Le domaine viticole des Terres Oubliées tire de l'oubli l'hypocras, un apéritif médiéval à base de vin. À l'origine de cette initiative, Gilles Chicaud, gérant de ce petit domaine, situé à Murviel-lès-Montpellier et détenu par dix associés - clients fidèles ou copains de longue date. « Ce breuvage, qui date du Moyen Âge, est encore consommé lors des nombreuses fêtes médiévales qui se tiennent en France, en Belgique ou en Allemagne », raconte-t-il.
Les Romains consommaient déjà des vins aux épices, selon les écrits de Pline l'Ancien. À l'époque, l'ajout de plantes servait sans doute à masquer les défauts de conservation. Mais la première recette de « pimen », un vin épicé aux vertus thérapeutiques, date du tout début du XIVe siècle. On la doit à Arnaud de Villeneuve, illustre médecin catalan qui enseigna à Montpellier. Ce breuvage est alors prescrit par les médecins pour favoriser la digestion. Les historiens pensent qu'il a ensuite été rebaptisé hypocras, en référence au Grec Hippocrate, considéré comme le père de la médecine.
Dès le XIIIe siècle, la ville de Montpellier s'était fait une réputation dans le commerce de ces vins avec l'Angleterre. La boisson est très populaire durant tout le Moyen Âge. Elle est alors offerte comme un présent de valeur, au même titre que les confitures. Plus tard, Louis XIV en était particulièrement friand.
« Relancer une fabrication d'hypocras près de Montpellier avait donc un sens », confie Gilles Chicaud. Le viticulteur languedocien fait le tri parmi la centaine de recettes qui foisonnent sur la Toile. Miel, gingembre et cannelle sont les ingrédients incontournables. Muni d'éprouvettes et d'aromates en tous genres, le vigneron, entouré d'amis, a testé plusieurs formules, ajoutant ici une pincée de macis, là une pointe de vanille ou quelques clous de girofle. « La difficulté, c'est d'obtenir un assemblage harmonieux où les arômes se complètent. » Au final, sa recette compte neuf ingrédients, en plus du miel.
Le vin de base étant bio, le vigneron a souhaité conserver ce label. Tous les intrants sont donc également issus de l'agriculture biologique. Lancé en 2013 à très petite échelle (400 cols), le produit a conquis un public au deux tiers féminin.
Gilles recommande l'hypocras à l'apéritif. Son goût puissant et sa longueur en bouche se marient également bien avec le foie gras ou le roquefort. Commercialisé au prix de 14 € la bouteille, la boisson s'arrache sur les marchés de Noël et dans les fêtes médiévales. Cependant, « je gagne mieux ma vie avec mes autres vins, car les ingrédients de l'hypocras sont chers et c'est un gros travail de le produire. Mais ce produit original nous a aidés à nous faire connaître », confie le viticulteur. Perpétuer une fabrication ancestrale relève un peu du sacerdoce.