« Celui-ci, je l'ai trouvé à Millau. Celui-là du côté d'Ancenis... » Christian Lemoine sort ses boîtes à papillons les unes après les autres et vous emmène en voyage. Pourtant, vous ne quittez pas la pièce qu'il a aménagée au-dessus de son garage de Cléré-sur-Layon, dans le sud du Maine-et-Loire. Tout un univers est rangé là : 20 000 papillons parfaitement étiquetés et référencés dans l'ordinateur qu'il garde à portée de main.
Une passion dévorante pour ce vigneron qui exploite 32 ha dans les Deux-Sèvres, à quelques kilomètres au sud de Cléré. « Je me lève à 5 h 30. Je passe une heure à une heure et demie dans ce bureau. Puis, je vais travailler et je reviens ici le soir après ma journée de travail ainsi que le week-end », déclare en souriant le viticulteur en poursuivant la présentation de sa collection riche d'une trentaine d'individus uniques en France. Et de citer Periphanes delphinii, une noctuelle dont les ailes offrent de jolies nuances de mauve. « La grande majorité des papillons que vous voyez ici, c'est moi qui les ai chassés. Je fais aussi des échanges, mais pas de vente. On est entomologiste, pas commerçant. »
La chasse se déroule en pleine nuit. « On tend deux draps blancs que l'on éclaire avec une lampe à UV. Les papillons, attirés par la lumière, se collent sur les draps. » C'est alors que le travail du collectionneur commence. Il doit distinguer, parmi des centaines d'individus, ceux qui appartiennent à des espèces recherchées.
Quand un papillon l'intéresse, il l'emprisonne dans un tube en plexiglas. L'insecte passe alors 24 heures dans le congélateur. « Quand je le ressors, j'attends dix minutes pour pouvoir déplier ses ailes. » Ensuite, le papillon sèche plus d'un mois, avant d'être piqué dans une boîte-vitrine.
Cette passion s'est mêlée à l'activité professionnelle du viticulteur. Depuis quatre ans, il cherche une parade naturelle aux tordeuses de la grappe. Il a supprimé les insecticides et teste des bandes fleuries pour attirer la faune auxiliaire, notamment les syrphes, consommatrices de pucerons et de cicadelles... « Je cherche les bonnes plantes, avec un semencier. L'objectif est de remettre en place un écosystème », souligne Christian Lemoine.
On pourrait penser qu'il détruit la nature. Mais il se voit comme une vigie, à l'instar de ses amis collectionneurs. « Depuis cinq ou six ans, nous constatons que la population des papillons a été divisée par deux, indique-t-il. La faute à la disparition des haies, aux excès de la chimie... On observe aussi des migrations. Dans le sud de la France, on a identifié des papillons en provenance d'Italie. On capture régulièrement la pyrale du buis, qui vient du Maroc et qui décime les buis de France. Quand on s'intéresse tant aux papillons, on devient un peu botaniste. »
Fruit de tout ce travail : en mai 2013, Christian Lemoine a publié, avec deux compères, Antoine Guyonnet et Norbert Thibaudeau, un catalogue recensant 1 500 espèces de l'ouest de la France. « Il mériterait d'être mis à jour. On a 300 noms à ajouter, indique Christian. Ce n'est pas pour nous faire plaisir que nous l'avons réalisé, ni pour nous mettre en avant, c'est pour laisser une trace. À terme, j'aimerais organiser des animations à partir de ma collection. En particulier avec des enfants. » Car il chassait ses tout premiers papillons dès l'âge de 12 ans.