Quelles sont les grandes évolutions que vous avez pu constater en matière de protection du vignoble ?
Bernard Molot : Quand je suis arrivé à l'IFV, en 1978, c'était encore l'aire du « tout chimique » : à un problème correspondait une solution chimique. À cette époque, il s'agissait pour moi de poser les premières pierres de la modélisation. En 1983, le premier modèle mildiou sortait. Les années 1980 correspondent donc à la période pendant laquelle ont été jetées les bases de la protection raisonnée ; on prenait conscience qu'il était possible de diminuer les quantités de produits utilisées. Lors des années 1990, la protection raisonnée était entrée dans les moeurs, avec la recherche de diminution des phytos, devenue une problématique de la filière. Au cours de cette décennie, nous avons réussi, grâce à la protection raisonnée (confusion sexuelle, auxiliaires pour la lutte insecticide, etc.) et à l'emploi des modèles maladies, à diminuer de 50 % les quantités utilisées au niveau français ! Concernant, enfin, les années 2000, l'objectif a été donné, par le plan Ecophyto, de diminuer de 50 % l'usage des produits phytosanitaires... Mais nous savions que nous allions dans le mur. Refaire ce que l'on a déjà fait, on ne sait pas faire... Cet objectif est très difficile à atteindre. D'ailleurs, les derniers chiffres du ministère de l'Agriculture le confirment.
Vous pensez donc que les limites ont été atteintes en terme de diminution des produits phytosanitaires ?
B. M. : Il y a encore une marge de manoeuvre avec le réglage et la qualité de la pulvérisation de l'ordre de 20 à 30 %. Mais concernant les interventions, nous sommes rendus au minimum du minimum de protection antimildiou et anti-oïdium. L'absence de solutions alternatives aux phytos dignes de ce nom me fait dire que nous sommes au bout de la baisse.
Quid du bio ?
B. M. : Le bio n'est pas une alternative crédible à cause de la toxicité du cuivre. Trouvez-moi un produit de remplacement et je signe tout de suite ! Le discours politique vis-à-vis du bio n'est pas rationnel.
Quel regard portez-vous sur la situation actuelle ?
B. M. : Nous vivons une période où l'attente est sociétale : vis-à-vis du consommateur, il faut supprimer tous les pesticides, et seul le bio est bon... C'est irrationnel et parfois risible. La priorité ne devrait-elle pas être plutôt d'éduquer le consommateur lui-même ? Nous sommes tombés dans une paranoïa antipesticides et à deux doigts de connaître des impasses techniques, avec la menace de suppression des fongicides multisites antimildiou : folpel, mancozèbe, etc. Si on les enlève, qu'est-ce qui va rester ? Les médias publient régulièrement des reportages à charge... Mais ce n'est pas du travail de journaliste : il ne s'agit pas d'enquêtes mais de véritables prêches. Les consommateurs sont donc sensibilisés sur ces aspects noirs, sans avoir conscience de l'évolution positive. Il y a donc un énorme besoin que la filière communique sur ce qui se fait dans le vignoble.
D'autres points qui ont marqué ces dernières décennies ?
B. M. : Le grand ménage des produits phyto : les organochlorés, comme le lindane, et les organophosphorés. Il fallait le faire, et cela s'est révélé très bénéfique. J'ai aussi pu constater la hausse considérable du niveau de formation des viticulteurs en deux générations. Les fils ou filles de vignerons qui s'installent aujourd'hui ont un bagage technique et scientifique qui est loin d'être ridicule ! Nous assistons à une véritable professionnalisation du métier.
Quel est le principal écueil que vous avez rencontré au cours de votre carrière ?
B. M. : Mon plus gros constat d'échec, douloureux, c'est la flavescence dorée. Nous en sommes au même point qu'en 1983. La lutte n'avance pas, et je ne vois pas l'ombre d'une solution de remplacement des traitements chez nous.
Qu'allez-vous faire maintenant ?
B. M. : Je compte bien en profiter... Je vais voyager ! Je garderai une petite activité d'expertise si on a besoin de moi. Je conserve aussi toutes les bonnes adresses de vins que j'ai accumulées. Mon activité m'a permis de générer des amitiés durables et profondes avec des vignerons, à force de temps passé dans les caves ! En viticulture, les relations sont plus faciles à tisser que dans les autres filières agricoles, cela a été un aspect non négligeable de mon travail.
... Et réactions à chaud des internautes parues sur Vitisphere.com
« À la recherche d'alternatives »
À la retraite, comme tous les produits chimiques qu'il aura aidés pendant des décennies... sans aucune autre recherche « objective » d'alternative.
Voltaire, le 21 mars 2016
Cher M. Voltaire, durant sa longue carrière, Bernard aura beaucoup plus fait pour la réduction et la substitution des phytos les plus problématiques que tous les jeteurs de sorts et d'anathèmes. Il aura aussi, rassurez-vous, testé d'innombrables « alternatives » de la façon la plus objective du monde pour se rendre compte des limites de beaucoup de ces solutions, voire de leur parfaite inefficacité selon les cas. Mais ça ne nous empêche pas, encore et encore, de rechercher et de tester tout ce qui peut se présenter (biocontrôle, extraits, tisanes et huiles diverses, moyens physiques, etc., sans oublier l'exploitation des gènes de résistance). Et votre commentaire consternant n'y changera rien, heureusement.Olivier Yobrégat (IFV), le 23 mars 2016
« De la nécessité de communiquer »
Faites suivre le discours de ce grand sage à l'ensemble des rédactions, c'est indispensable dans une période d'extrémisme et de radicalisation en tout genre. Charly, le 16 mars 2016
Des paroles sages, objectives, exprimées par une personne qui connaît la viticulture. Élise Lucet, dont l'émission a été malhonnête, devrait le rencontrer.Il faut absolument que la profession s'exprime de nouveau et soit offensive face aux médias et autres groupes écolo-bobo. Fran275, le 15 mars 2016
« Le bio, le cuivre... leurs limites... »
M. Molot, quand vous parlez de la toxicité du cuivre, c'était quand la dose homologuée était de 25 kg de BB à 20 % de Cu métal par ha et par traitement. C'est certain que des sols qui ont porté de la vigne pendant cent ans à ce régime, surtout s'ils sont acides, sont saturés et que des conséquences sur la vie microbienne de ces sols sont avérées. Quand j'ai débuté le bio en 1979 (j'ai 65 ans et suis toujours en activité), j'avais trouvé que ces 25 kg, cela faisait beaucoup, j'en mettais 15 ; aujourd'hui, j'en suis à 2, soit 400 g de Cu métal. Julian Louis, le 15 mars 2016
La position sur le bio est caricaturale. Le cuivre est un élément essentiel à la vie. Reprenons Paracelse sur ce produit : c'est la quantité qui fait le poison. Aucune étude n'a démontré, aux doses d'usage, la nocivité du cuivre dans des sols vivants. L'utopie chimique n'est qu'un leurre. Carroget Jacques, le 18 mars 2016
Certes, c'est la dose qui fait le poison, mais l'un des problèmes reste, que vous le vouliez ou non, son inexorable accumulation. L'impossibilité de faire pousser des céréales sur des sols viticoles saturés en Cu n'est pas une caricature mais une réalité. Heureusement pas trop courante, je vous le concède. Bernard Molot, le 24 mars 2016
« Des pistes à suivre »
Excellente analyse. Les panneaux récupérateurs peuvent-ils réduire la consommation de produits phyto s'ils sont mis au point et fortement aidés par des subventions de l'Union européenne ? En effet, aujourd'hui ils sont trop chers parce que produits en très petite série. Et qu'en est-il de la lutte contre le mildiou et l'oïdium par le génome ? Qu'en pensez-vous ? Merci et bons voyages dans les vignes du monde... Besinet, le 16 mars 2016
Les panneaux récupérateurs sont effectivement une piste, mais réservée à certains vignobles : palissage irréprochable et sol plat. Sinon la durée de vie des panneaux sera... brève ! Quant à la lutte contre le mildiou et l'oïdium : les variétés résistantes sont « dans les tuyaux », mais il ne faudra surtout pas oublier le black-rot et les autres anthracnose/mélanose. Pour rappel : le black-rot, c'est environ 50 000 hl en moins en 2015 dans le Gard...
Bernard Molot, le 24 mars 2016