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VENDRE - Paroles de pros

JEAN-MARIE BARILLÈRE, PRÉSIDENT DU CNIV « Libérons les entrées de gamme »

PROPOS RECUEILLIS PAR BERTRAND COLLARD - La vigne - n°281 - décembre 2015 - page 58

Pour regagner des parts de marchés perdues à l'export, le président du Cniv souhaite qu'on cesse d'appliquer aux vins d'entrée de gamme les règles du haut de gamme.
JEAN-MARIE BARILLÈRE, PRÉSIDENT DU CNIV © M. JOLYOT

JEAN-MARIE BARILLÈRE, PRÉSIDENT DU CNIV © M. JOLYOT

Jean-Marie Barillère, président du Cniv et directeur de l'activité champagne chez Moët et Chandon, constate que le développement de la consommation de vin se situe désormais loin de la France. Il estime que la production et le négoce doivent s'organiser en conséquence pour alimenter régulièrement ces marchés avec une offre simple et compréhensible.

Pour Jean-Marie Barillère, le coût du système des indications géographiques est trop élevé pour être appliqué à l'ensemble de notre offre.

À plusieurs reprises, vous avez souligné le manque de compétitivité de la filière. Quel est votre constat ?

J.-M. B. : La compétitivité, ce n'est pas de produire à moindre coût. Pour moi, cela suppose de dégager de la marge et de la capacité à investir. Ça se mesure par l'évolution des parts de marché. Or, quel est le résultat de la France ? En quinze ans, notre part de marché en volume à l'export est passée de 25 % à 14 %. Nous sommes très compétitifs dans le haut de gamme, le segment à plus de 15 € HT la bouteille départ cave, où nous avons des marques et des indications géographiques de réputation mondiale. Avec 10 % des volumes, ces marques et appellations réalisent 50 % de la valeur de nos exportations. Mais nous perdons rapidement des parts de marché sur le segment des vins à moins de 3 € HT la bouteille, départ cave. Donc, nous sommes moins compétitifs que nos concurrents. Notre modèle est à revoir.

Pourquoi perdons-nous autant de parts de marché en entrée de gamme ?

J.-M. B. : Le problème vient du fait que l'on veut appliquer aux entrées de gamme un système qui fonctionne très bien pour le haut de gamme. On veut une politique d'indication géographique (IG) à tous les niveaux. On a donc les charges des IG sans la plus-value.

C'est pourtant le système des IG qui a fait le succès de la France...

J.-M. B. : Non, ce sont les IG, pas le système. Les AOC datent de 1935. Elles sont le constat de l'adéquation au marché de cette partie de l'offre. Mais il y avait alors 80 % de vins de table, une forte consommation nationale et l'exportation du haut de gamme. Historiquement, en France, le coeur des appellations était sur des marchés régionaux. On se bagarrait entre villages viticoles pour savoir lequel produisait le meilleur vin. Cela a tissé notre paysage viticole.

Dans un tel contexte, vous pouvez espérer augmenter vos prix si vous augmentez vos coûts et si vous produisez moins car vos produits ne sont pas substituables. Mais sur le marché mondial, cela ne fonctionne pas. Si vos prix grimpent mais pas votre notoriété, vos concurrents prennent votre ancien positionnement de prix et vous ne pouvez pas revenir en arrière.

À l'Inao, on voit en permanence des appellations qui veulent passer en cru. Mais si on augmente ses coûts de production de 20 % et ses prix de vente d'autant, on ne gagne rien. Si on est prêt à augmenter ses coûts de 10 à 20 %, il faut pouvoir doubler ses prix de vente. Alors, cela vaut le coup. Il faut arrêter de faire des vins vendus en entrée de gamme avec des règles de produits de luxe. L'intérêt des IG, c'est que, en dessous d'elles, un autre segment de marché, qui a moins de contraintes, se porte bien.

Historiquement, les marchés étaient peut-être locaux, mais ils n'en étaient pas moins concurrentiels. Les producteurs français ont toujours eu à affronter la concurrence de leurs voisins...

J.-M. B. : Comme vous le dites : les producteurs d'appellations d'origine ont eu à affronter la concurrence des régions voisines, dans un contexte de consommation régionale et/ou de circuits très courts. Mais la situation a changé. Aujourd'hui, notre zone de développement se situe dans les pays lointains, là où la population et le PIB croissent rapidement : aux États-Unis, en Asie et bientôt en Afrique. Là-bas, c'est à une concurrence internationale que nous avons affaire. Ces concurrents n'ont pas les mêmes règles de production ni les mêmes contraintes fiscales que nous. Cela change tout. Demain, notre marché de proximité sera l'Europe. Il est accessible aux PME et aux TPE vitivinicoles. Ce n'est pas le cas du grand export. Plus on s'éloigne culturellement et géographiquement de l'Europe, plus l'exportation demande d'efforts et de compétences. Il n'est pas donné à toutes les PME vitivinicoles de France d'exporter en Chine. Il y a incontestablement un « effet de taille » qui facilite les choses.

Il faut donc laisser l'export lointain au négoce ?

J.-M. B. : Non, je n'ai pas dit cela. L'effet « taille » est important sur le marché de la consommation courante et si vous voulez être présent dans plusieurs pays. Il l'est beaucoup moins sur le haut de gamme et les circuits courts.

Vous soulignez le coût du système des IG. Mais il aide pourtant à vendre les vins.

J.-M. B. : C'est le cas pour Bordeaux, entre autres, qui a effectivement une notoriété qui permet de vendre plus cher et de compenser en partie les charges. Il faut continuer à travailler cette image pour dégager de meilleures marges. Mais sur ce sujet, les Américains font mieux que nous : un vin qui se vend 5 € en France vaut entre 10 et 15 € aux États-Unis. Nous avons à apprendre de leur savoir-faire en matière de valorisation.

Les nouveaux pays consommateurs ne vont-ils pas s'intéresser à nos IG ?

J.-M. B. : Une étude récente commanditée par la Commission européenne souligne que sur le segment des vins à 3 €/col et moins, donc de consommation courante, les consommateurs souhaitent une qualité donnée et constante, un prix et une offre lisible ou simple à comprendre. On est loin de cela avec nos IG, nos millésimes. Il faut rendre notre offre lisible pour des pays lointains qui n'ont pas la même langue que nous.

Comment faire selon vous ?

J.-M. B. : Dans toutes les régions, il faut se poser la question de l'adéquation de la production au marché. Pour attaquer les marchés lointains, il faut une vision partagée de l'appellation, une véritable cogestion entre producteurs et metteurs en marché. Un tel cadre donne confiance aux entreprises pour investir.

Pour vous, la gestion des stocks est cruciale. Pourquoi ?

J.-M. B. : Aujourd'hui, dans la très grande majorité de nos appellations, la production est régulée par la nature et non par les opérateurs. Mais croyez-vous que les consommateurs de demain accepteront les variations de prix liées à nos problèmes de production ? Il faut passer d'une gestion des à-coups de la nature à une gestion commune des stocks, comme l'ont fait la Champagne, avec la réserve individuelle, et Chablis, avec le VCI. Il ne faut plus se servir de ces à-coups pour mettre la pression sur un camp ou sur l'autre. La qualité de la gestion des stocks à l'échelle d'une région a un effet majeur sur la confiance et l'intérêt que les banques et le marché portent à cette région. Il faut montrer aux opérateurs qu'on réfléchit à l'approvisionnement régulier des marchés pour qu'ils misent sur vous.

Vous avez cité des exemples de réussite parmi les régions d'ancienne réputation. En avez-vous de plus récents ?

J.-M. B. : La Gascogne et la Provence. Les Provençaux ont bâti un discours commun autour de la Provence, du rosé, du soleil et de l'art de vivre. Ils n'ont pas parlé de leurs cépages. Ils ont su définir et défendre un discours commun. Et cela a marché.

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