,3 millions en rouge (+ 500 000 hl), 1,5 million en blanc (+ 100 000 hl) et 1,4 million en rosé (- 300 000 hl). De quoi faire baisser la pression sur les rouges.

Les rouges moins bien renouvelés que les blancs

La pyramide des âges des cépages de l'IGP Pays d'Oc fait apparaître un net écart entre les rouges et les blancs. Mieux valorisés sur le marché du vrac, les cépages blancs, essentiellement chardonnay et sauvignon, ont été efficacement renouvelés ces dernières années. Les vignes de moins de 10 ans représentent 37 % des surfaces en chardonnay et 56 % en sauvignon. En rouge, le vignoble est beaucoup plus vieux. Le merlot, premier cépage rouge en IG Pays d'Oc avec 23 000 ha, est le moins renouvelé. Seulement 21 % des surfaces ont moins de 10 ans. Le cabernet-sauvignon, qui compte 13 827 ha en IGP Pays d'Oc, est un peu mieux loti avec 30 % de ses surfaces qui ont moins de 10 ans. Avec 11 650 ha en IGP Pays d'Oc, la syrah, elle, a bénéficié d'un meilleur renouvellement : 33 % des surfaces ont moins de 10 ans.

Spectaculaire percée des rosés

En l'espace de quatre campagnes, les rosés en AOC et IGP du Languedoc-Roussillon ont connu un essor inégalé. Le volume mis sur le marché a bondi de 1,75 million d'hectolitres en 2011-2012 à 2,4 millions pour cette dernière campagne, soit une croissance de 37 %. Le bassin du Languedoc-Roussillon commercialise aujourd'hui deux fois plus de rosés que la Provence et quatre fois plus que le Val de Loire. Dans la grande distribution française, où les ventes de vins tranquilles sont en retrait, les rosés du Languedoc-Roussillon ont ainsi progressé de 13 % entre 2013 et 2014. L'IGP Pays d'Oc se taille la part du lion avec 62 % des volumes, suivie par les IGP de départements (28 %) et enfin les AOC (10 %).

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