FRÉDÉRIC BELMAS : « Pour arriver à relancer ce domaine, je me suis mis la pression. J'ai osé tout changer. Cela n'a pas été facile, mais je suis heureux d'avoir choisi ce métier ! » PHOTOS : G. BARTOLI FRÉDÉRIC BELMAS : « Pour arriver à relancer ce domaine, je me suis mis la pression. J'ai osé tout changer. Cela n'a pas été facile, mais je suis heureux d'avoir choisi ce métier ! » PHOTOS : G. BARTOLI
UN GROS TRAVAIL a été réalisé dans les vignes. Frédéric répare le palissage d'une vigne sous l'oeil de son père retraité qui l'accompagne volontiers dans les vignes.
« J'arrive enfin à dégager un revenu correct. Mais il m'a fallu près de vingt ans d'efforts pour reconvertir un domaine au bout du rouleau. Au début, c'est ma femme qui faisait bouillir la marmite », raconte Frédéric Belmas, vigneron au Mas Alart, à Saleilles, dans les Pyrénées-Orientales. Sur 26 ha, sa tante produisait uniquement des vins doux naturels. « Elle vendait tout en vrac à un seul acheteur. Cela m'a semblé très risqué. Quand j'ai pris sa relève, en 1997, j'ai diversifié la gamme et la clientèle en développant la bouteille. Aujourd'hui, j'ai 800 clients particuliers », relève Frédéric.
Enfant, il aimait passer du temps sur ce domaine. « Quand on me demandait ce que je voulais faire dans la vie, je répondais : vigneron ! », se souvient-il. Mais à la sortie du lycée, le jeune homme, passionné d'astronomie, se lance dans une licence de physique. C'est alors que sa tante lui fait part de son souhait d'arrêter son activité. « Il m'a fallu prendre une décision. Je lui ai demandé de me laisser le temps de passer un BTS viti-oeno et, en 1995, je l'ai rejointe sur l'exploitation. » Durant deux ans, ils travaillent ensemble. « Ma tante m'a transmis sa connaissance des vignes et des terroirs. C'était nécessaire », note-t-il.
En 1997, à 27 ans, il se retrouve aux commandes du domaine. Il a emprunté pour racheter les 55 % de parts de sa tante, et sa mère Rose-Marie est désormais son associée. « Il n'y avait que des cépages blancs : muscat, grenache et macabeu. J'ai tout de suite arraché 2,4 ha pour replanter de la syrah. En 1998, j'ai pu acheter un îlot de 4,7 ha planté en syrah, carignan, cinsault et grenache noir. Dès l'année suivante, je sortais mes premières cuvées de côtes-du-roussillon rouge et rosé », raconte Frédéric.
Il se retrouve alors avec 16 000 cols à commercialiser. « Il m'a fallu trois ans pour tout vendre ! » Pour y parvenir, il enchaîne les salons de vignerons indépendants. Mais cela lui prend trop de temps alors qu'il a beaucoup à faire au vignoble. En 2004, il décide de déléguer la vente. Il s'associe à un commercial au sein d'une SARL. « Celui-ci connaissait bien la grande distribution. Il a réussi à y faire référencer mes vins. En quatre ans, nous avons vendu près de 90 000 cols sur ce circuit. Mais à un prix moyen de 1,40 €/col HT, cela ne couvrait pas les coûts ! » En 2008, il quitte la SARL. « J'ai perdu de l'argent. Mais en travaillant avec les grandes surfaces, j'ai appris à fournir une qualité régulière et à être réactif pour adapter les profils de mes vins à la demande », souligne-t-il.
Pendant ce temps, les rendements faiblissent peu à peu. La moyenne de l'exploitation descend en dessous de 30 hl/ha, avec des parcelles à 15 hl/ha. « J'ai d'abord pensé que c'était à cause du climat de plus en plus sec. Et comme mon objectif n'était pas de produire au maximum, je ne me suis pas inquiété. Mais les nécessités économiques ont fini par me rattraper ! »
En 2009, Frédéric réagit et fait appel à la chambre d'agriculture. Son conseiller, Marc Guichet, établit un diagnostic dans chaque parcelle et lui propose un plan d'action. « J'avais arrêté d'apporter de l'azote. J'ai repris avec un apport de 20 U/ha au printemps. J'ai vite vu la différence. Les vignes ont regagné de la vigueur et la sortie de grappes s'est améliorée. »
Il maîtrise aussi mieux le désherbage du rang et n'enherbe plus qu'un interrang sur deux. Il applique une fois du cuivre pendant l'été pour conserver le feuillage en bon état le plus longtemps possible. Et, après les vendanges, il décompacte le rang nu pour que les pluies pénètrent mieux. « Cela aide les vignes à constituer leurs réserves », note-t-il. En quelques années, le rendement moyen remonte à 40 hl/ha. « Cela représente une ou deux citernes de vrac en plus à vendre chaque année, c'est bon pour ma trésorerie », apprécie le vigneron.
Désormais, il veut dépasser 50 hl/ha de moyenne en poussant les parcelles en IGP. Il produira ainsi des vins mieux adaptés à la demande. « Mes clients ne veulent pas de cuvées à 14° pour leur consommation de tous les jours », constate-t-il. Sur une parcelle de cinsault, il a déjà remonté le rendement entre 60 et 80 hl/ha. Il y obtient un vin à 10° qu'il assemble avec des vins plus concentrés pour obtenir une cuvée à 12,5° qu'il conditionne en Bib. « Cette cuvée se vend très bien. Je voudrais faire de même avec une parcelle de merlot. À 25 hl/ha, elle donne des vins trop puissants. »
Pour améliorer encore son rendement, il envisage d'irriguer car les pluies se font de plus en plus rares. « Je vais lever le pied sur les plantations pour me concentrer sur l'entretien des palissages et pour investir dans l'irrigation. »
Sa tante, qui lui avait confié les vignes en fermage, a récupéré 8 ha de vieux muscats en 2012 et les a arrachés avec une prime d'abandon définitif. Depuis, Frédéric n'a plus que 18 ha. « J'apprécie d'avoir moins de surface. Jusqu'en 2014, j'ai employé une salariée permanente. Aujourd'hui, je suis mieux équipé, au vignoble comme à la cave. Je fais tout avec l'aide d'un saisonnier pour la taille. » Il n'a plus que 2,5 ha en gobelet. « Je prévois de les mettre sur fil pour tout vendanger à la machine. »
Frédéric cherche maintenant à diversifier les débouchés de ses muscats. « Le marché du muscat de rivesaltes se rétrécit. Je produis déjà du jus de raisin sur une parcelle, que je valorise au caveau. Et je développe les muscats secs. » L'an dernier, il a revu le profil de ses vins avec son nouvel oenologue, Pierrick Harang, pour leur donner plus de fraîcheur. Il a introduit l'inertage pour préserver les arômes des blancs et des rosés. L'oenologue lui a également conseillé la micro-oxygénation pour les rouges. « J'obtiens des vins avec des tanins plus souples, prêts à être bus. En IGP, c'est nécessaire si on veut les vendre dans l'année. »
Sa gamme compte désormais dix vins, trois rouges, deux rosés et deux blancs secs en IGP et AOP, ainsi que trois vins doux naturels. Côté commercial, après l'échec de la SARL, Frédéric décide de se recentrer sur son département. « De 2010 à 2013, j'ai fait appel à une étudiante qui préparait une licence en alternance. Elle a développé les ventes auprès des cavistes et des restaurateurs locaux. Elle m'a aidé à recaler mes tarifs qui n'étaient pas cohérents », souligne-t-il.
La vente au caveau est son point fort. « C'est là que je me sens le plus à l'aise. Je prends plaisir à accueillir les clients et à leur faire déguster mes vins. » Sa mère le relaie régulièrement à ce poste. « À 6 km de la mer, nous sommes bien placés pour capter la clientèle touristique. Nous faisons l'essentiel de notre chiffre d'affaires annuel au caveau, entre juin et septembre. »
Frédéric a aussi une clientèle locale qui vient toute l'année au domaine, principalement pour ses Bib, qu'il vend entre 13,20 € et 14,65 € les 5 litres. Des prix attractifs, mais qui lui laissent peu de marge. « Pour améliorer ma rentabilité, je voudrais diminuer la part des Bib tout en remontant leur prix de vente. J'ai aussi besoin de monter en gamme mes vins en bouteille. »
Ces deux dernières années, l'équilibre économique s'est amélioré. Frédéric commence à souffler. « Pour tout remettre à niveau, j'ai beaucoup investi, en réinjectant ce que je gagnais dans l'exploitation et en empruntant. Aujourd'hui, les remboursements s'allègent, je n'ai plus que 16 000 € d'annuités. » En 2014, il a licencié sa salariée permanente, ce qui a réduit aussi les charges. « Je vais pouvoir me payer mieux. Mon objectif dans les cinq ans à venir est de monter à 2 000 € par mois. »
Frédéric veut aussi passer plus de temps avec sa famille. « Cela me ressource et m'aide à relativiser les difficultés du quotidien. Pour arriver à relancer ce domaine, je me suis mis la pression. J'ai osé tout changer. Cela n'a pas été facile, mais je suis heureux d'avoir choisi ce métier ! »
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ
Frédéric a bien raisonné ses investissements. « Lorsque j'ai commencé, il y avait deux tracteurs de 35 ch et un pulvérisateur de 1963 sur l'exploitation. Tout était à renouveler ! J'ai acheté beaucoup de matériel d'occasion. Je préfère avoir une bonne marque d'occasion plutôt qu'une marque bas de gamme neuve. »
Il a senti que le marché des vins doux naturels chutait et s'est repositionné sur les vins secs. Les vins doux ne représentent plus que 20 % de son chiffre d'affaires, contre 100 % à son installation, en 1997.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'IL NE REFERA PLUS
« Voyant que la vente était difficile, j'ai eu peur de ne pas y arriver seul. Je l'ai déléguée à une SARL dans laquelle j'ai pris des parts. J'y ai laissé de l'argent, sans obtenir de bons résultats. Désormais, je compte avant tout sur moi-même. »
Au début, il a écouté les conseils de ceux qui prônent les petits rendements. Il a supprimé la fertilisation, sans en mesurer les conséquences économiques. Les volumes perdus ont fragilisé l'exploitation. Aujourd'hui, il replante des clones plus productifs et entretient la vigueur de ses vignes.
SA STRATÉGIE COMMERCIALE « L'essentiel de notre chiffre d'affaires se fait au caveau »
- « Pour me faire connaître, j'ai d'abord organisé des concerts. Il y avait toujours du monde. Mais une fois l'entrée payée, les gens ne se sentaient pas obligés d'acheter du vin. » Frédéric Belmas a donc changé son fusil d'épaule. Désormais, il propose des visites de groupe sur réservation, pour un maximum de douze personnes. Avec ces visites, il se recentre sur la découverte des vins et du domaine. « Je personnalise mon discours en fonction des clients. En petit groupe, c'est plus facile d'être à leur écoute et de nouer des liens. »
- Au caveau, chaque vin est disposé sur un présentoir indiquant les parcelles dont il provient et donnant des informations sur le domaine. « Les gens peuvent prendre les bouteilles en mains. Ils aiment cela. Ils s'approprient ainsi le produit », note-t-il. En dessous, des cartons sont ouverts, les clients n'ont qu'à se servir.
- Le Mas Alart a demandé la labellisation régionale Qualité Sud de France. Celle-ci lui permettra de bénéficier de la communication faite autour de la marque collective Sud de France. « J'ai réalisé un pré-audit, et j'attends maintenant la visite d'un visiteur mystère. Il testera incognito la qualité de l'accueil. »