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VIGNE

Les hélicos font de la résistance

LUCIE MARNÉ - La vigne - n°285 - avril 2016 - page 34

Des viticulteurs continuent de se battre pour conserver le droit de traiter par hélicoptère leurs vignes très pentues. Il en va de leur sécurité et de celle de leurs salariés.
EN CHAMPAGNE, les derniers traitements par hélicoptère ont eu lieu l'an dernier sur 300 ha. © GUTNER

EN CHAMPAGNE, les derniers traitements par hélicoptère ont eu lieu l'an dernier sur 300 ha. © GUTNER

L'année 2016 doit marquer la fin des épandages aériens des produits phytopharmaceutiques dans les vignobles français. En effet, plus aucune autorisation ne sera accordée, à moins d'un arrêté signé des trois ministres de l'Agriculture, de l'Environnement et de la Santé. Autant dire que c'est mission impossible.

Mais quelques vignerons refusent de baisser les armes. Ils réclament le droit de continuer à traiter avec un hélicoptère leurs vignes en pente pour leur santé, leur sécurité et celle de leurs salariés. « Nous avons alerté le préfet du Rhône, mais nous n'avons aucun retour pour le moment », explique Gilles Barge, ancien président de l'ODG Côte-Rôtie.

Appel aux politiques

Même topo en Alsace : « Je suis allé à la sortie du Sénat à Paris pour distribuer un rapport présentant les risques engendrés par l'interdiction des traitements aériens », explique Claude Vanyeck, représentant du comité d'entreprise des domaines Schlumberger, à Gueb-willer (Haut-Rhin). Par l'intermédiaire de Patricia Schillinger, sénatrice PS du Haut-Rhin, il est même parvenu à transmettre le dossier au président de la République lors de sa dernière visite à Colmar. « Les politiques sont au courant du dossier. Nous attendons une réponse claire. La saison des traitements débute en mai et nous ne savons toujours pas comment nous organiser. »

« En juillet 2014, au cours d'un traitement, un de mes collègues, tractoriste chez nous depuis longtemps, est resté bloqué 40 minutes sous le chenillard avant l'arrivée des pompiers. L'engin, pourtant récent, s'était renversé sur lui alors que la cuve de 200 l n'était qu'à moitié remplie. Il s'en est bien sorti mais cela aurait pu être bien plus grave », raconte Claude Vanyeck. Sur les 130 ha que comptent les domaines Schlumberger, 60 ha en coteaux pentus étaient jusqu'à présent traités par hélicoptère. Le domaine se fait donc du souci pour ses 57 salariés qui vont devoir arpenter le vignoble l'été prochain, équipés de pulvérisateurs à dos. « Il nous fallait 4 heures pour traiter 60 hectares avec des produits bio. Si nous n'obtenons pas de dérogation, il nous faudra une semaine pour traiter la même surface avec six personnes exposées pendant huit heures par jour à ces produits. »

Outre l'utilisation des pulvérisateurs à dos et des chenillards, une autre solution de traitement commence à apparaître : les canons. Avec eux, plus besoin d'entrer dans les vignes : ils projettent les produits depuis les chemins d'accès. En plus d'être bruyantes, ces machines engendrent d'importantes dérives. « Nous craignons de les voir apparaître dans nos vignobles comme cela se pratique chez nos voisins allemands », souligne Frédéric Bach, directeur de l'Association des viticulteurs d'Alsace.

700 hectares « hélitraités »

Jusqu'à l'an dernier, environ 700 ha de vignes étaient concernés par les traitements aériens en France. « Nos plus grands crus se situent sur ces parcelles pentues qui risquent de tomber en friche », s'inquiète Frédéric Bach. « Il faudra créer des chemins d'accès pour les engins viticoles là où le relief le permet. Mais cela risque de dénaturer nos paysages », avertit Gilles Barge.

Dans les côtes du Rhône septentrionales, c'est décidé : les hélicoptères repartiront au travail cette année. « L'interdiction d'épandage aérien ne porte que sur les produits phytosanitaires. Nous allons appliquer des engrais foliaires. Rien ne l'interdit », annonce Mickaël Gerin, nouveau président de l'ODG Côte-Rôtie, déterminé à provoquer une nouvelle fois le débat.

Le syndicat affirme que la plupart des vignerons qui cultivent ces « parcelles de l'extrême » sont prêts à le suivre et à faire appel à l'hélicoptère. Ils appliqueront des engrais foliaires, quitte à devoir retourner dans leurs parcelles pour traiter avec des fongicides. La question n'est pas là. Pour ces vignerons, il s'agit de défendre un outil sûr et économique. Ce printemps, l'hélicoptère devrait donc encore faire parler de lui.

La Champagne tourne la page

« Nous avons définitivement tourné la page des traitements aériens, même si les traitements à dos ou avec des chenillards sont plus compliqués », déclare Sébastien Debuisson, du CIVC. Il faut dire que depuis l'année 2000, la surface traitée par hélicoptère a été divisée par dix en Champagne pour tomber à 300 ha l'an dernier. En dépit du coût élevé des prestations par chenillard, les vignerons champenois semblent donc prêts à changer leurs méthodes de traitement. Concernant les parcelles où la mécanisation est possible, l'arrachage de quelques ceps en bout de rang a d'ores et déjà été effectué pour faciliter les manoeuvres dans les tournières. Le CIVC travaille actuellement sur un prototype d'enjambeur autonome monté sur chenilles destiné à faciliter le travail dans les parcelles en dévers.

Un syndicat de salariés s'en mêle

La CFTC-Agri, syndicat représentant les salariés de l'ensemble du monde agricole, a alerté les pouvoirs publics sur les dangers liés à l'interdiction des traitements en hélicoptère. Il craint une augmentation des accidents liés à l'emploi d'engins sur les parcelles en pente et une exposition accrue du personnel aux produits phytosanitaires lors des traitements au pulvérisateur à dos. « Nous demandons que des dérogations soient de nouveau accordées pour les quelques parcelles où il n'y a pas d'autre solution », explique Pierre Jardon, délégué général de la CFTC-Agri. En février 2015, il a été reçu par les ministères de l'Agriculture, de l'Environnement et de la Santé. En décembre, il a invité des représentants du ministère de l'Agriculture, de la MSA, de l'inspection du travail et de la caisse d'assurance-accidents agricole d'Alsace aux domaines Schlumberger (Haut-Rhin) pour leur montrer la réalité du terrain. « Nous demandons la création d'un groupe de travail parlementaire et interministériel sur ce sujet. » Une demande qui est restée jusqu'à présent lettre morte.

Le Point de vue de

CHRISTOPHE PICHON, PRÉSIDENT DE L'ODG CONDRIEU, VITICULTEUR À CHAVANAY (LOIRE)

« L'atomiseur sur le dos, c'est pénible et cela nécessite du personnel qualifié ! »

« Je vinifie 16 ha de coteaux en appellations Condrieu, Côte-Rôtie, Saint-Joseph et Cornas. Jusqu'en 2014, je traitais mon vignoble par hélicoptère, essentiellement avec des produits autorisés en agriculture biologique, soufre et cuivre. Leur choix vient d'une volonté de l'ODG Condrieu de protéger la santé des vignerons, de leurs employés et des riverains. Mais, depuis deux ans, certains de ces produits ne bénéficient plus d'une homologation pour les traitements aériens, en particulier les mélanges soufrés. Nous avons donc dû nous rabattre sur des engrais foliaires ayant un effet sur l'oïdium, notre principal problème. L'action des engrais foliaires étant insuffisante, j'ai dû compléter les traitements aériens par des traitements à canon qui pulvérise un mélange soufré jusqu'à 20 mètres autour du tracteur. Mais cette méthode est mal vue par le grand public. À cause de l'interdiction des traitements aériens, nous sommes obligés de traiter avec un atomiseur que l'on porte sur le dos. Dans nos coteaux abrupts, c'est très pénible. De plus, pour cette tâche, le personnel doit être qualifié. Or, les saisonniers que nous allons embaucher n'ont pas le Certiphyto et les formations pour l'obtenir ne sont organisées que tous les cinq à six mois. »

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