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VIGNE

Black-rot Le désarroi des bio

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°279 - octobre 2015 - page 30

Dans le Gard et le Vaucluse, le black-rot s'est montré très virulent cette année. Sans produit homologué pour lutter contre ce parasite, des viticulteurs bio ont subi de lourdes pertes. Quelques-uns sont d'ores et déjà repassés en conventionnel. D'autres s'interrogent.
JEUNES RAMEAUX touchés par le black-rot, à Faugères (Hérault), le 1er juin 2015.  P. PARROT

JEUNES RAMEAUX touchés par le black-rot, à Faugères (Hérault), le 1er juin 2015. P. PARROT

LES BAIES ATTEINTES se ratatinent, prennent une couleur chocolat et se couvrent de pustules.  © M. TRÉVOUX

LES BAIES ATTEINTES se ratatinent, prennent une couleur chocolat et se couvrent de pustules. © M. TRÉVOUX

« Le jeudi 25 juin, j'ai écimé une parcelle de merlot. Je n'ai pas vu une seule tache. Le lundi suivant, j'avais perdu 70 % de la récolte. »  François Reboul, vigneron bio depuis 1998 sur 30 ha, à Blauzac (Gard)

« Le jeudi 25 juin, j'ai écimé une parcelle de merlot. Je n'ai pas vu une seule tache. Le lundi suivant, j'avais perdu 70 % de la récolte. » François Reboul, vigneron bio depuis 1998 sur 30 ha, à Blauzac (Gard)

« Je n'exclus pas de revenir au conventionnel, uniquement pour traiter le black-rot » Alexandre Roux, Mas Oncle Ernest, à Entrechaux (Vaucluse)

« Je n'exclus pas de revenir au conventionnel, uniquement pour traiter le black-rot » Alexandre Roux, Mas Oncle Ernest, à Entrechaux (Vaucluse)

« On a frôlé la catastrophe. Si de nouvelles pluies étaient tombées après celles du 12 juin, les conséquences auraient été dramatiques. » François Reboul, vigneron bio depuis 1998 sur 30 ha, à Blauzac, dans le Gard, a eu de très grosses frayeurs en tout début d'été. Après les pluies du 12 juin, le black-rot a explosé sur ses parcelles. Il craignait le pire. Mais, au final, il n'a perdu que 30 % de sa récolte. Et il s'en estime heureux.

« Le champignon était déjà présent l'an dernier, surtout sur mes grenaches. Mais il s'est développé après la véraison et je n'ai pas eu de dégâts sur les grappes, seulement des taches sur les feuilles, rappelle François Reboul. Cette année, rien de comparable. Les premières taches sont apparues sur le feuillage dès le mois de mai. C'est la première fois qu'on assiste à des attaques aussi précoces. Puis, fin juin, j'ai subi des attaques sur les grappes. »

Sans produit homologué en bio contre ce champignon, le viticulteur gardois a appliqué son programme de traitements habituel à base de cuivre et de soufre, en rajoutant des huiles essentielles d'orange douce. « Je ne sais pas si cela a été efficace. Je n'ai pas fait d'essais comparatifs avec des rangées non traitées », confie-t-il. Les dégâts les plus impressionnants sont survenus fin juin sur une parcelle de merlot. « Je l'ai écimée le jeudi 25 juin. Je n'ai pas vu une seule tache. Le lundi suivant, j'avais perdu 70 % de la récolte. L'attaque s'est faite directement sur grappe », raconte-t-il. Puis la sécheresse en juillet et août a bloqué l'épidémie.

Au domaine des Cèdres, à Saint-Nazaire (Gard), dans la vallée de la Cèze, Dominique Pons a modifié son programme de traitements pour limiter les dégâts. « J'ai perdu de 10 à 30 % de ma récolte selon les parcelles. Cela aurait pu être pire », estime-t-il. Le 10 juin, ses vignes ont reçu de la grêle et, trois jours après, 100 mm de pluie. Mais ce pionnier du bio a su gérer cette situation périlleuse. « J'ai pu faire un traitement au soufre entre la grêle et la pluie », confie-t-il.

Sur un tiers de son vignoble, qui avait déjà subi la grêle l'an dernier, il a démarré les traitements au soufre mouillable dès le mois d'avril. Et, à partir de début juin, face à la virulence du champignon, il est passé à des traitements tous les dix jours et face par face sur l'ensemble de ses 14 ha. Bien que le soufre ne soit pas homologué contre le black-rot, il pense que ce produit appliqué fréquemment a freiné l'épidémie.

Malgré les attaques qu'ils ont subies, ni Dominique Pons ni François Reboul n'envisagent une seconde de renoncer au bio. « Je suis en bio depuis quarante-deux ans. J'ai appris à accepter des pertes de récolte », confie Dominique Pons.

À la cave coopérative de Bourg-Saint-Andéol (Ardèche), huit adhérents étaient en bio l'an dernier. L'un d'eux y a renoncé cette année pour pouvoir traiter avec des produits homologués contre le black-rot. Cinq ont décidé de revenir au conventionnel l'an prochain. Quant à Alexandre Chabanis, le président, il s'interroge. « Avec la pression que l'on a eue cette année, je suis très inquiet pour la prochaine campagne. En une pluie, on peut tout perdre. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Je me pose la question. Je suis jeune agriculteur et je ne peux pas me permettre de perdre 25 % de ma récolte. En 2013, j'ai perdu une partie de ma récolte à cause du gel et de la grêle. J'ai dû faire un emprunt. Je ne veux pas prendre de risque », explique-t-il.

Cette année, il a réussi à limiter les dégâts. Il n'a perdu que 10 à 15 % de sa récolte. « J'ai démarré très tôt mes traitements au soufre mouillable car je visais l'excoriose. J'ai commencé à traiter mi-avril au stade pointes vertes. Fin avril, j'avais déjà effectué un, voire deux traitements au soufre mouillable à 10 kg/ha sur 70 % de mon vignoble. Et quand j'ai vu la virulence des attaques en mai, j'ai traité tous les dix jours au soufre. J'ai même passé une nuit blanche pour traiter tout mon vignoble juste avant une pluie. Physiquement et mentalement, c'est très fatigant. Cette année, j'ai réussi ainsi à contenir les attaques. Mais qu'en sera-t-il de l'an prochain maintenant que tout le vignoble est contaminé ? », s'inquiète-t-il.

Le Ventoux a également été touché par le parasite. La virulence des attaques a eu raison de la détermination de plusieurs viticulteurs bio, qui sont repassés en conventionnel pour pouvoir traiter. Alexandre Roux a été à deux doigts d'en faire autant. « Quand j'ai constaté la pression de la maladie au mois de mai, je me suis alarmé. J'étais prêt à traiter avec des IDM. » En troisième année de conversion, ce jeune viticulteur, qui exploite avec son père 24 ha, à Entrechaux (Vaucluse), a finalement poursuivi avec ses traitements au soufre à 12 kg/ha. Au total, il aura pratiqué sept applications à dix jours d'intervalle. Malgré cela, il estime avoir perdu entre 20 % et 30 % de sa récolte, essentiellement sur ses grenaches. « L'année prochaine, je n'exclus pas de revenir au conventionnel. Et si c'est le cas, ce sera uniquement pour traiter le black-rot. Pour le reste, je continuerai en bio », confie-t-il.

40 000 à 50 000 hl perdus dans le Gard

La chambre d'agriculture du Gard a mené une enquête mi-juillet pour quantifier l'ampleur des dégâts liés au black-rot. Elle a ainsi adressé un questionnaire à l'ensemble des viticulteurs du département, bio comme conventionnels. 90 personnes ont répondu dont trois caves coopératives. « Les pertes de récolte varient de 0 à 100 % sur certaines parcelles. Le grenache est le cépage le plus touché. Certaines exploitations estiment avoir perdu plus de la moitié de leur récolte, y compris chez les conventionnels. Les viticulteurs bio sont les plus concernés, mais si un viticulteur conventionnel fait un mauvais choix de produit ou de date de traitement, la sanction est la même », commente Jacques Oustric, responsable du service viticulture. Sur la base de ces 90 réponses, les pertes de récolte sont estimées à 30 000 hl. Extrapolées à l'ensemble du département, cela représenterait un manque de 40 000 à 50 000 hl pour une récolte totale qui s'élève habituellement entre 3,5 et 3,2 millions d'hl.

À Bordeaux, plus de peur que de mal

À Bordeaux, les premières contaminations sont survenues au stade trois à quatre feuilles étalées, avec des symptômes visibles dès le stade 5-6 feuilles. « Début mai, nous avons eu des sorties très impressionnantes. Mais en juin, le temps très chaud et sec nous a aidés. Les viticulteurs en conventionnel ont maîtrisé la maladie avec les fongicides homologués. J'étais pessimiste pour les bios, mais ils ont renforcé les doses de cuivre et de soufre et renouvelé les traitements avant chaque pluie. Au final, les dégâts sont limités. Seules quelques parcelles subissent plus de 50 % de perte de récolte. Soit elles sont très humides, soit il y a eu de mauvaises applications », note Étienne Laveau, conseiller viticole bio à la chambre d'agriculture de Gironde. Et d'insister sur les mesures prophylactiques hivernales : « Il faut éliminer les rafles laissées par la machine à vendanger et les sarments. Si la parcelle n'est pas trop contaminée, on peut les broyer sur place. Sinon, il faur les brûler. »

Un parasite trop mal connu

Alexandre Roux a été surpris de la méconnaissance du black-rot de la part des organismes techniques. En juin, confronté à des attaques « j'ai essayé de m'informer. Mais je suis resté sur ma faim, déplore ce vigneron bio basé à Entrechaux, dans le Vaucluse. Pourquoi le black-rot revient-il sur le devant de la scène ? Comment le combattre ? Je n'ai pas eu de réponses. Du coup, j'ai envoyé des mails tous azimuts pour alerter les techniciens ». Marlène Matignon, du Civam Bio du Gard, le confirme : « Fin juin, nous recevions tous les jours des appels de viticulteurs qui voulaient savoir comment lutter et s'ils pouvaient obtenir une dérogation pour utiliser des produits non homologués en bio. » Elle n'a pu répondre qu'à la seconde question : impossible d'obtenir des dérogations. En ce qui concerne les méthodes de lutte et de l'efficacité des fongicides autorisés en bio : aucune certitude. Des traités et certains conseillers parlent de l'effet freinant du cuivre. Pour d'autres, le soufre serait plus efficace, ce qui concorderait avec les observations des vignerons que nous avons interrogés. Enfin, selon des travaux récents, il vaudrait mieux miser sur des mélanges de cuivre et de soufre. Face à cette situation, le Civam Bio du Gard a organisé une réunion fin juillet avec tous ses partenaires (Sud Vin bio, Coop de France LR, Vif, chambre d'agriculture) pour réfléchir aux actions à mettre en place. À l'issue de cette réunion, les professionnels du Languedoc-Roussillon ont également écrit au préfet de région pour solliciter des fonds spécifiques afin de financer la mise en place d'essais. Sans succès à ce jour.

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