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UN DÉBUT D'HIVER TROP CHAUD... Le climat chamboulé

CHRISTELLE STEF ET JULIETTE CASSAGNES - La vigne - n°282 - janvier 2016 - page 6

Début janvier, des vignerons observent déjà des pleurs et des bourgeons qui commencent à gonfler. Tous attendent l'arrivée du froid, pour empêcher un débourrement trop précoce.
ANDRÉ FAUGÈRE, vigneron à Escoussans (Gironde), observe des pleurs sur les rameaux taillés.  P. ROY

ANDRÉ FAUGÈRE, vigneron à Escoussans (Gironde), observe des pleurs sur les rameaux taillés. P. ROY

 P. ROY

P. ROY

CYRIL MONIER, vigneron à Tulette, dans la Drôme, a trouvé ces bourgeons en feuilles dans une parcelle de garrigue. © C. MONIER

CYRIL MONIER, vigneron à Tulette, dans la Drôme, a trouvé ces bourgeons en feuilles dans une parcelle de garrigue. © C. MONIER

Du jamais vu. La fin de l'année 2015 a été marquée par une exceptionnelle douceur et un déficit de précipitations. Dans l'est de l'Aude, des amandiers sauvages ont commencé à fleurir à la mi-décembre, soit avec un gros mois d'avance par rapport à la normale. Puis ce fut Noël au balcon. « Lors des fêtes, mon voisin a fait un chemin de table avec le mimosa de son jardin qui était en fleur », rapporte André Faugère, vigneron à Escoussans, en Gironde. Partout, la nature est chamboulée...

Qu'en est-il de la vigne ? Même en Champagne, des bourgeons ont commencé à gonfler. Mais début janvier, cela n'inquiétait pas François Langellier, du Comité Champagne. « On a déjà connu cela sans que cela se traduise par des problèmes. En étudiant les données météo sur plus de trente ans, nous avons observé que la date de débourrement est très bien corrélée avec les températures de janvier, février et mars, mais très peu avec celles de novembre et décembre. Je ne pense donc pas que les conditions exceptionnelles de cette fin d'automne - jusqu'au 22 décembre- aient une grande incidence sur le débourrement 2016. Tout devrait se jouer dans les trois mois à venir », explique le spécialiste.

Dans le Sud, les professionnels sont nettement moins sereins. « Le 28 décembre, j'ai vu dans une jeune plantation bien exposée, dans les Corbières, deux plants avec deux bourgeons au stade pointe verte », indique Didier Viguier, de la chambre d'agriculture de l'Aude. Jacques Rousseau de l'ICV confirme. « Il y a dix jours, des viticulteurs de l'Aude m'ont signalé qu'il y avait déjà des pleurs. Et aujourd'hui 6 janvier, j'ai vu des sauvignons dont les bois sont légèrement humides de pleurs et les bourgeons gonflés, y compris ceux de la base. C'est exceptionnel de voir cela aussi tôt. »

Mêmes échos dans la Drôme. « Habituellement, dès le début décembre, la sève est redescendue lorsque l'on taille. Cette année, elle continue de couler dans les bois qui sont restés verts et humides, constate Michel Bellier, viticulteur à Tulette, alors en plein chantier de taille, le 6 janvier, lorsque La Vigne l'a interrogé. On se croirait au mois de mars... Et des genêts sont en fleur ! »

« Sur une parcelle de garrigue, j'ai même trouvé des bourgeons en feuilles, ajoute Cyril Monier, vigneron bio sur la même commune. Les genêts et les amandiers sont en fleurs. Les herbes poussent sans arrêt. On a du mal à se croire début janvier. »

Le constat est le même en Gironde et dans le Tarn. À Escoussans, André Faugère a observé des premiers pleurs le 6 janvier. « Le phénomène m'avait déjà été signalé la semaine dernière par d'autres viticulteurs. Habituellement, on observe ces pleurs plutôt à la fin février en période de redoux et sur des pieds chétifs. Là, on les voit début janvier, sur des vignes en pleine santé. C'est exceptionnel », précise-t-il.

Vignerons et techniciens sont donc inquiets. Michel Bellier et Cyril Monier redoutent l'arrivée brutale d'une vague de froid hivernal car elle pourrait avoir des conséquences désastreuses, à l'image de ce qui s'est passé en 1956 ou, plus récemment, en 2012. « La sève n'étant pas redescendue, elle a gelé et fait éclater les bois, conduisant à d'importants dégâts dans les vieilles vignes », explique Michel Bellier. « Si la douceur perdure et que le froid revient ensuite, il risque d'y avoir de la casse. Lorsque les bourgeons sont gonflés, il suffit de -5 à -6 °C pour les faire geler, alors que s'ils sont parfaitement dormants, ils résistent à -15 °C », explique Jacques Rousseau. Selon lui, il serait prudent de retarder la taille ou de la réaliser en deux temps en laissant des baguettes un peu plus longues que l'on rabattra par la suite.

Didier Viguier partage son inquiétude : « Je suis particulièrement soucieux pour les viticulteurs qui ont taillé des jeunes vignes et des cépages précoces dès la mi-novembre. Ils auraient dû retarder la taille de ces parcelles. À situation d'exception, il faut des pratiques d'exception. »

Le risque d'une gelée de printemps est présent dans tous les esprits. En Provence, Laurent Rougon, viticulteur à Flassan (Var), estime ainsi que « si un changement radical de temps n'intervient pas dans les quinze jours, nous assisterons à des sorties de bourgeons dans un mois ou deux. Ce serait dramatique s'il se produisait des gelées de printemps. » Dans le Tarn, Francis Terral, vigneron à Lisle-sur-Tarn et président de Vinovalie, conseille aux viticulteurs de s'assurer.

La persistance de la douceur pourrait aussi avoir un impact sanitaire. « Un vrai froid, avec des gelées la nuit, permettrait de tuer les maladies », estime Michel Bellier. « J'ai une grande crainte concernant le black-rot. Les hivers doux seraient favorables, ajoute Cyril Monier. Je vais devoir démarrer les traitements préventifs de très bonne heure et être particulièrement vigilant ! »

Autre phénomène qui inquiète les viticulteurs : le manque d'eau. « Avec la sécheresse, les feuilles sont tombées un peu trop rapidement dans certains secteurs et, là où elles sont restées en place plus longtemps, elles n'étaient de toute façon pas fonctionnelles. J'ai donc des craintes par rapport aux réserves de la vigne. J'ai fait faire des analyses de sarments pour savoir ce qu'il en est, mais je n'ai pas encore les résultats », rapporte Jérôme Goblot, vigneron à Palaja (Aude), qui travaille sur 20 ha de vignes.

En Gironde, André Faugère a constaté à quel point les sols étaient secs lorsqu'il a sous-solé, fin novembre et courant décembre. « C'était tellement sec que les pointes ont chauffé et se sont usées plus vite que jamais », rapporte-t-il. Depuis, il est tombé 90 mm entre le 2 et le 6 janvier. Mais si les précipitations hivernales devaient rester insuffisantes, il détruira les enherbements.

Il y a positif tout de même. « On travaille plus, car il fait doux. On est en avance sur la taille, témoigne Michel Bellier. J'ai déjà préparé les sols pour les plantations, ce que je fais habituellement en avril. » Chez Cyril Monier, même son de cloche : « C'est le temps idéal pour travailler ! J'ai fini toutes mes complantations alors que, d'habitude, je les termine au printemps. C'est la première fois que je remplace les pieds manquants deux fois dans la même année ! », s'amuse-t-il.

Les greffons ont besoin d'eau

La douceur et le manque d'eau ont aussi des conséquences pour les pépinières. Ainsi, dans le Sud-Ouest, où la récolte des greffons a démarré, Olivier Yobrégat, de l'IFV, constate que « les bois sont moins hydratés que d'habitude. Ils sont moins verts, plus secs avec moins de réserves. On ne sait pas trop ce que cela va donner au niveau de leur qualité ». Il recommande donc aux pépiniéristes de ne pas tarder pour débiter les bois et de les réhydrater rapidement. « Dès qu'on les met à tremper, la couleur verte du cambium réapparaît », précise-t-il.

Le Point de vue de

PATRICK GALOIS, PRÉVISIONNISTE À MÉTÉO FRANCE

« Le mois de décembre le plus chaud depuis 1900 »

« Un temps très doux s'est installé à partir du mois de novembre sur l'ensemble de l'Hexagone. La première décade de novembre a d'ailleurs été exceptionnelle avec des températures quasi estivales : 29 °C enregistrés dans le

Pays basque ou encore 24 °C en Alsace. Du jamais vu. Cette douceur a perduré le mois suivant. On a ainsi battu un record : celui du mois de décembre le plus chaud depuis 1900, avec une température moyenne qui a dépassé les valeurs de saison de près de 4 °C. La température moyenne de l'après-midi a été ainsi de 12 °C à Reims (+5 °C que la normale) et de 15 °C à Bordeaux et à Avignon (+4 °C). Mais ce qui est encore plus exceptionnel, c'est que cette douceur s'est accompagnée d'un temps sec et ensoleillé. Cette situation est due à un anticyclone qui est remonté de la Méditerranée et qui a repoussé les pluies provenant de l'Atlantique. Elle illustre le réchauffement climatique. Et on peut s'attendre à connaître des mois de décembre doux de manière plus fréquente au cours du XXIe siècle. »

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