En 2011, l'interprofession des vins de Bourgogne lançait son plan 2015 pour monter en gamme. Les faibles récoltes suivantes - 2011, 2012 et 2013 - vont convaincre tous les acteurs de la filière du bien-fondé de cette ambition. En trois millésimes, le vignoble perd 35 % d'une récolte normale, soit l'équivalent de 71 millions de bouteilles. Pour éviter la chute des revenus, les prix doivent augmenter. Vignerons, coopératives et négoces tirent dans le même sens. Des hausses de prix se concentrent sur une période de deux ans, alors que depuis dix ans, elles étaient restées limitées.
Depuis 2012, « nous avons passé d'importantes hausses de prix à nos clients, mais on commence à voir baisser les volumes vendus. Il est temps de stabiliser nos marchés, pour que ces prix ne descendent pas et restent bien ancrés dans la tête de tous », explique Marc Sangoy, le président de la Cave de Lugny, dans le Mâconnais.
À Premeaux-Prissey, Raphaël Dubois a augmenté le prix de ses bourgognes de 3,50 € à 7 €/col depuis 1993, date à laquelle il s'est installé. Compte tenu de ce prix, il ne doit pas décevoir ses clients. « Il faut que le consommateur éprouve du plaisir, avec des vins fruités et gourmands, explique-t-il. Pour nous, 7 € le col, c'est très bien. Mais, avec un tiers de perte de récolte entre 2011 et 2013, c'est un peu juste quand on vend à des professionnels à 5,50 €/col HT. »
Avec sa soeur, Béatrice, il fait partie de ces vignerons qui se montrent « raisonnables » dans la prestigieuse côte de Nuits. Malgré tout, ses clients ne sont pas restés sans réagir face aux hausses de prix. « Certains sont descendus en gamme. Avant, ils achetaient des premiers crus, maintenant, ils choisissent des villages. »
Mais à toute chose malheur est bon. « La hausse de nos tarifs fut une motivation pour chercher de nouveaux clients. » Pour toucher une clientèle plus aisée, le vigneron « travaille l'ensemble de sa démarche ». Il va numéroter ses clos-de-vougeot, revoir tout son packaging et utiliser des cartons recyclés pour montrer son engagement dans le développement durable. Désormais, il s'attache à traquer le moindre détail pour satisfaire chaque client. Il est également très pédagogue, explique les climats et s'appuie sur « neuf cents ans d'histoire pour faire pétiller les yeux de ses clients ».
Au domaine Michel Goubard et fils, à Saint-Désert, en Saône-et-Loire, ce sont les clients eux-mêmes qui changent de comportement. « Nos ventes de bourgogne passetoutgrain à 5 euros la bouteille se sont effondrées en l'espace de quatre ans. On a arrêté d'en faire. On s'est rendu compte que nos clients buvaient moins de vins, mais de meilleure qualité », explique Pierre-François Goubard. Avec son frère Vincent, il est à la tête de cette exploitation familiale qui vend surtout des bourgognes-côte-chalonnaise (80 %) et des givry. Désormais, ce sont ses givry premier cru à 15 euros le col qui partent le mieux. Au caveau, le prix dépensé en moyenne par bouteille par les clients est rapidement passé de 6 à 9 euros.
« C'est bizarre, mais plus c'est cher, plus les clients achètent et moins ils demandent à déguster », s'étonne Pierre-François Goubard. Un phénomène qu'il constate également pour ses vins vendus en grandes surfaces. « Notre givry premier cru à 14 euros s'écoule plus facilement que celui à 8 euros », constate-t-il. Ce qui n'empêche pas les négociations « au centime près » avec les distributeurs.
La hausse générale des prix en Bourgogne a eu un effet inédit pour lui : il a gagné des clients venant de la Côte-d'Or. « Ils me disent que les pommards à 30 €/col sont devenus inaccessibles pour eux, mais que nos premiers crus restent abordables. Ils veulent du bon vin. Ce ne sont pas des snobs qui achètent une étiquette. Ce sont des connaisseurs qui comparent les prix », analyse-t-il.
Dans ce contexte, beaucoup de vignerons veulent développer leurs ventes en bouteilles. C'est le cas de Raphaël Dubois. « J'ai gardé tous mes vins de 2014 alors que j'en ai produit plus que je ne pouvais en vendre en bouteilles, indique-t-il. J'ai été tenté de les vendre en vrac, mais j'ai préféré investir et parier sur une hausse de mes ventes directes. Il a fallu convaincre mon banquier. Je me suis adjoint les services d'un commercial à l'export. Maintenant, je vois les résultats. » De nouveaux marchés s'ouvrent ou redémarrent à l'export après un travail de recherche de « bons importateurs », plus axés sur le haut de gamme.
Xavier Migeot, le directeur commercial des Vignerons associés des monts de Bourgogne, a trouvé la bonne formule. « Nous nous positionnons sur des produits de luxe accessibles », résume-t-il. Cette union de coopératives regroupe La Chablisienne, la Cave des Hautes-Côtes, à Beaune, et Les Terres Secrètes, à Prissé. Elle vend donc une large gamme de vins du nord au sud de la Bourgogne. « Nous sommes confiants pour 2016. Nous avons retrouvé des volumes et nos ventes à fin novembre 2015 sont en hausse de 3,6 %. » C'est seulement maintenant que les trésoreries des vignerons bourguignons reprennent des couleurs.
6,45 €/col
C'est le prix moyen de vente d'un bourgogne pinot noir dans les grandes surfaces françaises en 2014, soit + 10 % par rapport à 2013. Les volumes vendus ont, eux, baissé de 10 %, à 2,3 millions de cols. Source : FranceAgriMer.
ÇA MARCHE AUSSI...
- Le spectre de la flavescence dorée s'éloigne. Après la stupeur de la découverte de foyers en 2011, l'inquiétude suscitée par leur expansion en 2012, les polémiques et procès sur la lutte obligatoire, les choses se calment. La maladie est « contenue », mieux, elle est en recul par endroits. Ainsi, à Mercurey, aucun pied infecté n'a été trouvé cette année. Les Bourguignons sont d'autant plus satisfaits de ce résultat qu'ils ont fortement réduit la lutte insecticide. Grâce à une prospection minutieuse, ils ont pu limiter les traitements au strict nécessaire.
- Les stocks sont en hausse de 13 % entre 2014 et 2015, après la bonne récolte 2014. Toute la Bourgogne est soulagée de cette évolution qui apporte un peu de détente sur les marchés.
ÇA POURRAIT ALLER MIEUX...
- Depuis cinq ans - 2014 excepté -, les récoltes sont déficitaires en Bourgogne. En cause : les aléas climatiques mais aussi le dépérissement de la vigne. « Cette année, on fait encore - 20 % en volume », déplore François Legros, le président de la cave de Buxy. En cause, la sécheresse estivale. La cave a donc réincorporé dans sa déclaration de récolte 2015 environ 1 000 hl de blancs de 2014. « Ce problème de rendement structurel est lié aux maladies du bois. Chaque année, on observe 2 % de mortalité des ceps. Au total, on a 20 % de récolte en moins due aux pieds qu'on renouvelle et qui mettent six ou sept ans avant de produire », détaille François Legros.