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Magazine - Histoire

Période : du XIIIe au XIXe siècles. Lieu : Frontignan, dans l'Hérault Frontignan, le merveilleux

FLORENCE BAL - La vigne - n°290 - octobre 2016 - page 76

Du bas Moyen Âge jusqu'au XIXe siècle, les vins de Frontignan connaissent une exceptionnelle renommée qui a fait bien des envieux.
Les tonneaux de muscat étaient transportés sur des charettes tirées par des chevaux. © MUSÉE DE FRONTIGNAN

Les tonneaux de muscat étaient transportés sur des charettes tirées par des chevaux. © MUSÉE DE FRONTIGNAN

Les vins de Frontignan, petit port de l'Hérault, jouissent d'une formidable réputation du XIIIe au XIXe siècles. Les villageois les élaborent à partir de muscat blanc à petits grains dit « de Frontignan », d'origine grecque et déjà connu des Romains. Ils vinifient aussi un muscat rouge et cultivent un muscat augibi destiné au passerillage et à la production de raisins secs.

Ces vins blancs et rouges, vraisemblablement liquoreux dès le départ, vendus cher et exportés, représentaient des cadeaux de choix. « Afin d'honorer et d'obtenir des faveurs des grands personnages, les consuls du village offraient toujours un présent de grande valeur : le vin de Frontignan », raconte Jean Valette, auteur d'un livre sur l'histoire du muscat de Frontignan. D'après lui, Jacques Ier d'Aragon - alors roi des terres dont dépendait Frontignan - en aurait offert au pape Grégoire X dès 1264. Suivront Louis XIII en 1613, le duc de Montmorency en 1627, le prince de Condé en 1641, Louis XIV en 1645, etc.

Au cours des siècles, nombre de personnalités encenseront ces vins. En 1295, le médecin Arnaud de Villeuneuve se soigne « par ce merveilleux vin ». En 1348, son confrère Guy de Chauliac le prescrit comme fortifiant. Rabelais le cite dans son épopée de Pantagruel parue en 1532. En 1600, l'agronome Olivier de Serres évoque « sa valeur », qui « le fit transporter par tous les recoins du royaume ». Et Voltaire demande en 1774 « la grâce » à l'un de ses amis « de me conserver la vie en m'envoyant un petit quartaut [petit tonneau] du meilleur vin de Frontignan ».

Au-delà des frontières, Thomas Jefferson, futur président des États-Unis, note dans un récit de voyage : « Il s'en produit environ 1 000 pièces (de 250 bouteilles chacune) par an, dont 600 de première qualité. » Il en commande régulièrement au Dr Lambert, habitant du village, devenu son ami lors de son passage en 1787. « Quoique bien éloigné de vous actuellement, Monsieur, je suis encore à portée de vos excellents vins, écrit-il en 1790. Ayez donc la bonté de m'en envoyer dix douzaines de bouteilles pour notre président, le général Washington, et cinq douzaines pour moi [...], du blanc et du rouge. »

Dernière marque de reconnaissance : à partir du milieu du XVIIIe siècle, « l'élite bordelaise apprécie le muscat de Frontignan dont les bouteilles font l'objet de cadeaux estimés, précise le géographe Jean-Robert Pitte. La bouteille bordelaise s'appellera d'ailleurs "la frontignane" jusqu'à l'entre-deux-guerres ». Dès le XVIIIe siècle, les vins étaient livrés en bouteilles de verre clair, façonnées par les nombreuses verreries du Languedoc.

Mais cette extraordinaire renommée a son revers. Elle fait des envieux. De multiples fraudes font passer pour vins de Frontignan des vins d'ailleurs. Au fil des siècles, des écrits témoignent de la lutte constante contre ce fléau. Dès 1249, l'entrée des vins et raisins étrangers est interdite dans le village à la demande des habitants. Ces derniers vident en 1511 six barriques de vins doux de Majorque entrées frauduleusement.

En 1629, il est décidé d'apposer sur les barriques une marque au feu officialisée en 1645. Dès lors, après les vendanges, les propriétaires sont tenus de déclarer la quantité de muscat récolté. Des contrôleurs, eux, apposent la marque et l'année sur les tonneaux.

L'histoire retient ainsi qu'en 1651 deux inspecteurs contrôlent les vins des villages voisins Vic et Balaruc et veillent à ce qu'ils ne portent pas la marque convoitée. En 1749, les habitants dénoncent de malhonnêtes négociants sétois qui vendent des vins d'Espagne sous le nom de Frontignan. Quarante ans plus tard, la tentation n'a pas faibli. Thomas Jefferson en témoigne : « La qualité inférieure est achetée par des négociants de Cette [Sète] qui la revendent comme première qualité. »

À partir d'octobre 1818, les contrôleurs comptent les tonneaux de chaque cave après la récolte et en tiennent un registre précis.

À la fin du XIXe siècle, la méthode d'élaboration change. Le mutage à l'alcool se généralise et la production s'industrialise. Le 31 mai 1936, le décret de l'AOC Muscat de Frontignan est signé, c'est la huitième dans l'ordre de création des AOC françaises.

Aujourd'hui, vin populaire, le muscat de Frontignan est toujours mondialement connu, mais sa renommée est révolue.

Bibliographie : Évolution historique du muscat de Frontignan de Jean-Claude Martin - Agro Montpellier ; Le Muscat de Frontignan, son histoire et ses lettres de noblesse de Jean Valette ; La Bouteille de vin de J.-R. Pitte, Éd. Tallandier.

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