« Le Jura ? Vous pouvez me montrer sur une carte ? » La question fait sourire Pierre Rolet. Vigneron à Arbois, elle lui est souvent posée dans les salons internationaux. « Les importateurs entendent parler de nous sans forcément nous situer, mais c'est de moins en moins vrai ! »
« Les gens arrivent de plus en plus à nous placer sur la carte ! confirme Jean-Charles Tissot, président du Comité interprofessionnel des vins du Jura (CIVJ). La tendance vers l'export se profile. En 2011, nous n'exportions que 4 % de notre production. Trois ans plus tard, nous atteignions 11 %. » À l'échelle du vignoble de 2000 ha, ces ventes représentent une réelle satisfaction.
« La notoriété des vins du Jura progresse, note Christophe Botté, directeur de la fruitière vinicole d'Arbois. Notre tradition de vins blancs et de bulles se fait connaître ailleurs et les gens voient que nous savons faire autre chose que des vins oxydés. » En France, il observe un certain intérêt pour la région. Pierre Rolet ne le contredit pas, mais il est surpris de voir que les vins du Jura peuvent être mieux représentés à New York qu'à Paris. « Dans un bar à vins ou chez un caviste parisien, vous trouverez rarement plus de deux références jurassiennes. À New York, des vendeurs ont deux, voire trois vins du Jura et d'opérateurs différents ! Nous les intéressons. »
Sur les 70 000 hl produits dans le Jura, quelque 7 000 hl s'envolent vers d'autres latitudes, soit trois fois plus qu'il y a dix ans. Grand favori, le crémant représente près de la moitié des bouteilles exportées. Cette progression à l'international est due à un travail collectif mené par l'interprofession. Mais les opérateurs restent lucides : « Il y a cinq ans, lorsque les premières missions à l'étranger ont été organisées, les vignerons n'étaient pas prêts pour l'exportation », se souvient Pierre Rolet.
Aujourd'hui, ils ont fait leurs armes et commencent à récolter les fruits de leur travail. Au domaine Dugois, aux Arsures, Philippe a su conquérir le coeur des Britanniques. « Aujourd'hui, nous plaçons beaucoup plus facilement nos vins en restauration en Grande-Bretagne. Nous y avons doublé nos ventes grâce aux salons et missions à l'export. Lorsque le Jura se déplace, nous attirons près de deux cents personnes ou plus ! »
Le Jura a su trouver ses marchés de niche en jouant sur la nouveauté. « Les importateurs viennent nous voir pour ça, indique Bertrand Delannay, directeur de la Fruitière de Voiteur. Au Québec, par exemple, ils recherchent des vins typés. C'est intéressant car ce sont des produits haut de gamme, comme les macvins du Jura ou les château-chalon. »
Pierre Rolet, parti il y a plus de vingt ans prospecter le Québec, l'a bien compris. « Ce qui plaît, ce sont les vins typiques, qui offrent aussi un bon rapport qualité-prix. Avec la Bourgogne toute proche qui a subi des petites récoltes successives et a dû augmenter ses prix, les gens se sont tournés vers des régions pas si lointaines et avec des profils de vins différents. Nous, au niveau des prix, nous sommes restés assez sages. » Aujourd'hui, un quart de sa production part à l'international, soit près de 85 000 bouteilles. « Au moment où le marché français se tasse, c'est forcément intéressant. »
La filière commence à s'organiser. La Fruitière de Voiteur a opté pour le partenariat avec la coopérative de Pupillin. « À Voiteur, nous avons une dominante de vins blancs. Pupillin produit davantage de rouge en zone Arbois. Nous sommes ainsi complémentaires : nous assurons une gamme complète et des volumes », se réjouit Bertrand Delannay. Pierre Rolet a, lui, engagé une assistante à l'export à temps partagé. « Elle travaille pour d'autres domaines, de régions différentes, ce qui me permet de réduire mes coûts de prospection. Grâce à elle, j'ai pu accéder au marché américain. »
Le monde est à conquérir pour le vignoble dont les exploitations restent modestes. Pierre Rolet, avec 66 ha, joue déjà dans la cour des grands, mais reconnaît l'ampleur de la tâche. « Ce sont des démarches de longue haleine, il m'a fallu parfois trois ans pour gagner la confiance d'acheteurs. Ce ne sont pas forcément des grandes quantités qui partent, mais les commandes reviennent régulièrement, et ça, c'est bon signe ! »
6 883 hl
C'est le volume de vins du Jura exporté en 2014-2015, soit près de 10 % de la production. Source : SVJ
ÇA POURRAIT ALLER MIEUX...
- Les volumes manquent terriblement. « Depuis 2011, nous subissons de très petites récoltes, déplore Jean-Charles Tissot, du CIVJ. Les vins sont très qualitatifs, mais cela va finir par peser sur les trésoreries. » En 2014, 70 000 hl sont sortis des cuves, bien loin des 102 000 hl de 2011.
- L'esca est dans tous les esprits. « Sur le trousseau et le savagnin, la maladie fait des ravages, observe le président de l'interprofession. Nous nous sommes longtemps sentis seuls. C'est désormais l'affaire de tous, et nous espérons que les choses avancent enfin... »