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VENDRE - Conseils de pros

Comment préparer une grille de tarifs cohérente

ÉMILIE-ANNE JODIER - La vigne - n°283 - février 2016 - page 54

Vendre son vin à travers des circuits de distribution différents apparaît de plus en plus nécessaire. Mais pour pour ne pas court-circuiter les différents réseaux, il faut bien préparer ses tarifs. Nos experts vous conseillent pour réussir ce pari.

1. Déterminer le prix de vente au consommateur

Tout commence par le prix de vente directe à la propriété, c'est la base de toute fondation tarifaire. « C'est le seul prix que vous pouvez contrôler à 100 % », souligne Fabrice Chaudier. « La tradition est plutôt de calculer les prix à partir des prix de revient », déplore Pierre Bouchet, qui a rédigé pour les Vignerons indépendants de France le guide Devenir un pro de la grille tarifaire, disponible en ligne. Car le prix de revient a un défaut : il ne permet pas de positionner le produit. « Calculer un prix de revient, ça peut être très compliqué, pointe Fabrice Chaudier. Alors que le producteur a une bien meilleure connaissance de son positionnement par rapport aux vins de son appellation et au marché. »

La question à se poser est : à quel prix mon vin doit-il être vendu ? « Ce n'est pas si simple pour les viticulteurs, qui ont tendance à sous-estimer leurs vins », regrette Fabrice Chaudier.

Jean-Marc Demange prévient : « Ayez une excellente connaissance de votre prix de revient ! Il vous permet de savoir jusqu'où vous pouvez aller. Et d'ailleurs, une approche n'empêche pas l'autre. Il est important de confronter les deux. »

2. Intégrer les marges des distributeurs

Une fois votre prix consommateur fixé, le tarif professionnel sera plus facile à établir. L'erreur souvent commise est de ne pas intégrer les marges des distributeurs. Les vignerons se contentent de calculer une remise à l'acheteur. Celui-ci va ensuite appliquer un coefficient multiplicateur, qui correspond à ses marges. Finalement, le prix du vin sera très différent du prix à la propriété. Or, « il faut partir du principe qu'un même vin doit avoir le même prix final sur tous les circuits de distribution », argumente Fabrice Chaudier. Jean-Marc Demange confirme en admettant « des petites différences bien sûr, souvent très bien acceptées par les consommateurs ».

Il est plus ou moins admis que les cavistes, par exemple, multiplient le prix d'achat hors taxe par deux. Le réseau CHR par trois. La grande distribution est beaucoup plus compliquée à aborder, avec des coefficients pouvant varier de 1 à 1,7. « Mais, si on prend l'exemple des cavistes, il n'y a pas vraiment de règles, indique Pierre Bouchet. Un commerçant isolé en zone touristique n'aura pas la même politique qu'un autre situé en ville près d'un supermarché. » Avoir au moins en tête un ordre d'idée des pratiques de chacun permet toutefois d'appliquer les marges appropriées.

3. Valoriser vos atouts

« N'oubliez pas vos propres animations commerciales dans vos prix », interpelle Jean-Marc Demange. Pierre Bouchet rappelle : « Face à un acheteur de grande distribution ou à un caviste, par exemple, il faut argumenter sur ce qui va accompagner le prix : l'image du vigneron. » Une batterie de solutions s'offrent à vous : propositions de partenariat, d'animation en magasin, de dégustation chez le caviste ou même de concours avec à la clé des visites du domaine.

« Ça ne coûte pas très cher et c'est valorisant pour le distributeur et le consommateur, insiste le consultant. Ce sont à peu près les mêmes leviers que pour la vente directe. Ce n'est plus du tarif à proprement parler mais c'est en périphérie de l'offre. » Et ce sont donc des éléments à prendre en compte.

4. Éviter les téléscopages

La cohérence, c'est aussi de veiller à ce qu'un même vin ne se retrouve pas sur des circuits de distribution concurrents à des prix complètement différents.

Fabrice Chaudier esquisse une solution : « On peut choisir ses acheteurs en fonction des zones géographiques. » Cela peut consister, par exemple, à vendre via un caviste dans le nord de la France et une enseigne de grande distribution qui joue la carte du local dans votre région. Certains recommandent parfois de créer une nouvelle marque ou de jouer sur les conditionnements, histoire de brouiller les pistes.

5. Rédiger un tarif pour chaque circuit

Les domaines ont souvent un tarif prêt et à jour à présenter aux particuliers. C'est beaucoup moins vrai pour les tarifs professionnels. « Il faut absolument avoir un document pour chaque circuit de distribution », insistent nos interlocuteurs. Pas question de rédiger un mail à la hâte. « Les prix doivent être extrêmement clairs : le tarif est le reflet de votre stratégie prix et de votre positionnement, note Fabrice Chaudier. C'est autant un outil de communication qu'un outil commercial. »

Un bon tarif doit être complet, à commencer par « une date de début et de fin de validité, pour Jean-Marc Demange. Sinon, il y aura toujours quelqu'un qui trouvera la faille à exploiter ». Autre précision : « Il faut bien établir à qui il s'adresse. »

Viennent ensuite les remises prévues (en fonction des volumes), les animations commerciales, si le prix est hors taxe ou non, les conditions de transport, le conditionnement du vin, les possibilités de panachage, etc. « De plus, il faut accompagner son tarif de conditions générales de vente », précise le conseiller. Un élément souvent oublié par les viticulteurs. Pour les rédiger, on peut demander l'aide de centres de gestion ou glaner des exemples sur Internet. Pierre Bouchet n'exclut pas « de s'inspirer des pratiques des grands négociants et des grandes maisons, conseillés par des juristes qui ne laissent rien passer ! »

6. Se méfier d'Internet

« Aujourd'hui, tout le monde est capable de se renseigner très vite sur Internet, met en garde Fabrice Chaudier. Il faut faire attention, cela peut gêner les négociations. » Afficher les tarifs de ses vins sur son site n'est donc pas toujours pertinent. « Mieux vaut éviter d'avoir un site marchand, confirme Jean-Marc Demange. Le chiffre d'affaires généré en vaut rarement la chandelle et il ne faut pas que celui-ci perturbe les clients professionnels. Souvent, le premier réflexe d'un caviste, ce sera d'aller consulter vos prix, chez vous ou chez les concurrents. Même devant vous ! »

« Tout dépend du circuit de distribution que vous privilégiez, nuance Fabrice Chaudier. Si votre distribution repose essentiellement sur la vente au domaine, cela ne pose bien évidemment pas de problème. »

Le Point de vue de

PHILIPPE LEJEUNE, VITICULTEUR À FLORESSAS, DANS LE LOT, AU CHÂTEAU DE CHAMBERT, 65 HA

« Un prix propriété différent au carton et à la bouteille »

«Quand j'ai repris le château en 2005, j'avais tout à apprendre. En effet, je ne viens pas de l'univers viticole et je n'avais pas d'idée préconçue sur la politique tarifaire. Simplement, j'avais comme bagage mes diverses expériences professionnelles en France et à l'étranger. C'était un vieux et beau domaine, avec du potentiel et une clientèle fidèle. Mais il y avait quasiment un tarif par client : un pour tel grossiste, un pour tel client particulier, un pour tel caviste... J'ai remodelé totalement les pratiques tarifaires. Il m'a fallu plusieurs années pour arriver à finaliser mon offre, mais j'ai fini par trouver la solution. J'ai commencé par mettre en place un tarif pour chaque circuit de distribution. Ensuite, je me suis heurté au problème assez fréquent des prix incohérents en travaillant avec des grossistes et des cavistes. Le grossiste achète beaucoup moins cher, vend au caviste avec sa marge et ce dernier finit par proposer le vin beaucoup plus cher qu'au domaine. En observant le marché, on s'aperçoit que le grossiste vend des cartons alors que le caviste vend majoritairement à la bouteille. J'ai donc adapté mes tarifs pour que tout le monde s'y retrouve : nous pratiquons un prix à la propriété différent pour la bouteille et les cartons, avec un écart de 15 %. Ainsi, le grossiste bénéficie d'un prix sur les cartons et peut revendre à la bouteille au caviste. Ce dernier peut alors appliquer sa propre marge sans que l'écart avec le prix à la propriété soit trop important. Cela fait six ans, et ça fonctionne assez bien ! »

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