PASCAL PAPILLON, adhérent aux Vignerons des Pierres dorées, accueille les clients dans la boutique de la cave, idéalement située dans le village touristique d'Oingt. © D. BESSON
L'ESPACE DÉGUSTATION, un lieu convivial pour les visiteurs où Pascal Papillon leur fait découvrir les différentes cuvées de beaujolais produites par la cave. © D. BESSON
En matière de commerce, deux conceptions sont possibles : faire venir les clients à soi ou s'installer au plus près des endroits qu'ils fréquentent. C'est cette deuxième option qu'a choisie la cave coopérative des Vignerons des Pierres dorées, née de la fusion des caves de Saint-Laurent-d'Oingt, Saint-Vérand et du Bois-d'Oingt, dans le Rhône.
Sa réflexion fut simple. Classé parmi les plus beaux villages de France depuis 2008, le village d'Oingt attire des dizaines de milliers de touristes chaque année. Tous sont charmés par les bâtisses en pierres dorées qui font la renommée de la région. Situé à seulement 1,5 km de là, le site coopératif de Saint-Laurent-d'Oingt ne profitait pas de cette manne.
En 2011, la coopérative achète donc un espace de 170 m2 dans les anciens locaux d'un négociant, sur la place centrale du village. Elle y installe la boutique Terroir des Pierres dorés pour vendre ses vins et des produits régionaux. L'endroit est tenu par une salariée à temps plein, femme d'un coopérateur. En son absence, des adhérents de la cave la remplacent. Ils sont dix-huit à se succéder ainsi. Éric Gouteillé et Pascal Papillon font partie de cette brigade de vendeurs. Le 25 juillet, lors de notre visite, ce sont eux qui tiennent le magasin.
Pascal Papillon est concerné au premier chef puisqu'il est le responsable du magasin. Debout derrière son comptoir, il observe les clients et met en pratique une technique d'accueil non interventionniste apprise lors d'un stage animé par la chambre d'agriculture du Rhône. Reconnaître le connaisseur, celui qui cherche le conseil, celui qui préfère rester seul... Ces consignes, Pascal Papillon les applique, comme ses collègues. « Je ne saute pas sur le client dès qu'il entre dans la boutique. Nous laissons les gens regarder. Généralement, ils commencent par les produits du terroir avant de s'intéresser aux vins », explique-t-il.
Situé sur la gauche de l'entrée du magasin, l'espace dédié aux produits régionaux, très fourni, compte près de 250 références. Fromages, charcuterie, miel, confitures et autres bières artisanales y côtoient ainsi des ouvrages sur l'histoire locale. « Nous l'avons mis en place dès l'ouverture pour donner aux touristes des raisons supplémentaires d'entrer », explique Pascal Papillon. Et ça marche ! La plupart des clients saisissent un saucisson ou un pot de miel quand ils transitent par cet espace.
Quittant l'espace des produits du terroir, les visiteurs franchissent une arche en pierre pour se « risquer » du côté des vins. Certains ont l'air intimidé devant le mur de bouteilles. D'autres s'intéressent visiblement à une cuvée particulière. Pascal se dirige vers eux. « Je peux vous renseigner ? » Et la discussion de s'engager.
Venu de la Loire toute proche pour visiter Oingt, Jean-Paul se laisserait bien tenter par un rosé. Pascal lui propose de déguster les deux cuvées « maison ». « Nous avons le rosé Terra Iconia et le Carré Rose, détaille-t-il. La différence se fait sur l'extraction de la couleur et de la matière. Le Carré Rose est plus structuré. » Jean-Paul goûte. C'est le second vin qu'il préfère. Sans discuter, Pascal acquiesce. « L'important c'est d'écouter votre palais ; un vin c'est comme un parfum, c'est personnel », souligne-t-il en regardant son interlocuteur. Il répétera ce gimmick plusieurs fois pendant l'après-midi. À chaque fois, elle conforte le dégustateur dans son choix. Jean-Paul repart ainsi avec sa bouteille de rosé et une autre de rouge.
Pascal aborde alors un petit groupe de quatre personnes : un couple de Lyonnais qui fait découvrir le Beaujolais à sa fille et à son mari. « Ce sont nos vins, vinifiés par une cave coopérative », leur explique-t-il. La notion plaît aux visiteurs, manifestement ravis de parler à un vigneron plutôt qu'à un simple vendeur. Figurant sur des étiquettes de beaujolais rouge, blanc et rosé, le nom « Terra Iconia » les interpelle. « Cela signifie "terre d'Oingt" en latin, explique Pascal. C'est notre entrée de gamme. » Des vins vendus à 4,60 euros en rouge et rosé et à 5,50 euros en blanc.
La cuvée Rostre de bélemnite, un blanc vendu 6,60 €/col, intrigue encore un peu plus le quatuor. « C'est le nom d'un fossile que l'on trouve dans les terrains argilo-calcaires dont ce vin est issu. D'ailleurs, nous détenons quelques spécimens de ces fossiles dans la boutique. »
Le terroir reste une valeur sûre. La preuve avec Grégory et Junior, deux randonneurs installés récemment à Lyon et en pleine découverte du Beaujolais. Pascal leur décrit toutes les cuvées de la coopérative et, comme il se doit, commence par Terra Iconia. « Ces vins sont ce que l'on attend des beaujolais : fruités et ronds », souligne-t-il. Les deux amis repartiront avec deux flacons de cette cuvée et se laisseront aussi convaincre par deux Rose Pourpre, le beaujolais vieilles vignes de la cave, à 5,40 euros.
Pascal ne se pose pas en « vendeur ». « Il a cherché à déterminer quels vins pouvaient nous intéresser. Avec lui, j'ai eu le temps de choisir ce que j'allais acheter », apprécie un touriste, arrivé à Oingt sur les conseils d'un office de tourisme. « Cela change de chez les cavistes », confirme Grégory.
À force de vouloir faire découvrir sa gamme, Pascal prend des risques. Vers 16 heures, il engage la conversation avec Annette, une Canadienne accompagnée d'un ami, Denis. Ils veulent découvrir les vins du Beaujolais et sont connaisseurs. Pascal prend plaisir à leur expliquer les différences entre ses cuvées. En une heure, toute la gamme y passe !
Dans le même temps, la boutique se remplit. Pascal jongle avec un autre groupe. Le voilà accaparé. Son collègue Éric est également pris. Résultat : plusieurs visiteurs restent en plan et repartent les mains vides faute d'avoir reçu un conseil. La dégustation terminée, Annette et Denis quittent les lieux... sans rien acheter. Tout juste promettent-ils de revenir « après avoir réfléchi ». « Ça m'énerve un peu », avoue Pascal, dépité, et qui ne peut que constater la difficulté de cerner une clientèle de passage aux intérêts disparates.
Vers 17 heures, la boutique se vide. Pascal en profite pour reprendre son souffle. « C'est très physique une journée passée derrière un comptoir », concède-t-il. Mais la pause est courte. Une nouvelle vague arrive. Ce sont des personnes d'un certain âge qui reviennent d'une exposition d'aquarelles se tenant dans un village voisin.
Venu d'Isère, l'un de ces amateurs d'art cherche un beaujolais blanc. Pascal lui propose de déguster les trois que produit la cave. La discussion s'installe. « L'endroit est très beau, mais il faudrait une bonne table. Il faut de tout pour justifier un déplacement », expose le touriste. Pascal se démène alors pour retrouver le nom d'un restaurant de sa connaissance. Il fouille dans son blouson, n'hésite pas à appeler un ami. Pendant ce temps, il fait goûter d'autres cuvées à son interlocuteur. Bingo ! Celui-ci repart avec un beaujolais blanc, un beaujolais rosé, un blanc de blanc, sans oublier bien sûr un saucisson.
« Les clients nous demandent souvent des renseignements sur la région, observe Pascal. Nous leur répondons du mieux possible. Nous sommes devenus un office de tourisme bis. D'ailleurs, nous affichons toutes les activités proposées aux alentours sur un présentoir. »
Au final, 1 200 euros de vente ont été réalisés pendant la journée, soit un chiffre d'affaires dans la moyenne du mois de juillet. Décontraction et conseil, les deux mots d'ordre de Pascal et Éric ont porté leurs fruits.
Un magasin au succès grandissant
Quatre ans après son ouverture, la boutique Terroir des Pierres dorées a toujours le vent en poupe. En 2014, elle a réalisé 230 000 € HT de chiffre d'affaires, en hausse de 20 % par rapport à 2013. Elle a écoulé 360 hl, soit environ 30 % des ventes directes de la cave des Vignerons des Pierres dorées mais avec une marge supérieure à celle obtenue auprès des CHR. L'achat du local et les travaux ont coûté près de 250 000 euros. « C'était l'opportunité que nous attendions, explique Pascal Papillon, coopérateur installé à Saint-Laurent-d'Oingt et responsable du magasin. Nous voulions créer une belle vitrine pour nos produits. Nous n'avons pas hésité. Cet achat est intervenu à l'époque de la fusion de nos trois caves [Le Bois-d'Oingt, Saint-Laurent-d'Oingt et Saint-Vérand, NDLR], ce qui a permis de partager l'effort d'investissement. » Les Vignerons des Pierres dorées ont ainsi créé un local avec un espace pour divers produits du terroir, un espace pour leurs vingt références de vins et deux salles voûtées pour l'accueil des groupes. Ce magasin est tenu par une salariée embauchée à temps plein, recrutée, entre autres, parce qu'elle parlait anglais. En son absence, des vignerons prennent le relais. Tous ont été formés à la vente. Quatre ans après avoir pris sa décision, la cave ne regrette rien. Pour répondre à l'afflux de touristes, elle a même décidé d'ouvrir sa boutique sept jours sur sept pendant l'été alors que, jusque-là, elle était fermée le lundi, comme le reste de l'année.
QUELQUES PRINCIPES POUR RÉUSSIR LA MISE EN PLACE D'UNE BOUTIQUE
- S'adapter à la demande. Les Vignerons des Pierres dorées proposent des cuvées bio ou élevées en fûts de chêne pour répondre à la demande des visiteurs de leur boutique.
- Vendre des produits du terroir. Si vous montez une boutique séparée de votre domaine, il faut y représenter votre terroir. À Oingt, 20 % des ventes proviennent des spécialités locales.
- Proposer un circuit de déambulation. Il faut que le client puisse se sentir libre de circuler. Seule nécessité : ce circuit doit passer devant l'espace de dégustation.
- Prévoir une zone de stockage suffisante. C'est un des regrets des Vignerons des Pierres dorées : l'entrepôt de leur point de vente est trop petit. Les caves mères doivent donc l'alimenter une à deux fois par semaine.
- Limiter les risques. La boutique Terroir des Pierres dorées est une filiale à 100 % de la cave coopérative, ce qui limite les risques pour cette dernière si des difficultés se présentaient.