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TERRIBLE FIN D'AVRIL Un gel historique

La vigne - n°286 - mai 2016 - page 6

Plusieurs régions ont été durement frappées par le gel. La récolte 2016 est d'ores et déjà amputée dans de nombreuses exploitations.
CHABLIS S'EST EMBRASÉ, la nuit du 27 avril. Beaucoup de viticulteurs ont installé dans des bougies de paraffine ou des chaufferettes pour lutter contre le gel... Parfois en vain. © A. IBANEZ

CHABLIS S'EST EMBRASÉ, la nuit du 27 avril. Beaucoup de viticulteurs ont installé dans des bougies de paraffine ou des chaufferettes pour lutter contre le gel... Parfois en vain. © A. IBANEZ

FABRICE BENESTEAU, viticulteur à Lué-en-Baugeois (Maine-et-Loire), déplore 5 % de ses vignes touchées à 70 %. © C. WATIER

FABRICE BENESTEAU, viticulteur à Lué-en-Baugeois (Maine-et-Loire), déplore 5 % de ses vignes touchées à 70 %. © C. WATIER

FABRICE BENESTEAU, viticulteur à Lué-en-Baugeois (Maine-et-Loire), déplore 5 % de ses vignes touchées à 70 % (détail ci-dessus). © C. WATIER

FABRICE BENESTEAU, viticulteur à Lué-en-Baugeois (Maine-et-Loire), déplore 5 % de ses vignes touchées à 70 % (détail ci-dessus). © C. WATIER

BOURGEON EMPRISONNÉ DANS LA GLACE pour le maintenir à O °C. C'est le principe de l'aspersion, un autre moyen de lutter contre le gel, à Chablis.  © T. GAUDILLÈRE

BOURGEON EMPRISONNÉ DANS LA GLACE pour le maintenir à O °C. C'est le principe de l'aspersion, un autre moyen de lutter contre le gel, à Chablis. © T. GAUDILLÈRE

Bourgogne

« Un séisme »

Dans la nuit du 26 au 27 avril, les viticulteurs ont vécu un cauchemar. « Un gel d'une telle ampleur, c'est du jamais vu. C'est un véritable séisme pour les viticulteurs », témoigne Grégory Patriat, le vinificateur de la Maison Jean-Claude Boisset. « Toutes les appellations ont été touchées dans l'Yonne et la Côte-d'Or. Peu ou pas de viticulteurs ont été épargnés. Dans certaines parcelles, 80 % des bourgeons ont été détruits », déplore Séverin Barioz, directeur de la Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne (CAVB). Selon les estimations au 4 mai de l'interprofession (BIVB) et de la CAVB, 6 800 ha sont touchés à plus de 70 %, 6 700 ha le sont entre 70 et 31 % et 15 800 ha à moins de 30 %.

À Chablis, les températures sont descendues jusqu'à -3,5 °C. Les parcelles non protégées paient un lourd tribut. Et certaines, couvertes par des chaufferettes, ont également souffert.

Dans la Côte de Beaune, les dégâts semblent plus conséquents que dans la Côte de Nuits, le chardonnay étant plus développé (3-4 feuilles étalées) que le pinot noir au moment du gel. Les appellations situées au sud de Beaune, comme Pommard, Volnay, Meursault, Chassagne, Monthélie ou encore Auxey-Duresses, seraient les plus touchées.

« C'est dramatique, il s'agit d'un gel très sévère qui a frappé la plaine comme les coteaux, et l'ensemble des parcelles quel que soit leur mode cultural », confirmait le propriétaire d'un domaine, à Meursault, le 28 avril. Ce vigneron est « pessimiste » quant à la reprise éventuelle d'une nouvelle pousse, la plupart des contre-bourgeons déjà sortis ayant également gelé. « Nous aurons une toute petite récolte, pire qu'en 2014 », déplore-t-il.

Dans la côte chalonnaise, les secteurs de Rully et de Bouzeron semblent avoir le plus souffert. La zone au sud de Mercurey paraît plus préservée. Dans le Mâconnais, plus au sud, seuls quelques bourgeons ont été abîmés... Mais les appellations Pouilly-Fuissé et Saint-Véran avaient déjà été endommagées par un orage de grêle le 13 avril. Selon la CAVB, celui-ci a impacté environ 1 500 ha, les dégâts allant de quelques bourgeons à la totalité des pousses endommagés.

Val de Loire

« Similaire à 1991 »

« C'est un gel aussi intense que celui de 1991 ou 1994. Une catastrophe ! », lâche Guillaume Lapaque, directeur de la Fédération des associations viticoles d'Indre-et-Loire (FAV37). Jean-Martin Dutour, président de l'AOC Chinon, confirme : « Nombre de parcelles sont touchées à 50 %. La plaine a beaucoup enduré », indiquait-il le 27 avril. Le gel a aussi frappé le Centre, l'Anjou et le Muscadet. Bref, l'ensemble du vignoble ligérien est atteint. Le taux de 50 % de bourgeons détruits est souvent avancé. Fait marquant : la vague de froid s'est produite en trois épisodes : les 18, 25 et 27 avril.

Fabrice Benesteau, du domaine de La Tuffière, à Lué-en-Baugeois, possède 25 ha de vignes. « La plupart sont campées sur une butte ventilée, moins exposée au gel. Là, les dégâts sont négligeables avec 10 % de bourgeons détruits. En revanche, j'ai des parcelles de grolleau noir et de cabernet franc situées dans deux autres zones où 70 % des bourgeons ont gelé. Cela représente environ 5 % de mon parcellaire. Au moment du gel, les stades oscillaient entre bourgeons éclatés et 3-4 feuilles étalées. Si les bourgeons secondaires redémarrent rapidement, cela pourrait compenser en partie les pertes. Mais pour ça, il faudrait de la chaleur... », expliquait-il le 28 avril.

La région s'inquiète d'ores et déjà des conséquences économiques.

Champagne

Un lourd tribut pour la Côte des Bar

Le gel a aussi glacé la Champagne plusieurs fois entre le 18 avril et le 3 mai. « Au 9 mai, le bilan est le suivant : 8 000 ha touchés, soit un peu plus de 4 600 ha détruits à 100 % dont 4 000 ha dans la Côte des Bars, la région la plus affectée », écrit l'interprofession dans un bulletin du 10 mai. « Que ce soit à Bar-sur-Aube ou Bar-sur-Seine, tout le vignoble est atteint », indiquait Sylvère Massin, un producteur, dès le 29 avril.

Aude

20 000 ha très touchés

« Tous les bas-fonds ont été grillés. Sur environ 40 % de mon vignoble, 60 à 100 % des bourgeons sont détruits. Et comme il s'agit des parcelles les plus productives, je risque de perdre 50 à 60 % de ma récolte », constate, consterné, Philippe Pons, propriétaire avec sa femme d'un domaine de 12,5 ha dans le Cabardès. Il n'est pas le seul. Le 19 avril au lever du jour, les températures sont tombées ente - 2,5 et - 5 °C dans le département de l'Aude et sur l'ouest de l'Hérault. Au moment où la vigne était déjà à un stade avancé (pointes vertes, sortie des feuilles), avec des organes turgescents. « Les 76 000 ha du vignoble audois ont été touchés à des degrés divers. Nous estimons à environ 20 000 ha les surfaces les plus fortement atteintes, avec des parcelles où 100 % des bourgeons ont été grillés par le gel », constate Emmanuel Rouchaud, de la chambre d'agriculture de l'Aude.

Le Cabardès et le Val de Dagne (Corbières centrales) sont les secteurs les plus affectés. Des dégâts ont également été constatés, à une moindre fréquence, dans la plaine de Narbonne et le Limouxin.

Provence

Dégâts localisés

Dans la nuit du 28 au 29 avril, « nous avons connu des températures variant entre - 1 et - 3 °C », indique Alain Bacineau, président du Comité interprofessionnel des vins de Provence. Les communes de Saint-Maximin, Seillons-Source-d'Argens, Rougiers et Bras, dans le Var, sont les plus touchées. Des bourgeons ont également souffert à Pourcieux, Brignoles et Brue-Auriac. C'est l'appellation Coteaux Varois qui est la plus impactée. Et Éric Pastorino, président des Côtes de Provence, d'indiquer : « Nous n'avions pas connu de gel depuis une dizaine d'années. Les dégâts sont localisés mais ils peuvent être importants, de l'ordre de 50 à 60 %. »

Bordeaux, Cognac

Pas épargnés

Les 29 avril et 1er mai, le thermomètre est passé en négatif dans le Bordelais. Le nord des Graves, la pointe ouest de l'Entre-deux-Mers, le centre du Médoc, le nord de la Gironde (de Blayais à Coutras) et le sud du Libournais accusent des dégâts, notamment dans les bas-fonds, les lisières de bois ou de prairie et les zones ventées. Les pertes vont de quelques pieds à 100 % de la parcelle. Selon le BSV Aquitaine, les surfaces où les bourgeons sont détruits à plus de 80 % avoisinent la centaine d'hectares.

Dans le vignoble de Cognac, des dégâts sont recensés en Charente et dans le nord de la Charente-Maritime, indique une note de l'IFV, du BNIC et des chambres d'agriculture datée du 3 mai.

L'inquiétude gagne les marchés

Courtier à Beaune, Jérôme Prince n'est pas bombardé d'appels depuis le gel. « Les acheteurs ne s'emballent pas car il n'y a plus de 2015. En revanche, l'inquiétude monte pour la campagne 2016. » Les achats de raisin et de moût représentent 80 % des approvisionnements du négoce. Or, les domaines qui le pourront vont être tentés de garder leur récolte pour la mettre en bouteille. « On peut s'attendre à ce que la reconduction des contrats soit beaucoup plus tendue cette année. » À Chablis, son confrère Fabien Remondet s'attend à une hausse des prix. « Reste à savoir comment elle va passer auprès des acheteurs, déjà sous le coup d'une campagne aux prix élevés. » Dans le Saumurois, Christine Touron voit les négociants se dépêcher de retirer les vins qu'ils ont achetés « de peur que les vignerons cassent les contrats ». La faible récolte à venir va pénaliser le négoce. « Les vignerons vont privilégier la vente directe. » Moins impacté par le gel que le reste de la région, l'Anjou aurait pu les sauver. « Mais la vente directe y est déjà très développée, au détriment du vrac », détaille la courtière. Situation différente dans le Midi. Dans l'Aude, le gel n'a pour l'instant pas de conséquence sur les achats de vin. « Les retiraisons continuent de baisser à cause de la concurrence des vins étrangers », explique Laurent Bourrel, courtier dans la région.

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