Le 25 mai 1728, sous la pression des Champenois, le roi de France Louis XV autorise le transport des vins en bouteilles de verre. Le 8 mars 1735, il réglemente de manière stricte leur fabrication et usage en vue de limiter la fraude. Ces deux arrêts vont faciliter la commercialisation des vins de France. Ils découlent du développement de l'industrie verrière d'une part et des impératifs commerciaux liés à la naissance du champagne d'autre part.
« Au début du XVIIe siècle, la plupart des régions d'Europe maîtrisent bien l'art du verre, mais les carafes et bouteilles sont minces et fragiles. Elles servent essentiellement à servir le vin chez les marchands, dans les cabarets ou à table », raconte le géographe Jean-Robert Pitte, dans son ouvrage La Bouteille de vin.
À partir de 1632, les Anglais sont les premiers à fabriquer des bouteilles en verre épais, résistant et sombre, selon une nouvelle technique. C'est une révolution. Ce progrès va changer la donne à jamais. « Vers 1660, l'Angleterre fait déjà usage de ces bouteilles pour produire dans ses chais du vin mousseux à partir des vins tranquilles de Champagne », poursuit Jean-Robert Pitte. La mousse séduit les consommateurs et la mode de ce nouveau breuvage gagne la France au tournant du XVIIIe siècle.
Dans le même temps, « les premières bouteilles françaises en verre épais apparaissent, sans doute en Argonne, aux confins de la Champagne, continue le géographe. [...] La production de champagne effervescent se développe alors dans sa région de production et prend son essor à partir des années 1720-1730. [...] Quittant Épernay par la Marne, les expéditions de bouteilles en verre de Champagne [...] commencent dès les premières années du XVIIIe siècle ».
Ces expéditions sont d'abord illégales. À l'époque, en effet, les artisans verriers maîtrisaient difficilement la contenance de leurs bouteilles. Pour éviter les fraudes sur les volumes, il était donc interdit de conditionner et de commercialiser les vins en bouteilles. Ceux-ci étaient transporter en fûts au volume bien définis.
En 1724, les Rémois demandent au roi de lever cette interdiction. Leur argumentaire précise que « les consommateurs préfèrent désormais le vin de Champagne mousseux ». Ils affirment que « le commerce des vins de Champagne a considérablement augmenté depuis quelques années par les précautions que l'on prend au lieu du cru de les faire tirer en bouteilles à la première lune de mars, afin de les rendre mousseux ». Ils expliquent également que ce champagne mousseux perd ses qualités s'il est transporté en fûts.
Lui-même amateur de champagne effervescent, Louis XV répond favorablement à leur demande par l'arrêt du 25 mai 1728. Résolu à favoriser le commerce, le roi de France autorise ainsi « le transport du vin de Champagne en paniers de 50 ou 100 bouteilles vers les ports de Rouen, Caen, Dieppe et du Havre » afin qu'ils soient exportés à l'étranger. C'est le début d'une belle réussite économique.
« Dès lors, l'élaboration du champagne mousseux dans son terroir de production et sa commercialisation progressent tandis que la production des marchands anglais décline », poursuit Jean-Robert Pitte. La demande augmente. Les fraudes à la contenance aussi.
La déclaration royale du 8 mars 1735 vise à y mettre un terme. « Les plaintes qui nous ont été faites sur les différents abus [...] dans la fabrication des bouteilles et carafons de verre destinés à renfermer les vins et autres liqueurs, [...] nous ont déterminés, pour l'intérêt public, à y pourvoir par un règlement précis », souligne le roi, en préambule. Il fixe leur contenance à une pinte de Paris (93 cl) et leur poids à 25 onces (700 g) minimum. Tous les opérateurs doivent s'y soumettre sous peine de fortes amendes, et, pour les marchands et les cabaretiers, de confiscation des vins.
Les marchands faïenciers - les revendeurs de bouteilles -, eux, sont tenus « de faire dans la quinzaine, au greffe de police de chaque ville du royaume, leur déclaration de stocks de bouteilles avec leurs poids et jauge », indique la déclaration. Le règlement est strict, mais les fraudes vont malgré tout fleurir. « Jusqu'à la mise au point, au XXe siècle, des machines entièrement automatiques, la contenance des bouteilles ne pourra jamais être réellement garantie par les verriers », conclut Jean-Robert Pitte. Ce qui n'a pas empêché l'essor des ventes de vins en bouteilles, notamment de Champagne.
Bibliographie : La Bouteille de vin, J.-R. Pitte. Ed. Tallandier. Vins, vignes et vignerons, Marcel Lachiver. Ed. Fayard.