Les vins français vont-ils disparaître du linéaire d'entrée de gamme ? La question se pose quand on observe la part que les VCE (vins de la communauté européenne) et en particulier les vins d'Espagne y ont prise. Les chiffres sont éloquents : en 2015, les importations françaises de vins espagnols ont atteint un niveau record de 5,3 millions d'hectolitres. Importés pour 90 % en vrac, ce sont pour l'essentiel des vins sans indication géographique, destinés à alimenter les rayonnages dédiés aux premiers prix.
Cette avancée des vins espagnols s'est amorcée en 2011. À la suite de la petite récolte de 2010 en Languedoc, le groupe Castel bascule deux de ses marques emblématiques de vin de France - Vieux Papes et La Villageoise - en VCE. La grande distribution n'est pas en reste. Le groupe Auchan lance sa gamme les Récoltes Méridionales en cépage de vin d'Espagne. En 2012, Casino fait de même avec sa gamme de vins de cépage Club des Sommeliers en vin d'Espagne. Et en 2015, Castel bascule en vin d'Espagne sa marque Cambras, numéro un français des vins de cépage sans IG. Idem pour Leader Price qui passe sa gamme Cépages de Pays d'Oc en vin d'Espagne.
« C'est un effet boule de neige. constate Claude Pino, courtier à Perpignan. Au départ, le négoce a cherché en Espagne des cuvées à assembler avec des vins sans IG français. Il est alors passé de vin de France en VCE. Puis il a continué car la difficulté d'approvisionnement en vin français s'est aggravée et que l'écart de prix avec les vins espagnols s'est amplifié. Ces vins ont donc pris de plus en plus d'importance dans les assemblages jusqu'à représenter 100 % de certaines marques. Aujourd'hui, l'Espagne grignote le segment des vins de cépage sans IG, avec des prix deux fois plus bas que la France. »
Le négoce déplore le manque de vins français d'entrée de gamme. Yves Peiller, l'acheteur de vins de table de Casino, le confiait dès 2012 au magazine Rayons Boissons : « Je suis très franc avec les producteurs français. S'ils ne sont pas en mesure de produire des vins de table à 130 hl/ha, j'irai voir à l'étranger. Plus d'une fois, mes demandes de vins d'entrée de gamme auprès des producteurs français sont restées lettre morte, alors... »
Chez Castel, Franck Crouzet, le directeur de la communication, regrette lui aussi que la France n'ait pas réagi. « Il y a un marché pour des vins d'entrée de gamme qualitatifs. Il faudrait un vignoble dédié. Pour nos marques, nous avons besoin d'un approvisionnement sécurisé, avec de la visibilité et de la disponibilité des volumes à long terme et des conditions tarifaires accessibles et sans yo-yo destructeurs commercialement. Ce n'est pas le cas en France où, pour seul exemple, les VSIG sont produits par défaut les années de grosse récolte. C'est regrettable. Les entrées de gamme permettent de vendre d'autres vins plus qualitatifs. Les Espagnols le savent. Ils ont mis un pied en France. Ils pourraient bien s'attaquer demain à d'autres segments de notre propre marché français. »
Un autre risque inquiète le négoce français : les enseignes commencent à s'approvisionner directement auprès d'opérateurs espagnols, court-circuitant ainsi ses centres d'embouteillage.
Côté production, les esprits commencent à s'échauffer. Après avoir interpellé les autorités depuis plusieurs mois, Frédéric Rouanet, président du Syndicat des vignerons de l'Aude, est passé à l'action. Début avril, appuyé par 150 viticulteurs, il a arrêté et vidé cinq camions de vins espagnols au péage du Boulou. « On va faire analyser ces vins. À 32 €/hl, ce n'est pas viable, même en Espagne. »
« À ce jour, nos marchés sont peu perturbés par ces importations. Nos sorties de chai sont un peu moins actives, mais, pour l'heure, il n'y a rien d'alarmant. Néanmoins, on reste vigilant car demain les Espagnols peuvent attaquer d'autres segments », observe René Moreno, président de la cave coopérative de Montagnac et vice-président de l'Anivin de France qui, lui aussi, se demande combien de temps les Espagnolspourront-ils continuer à vendre à des prix aussi bas ?
Plus remonté, François-Régis Boussagol, président des Vignerons indépendants de l'Hérault, s'insurge contre le manque de visibilité pour le consommateur sur l'origine de ces vins importés. « Que le négoce ou la grande distribution passent aux vins espagnols, on peut le comprendre : c'est un choix financier. Mais il faut assumer et afficher clairement ce changement d'origine sur les packagings. Or, ce n'est pas toujours le cas. Nous l'avons constaté dans plusieurs grandes surfaces de la région. »
Informé ou non, le consommateur semble, lui, satisfait de cette nouvelle offre puisque les ventes de vins espagnols en grande distribution ont progressé de 31 % entre 2014 et 2015 (+ 90 000 hl). Jusqu'où les vins d'Espagne iront-ils ? C'est toute la question.
Rayon BIB : le grand bazar
Pas facile pour un consommateur de s'y retrouver dans le linéaire des Bib. Contrairement au rayon des bouteilles, où les vins sont regroupés selon leur origine, celui des Bib est beaucoup moins bien organisé. AOC et IGP côtoient bien souvent les vins de France, ceux d'Espagne et les VCE. Et si certains Bib affichent clairement leur provenance espagnole, comme la gamme Club du Sommelier de Casino, d'autres livrent une information beaucoup plus difficile à repérer. Ce fut le cas initialement des Bib de Cambras où la mention « vin d'Espagne » figurait en caractères minuscules, sous les logos incitant au recyclage du carton, alors que l'indication du conditionnement à « Blanquefort, France » apparaissait en gros caractères, bien visibles, au-dessus. Le tir a été corrigé. Désormais, l'information est beaucoup plus lisible sur les Bib actuels. La marque Beauval, que l'on trouve chez Carrefour, indique bien la provenance d'Afrique du Sud pour le cinsault rosé ou d'Espagne pour le merlot, mais, sur l'étiquette de la bouteille qui illustre le packaging, figure la mention « France ». D'après la réglementation de l'étiquetage, « l'indication de provenance est une mention obligatoire, qui doit figurer dans le même champ visuel que la dénomination de vente, le volume, le titre alcoométrique, l'embouteilleur et le message sanitaire. Elle doit être inscrite dans une taille de caractère au moins égale à 1,2 mm », précise la DGCCRF. En matière d'organisation du linéaire, le seul règlement en vigueur (Inco, article 7) précise que la disposition des denrées alimentaires ne doit pas induire en erreur le consommateur. Ce qui n'est pas forcément le cas pour l'ensemble des rayons Bib.