Laffort nologie fête cette année ses 120 ans d'existence. La société connaît pourtant mal le parcours de son fondateur, Jean Laffort. Tout au plus sait-on qu'il est né dans le Bordelais, à la fin du XIXe siècle. Issu d'une famille très modeste, il est autodidacte. « Il a travaillé dès l'âge de 14 ans, affirme Jean-François Laffort, son petit-fils, aujourd'hui président du conseil de surveillance de la holding familiale et qui a dirigé l'entreprise de 1973 à 2006. Il avait sans aucun doute l'instinct de se débrouiller par lui-même. »
Jean Laffort travaille tout d'abord dans une société d'importation et de vente de produits agricoles. En 1895, il se met à son compte et installe son siège à Bordeaux. Très vite, il se montre entreprenant. « Les premiers articles qu'il a vendus pour le vin ont très certainement été des produits de clarification : des charbons et des terres de filtration provenant d'Afrique du Nord », avance Jean-François Laffort. Et toute la chimie nécessaire au nettoyage des fûts et à la conservation des vins : de l'anhydride sulfureux, du métabisulfite de potasse ou de soude mélangés à des tanins ; des produits que l'on appelait alors « anti-ferments ».
Au début du XXe siècle, à Pasajes, en Espagne, il crée une unité de production d'arômes pour les vermouths, liqueurs et autres apéritifs. Ces boissons étant alors à la mode, cette activité a le vent en poupe.
Au fil des ans, Jean Laffort embauche des agents et développe des comptoirs en Afrique du Nord où il exporte de l'anhydride sulfureux.
À Bordeaux, il démarre une activité de production et de purification de charbons et de terres de filtration. Il importe des colles de poisson de Russie. Dans les années 1920, il vend des acides citrique, ascorbique et tartrique. Il est l'un des premiers, selon la société, à utiliser des clarifiants à base de gélatines. Il les chauffe pour les rendre liquides, une forme sous laquelle elles sont facilement utilisables. Il met au point un siphon doseur de 5 litres pour le SO2.
Deux de ses six fils vont reprendre ses activités en 1936, dix ans avant son décès. « Mon grand-père, que je n'ai pas connu, était apparemment très autoritaire. Il avait pas mal de conflits avec ses deux fils », croit savoir Jean-François Laffort. René, âgé de 29 ans, prend la direction de la société basée en France. Son frère Pierre, de deux ans son cadet, celle basée en Espagne.
« René, mon père, a travaillé avec la station oenologique de Bordeaux et Émile Peynaud [célèbre oenologue bordelais, NDLR]. Il n'a eu de cesse d'élever la qualité de ses produits », raconte Jean-François Laffort. Ainsi, pour limiter les odeurs induites par les clarifiants à base de sang animal (interdits depuis la crise de la vache folle), il les mélange avec du charbon activé. La mise au point, en 1958, de la fabrication sous vide de l'acide métatartrique est une autre fierté familiale. Ce process le rendrait plus soluble dans le vin et plus efficace.
L'oenologie artisanale s'industrialise. En 1973, c'est au tour de Jean-François Laffort de prendre les rênes de l'entreprise. Elle vient juste de lancer des enzymes et ses fameuses levures sèches actives (LSA) pour sécuriser les fermentations mais aussi « pour révéler le potentiel aromatique des moûts ». Le virage des biotechnologies est en marche. L'entreprise s'adapte aux mutations de sa clientèle. Elle commence à vendre ses produits en petits contenants pour les vignerons qui se mettent à traiter les vins. Auparavant, c'étaient les négociants qui le faisaient dans les zones de consommation (dans les chais de Bercy, de Charenton ou du Nord de la France...).
En 1991, Laffort crée Sarco, un laboratoire d'analyses conseil. De curative, l'oenologie devient préventive. La botte secrète de la société ? La recherche et l'innovation. Depuis 1985, elle a financé une vingtaine de thèses, notamment avec l'université de Bordeaux et Denis Dubourdieu. Elle a déposé quinze brevets. Les produits ? Il y en a 250. Le dernier-né, en 2014, est Végécoll, une protéine végétale de pomme de terre pour la clarification des vins. « Grâce à l'oenologie et aux oenologues, il n'y a plus d'années où le vin est franchement mauvais comme par le passé », soutient Jean-François Laffort.
Depuis 2006, son fils Luc Laffort a repris le flambeau. Forte d'une « collection de 1 000 levures prélevées chez les vignerons connus », son entreprise rêve d'être la première à sélectionner une souche qui produirait moins d'alcool. Un sacré Graal !