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VIGNE

Travaux en vert Les EPI passent mal

CHRISTELLE STEF - La vigne - n°287 - juin 2016 - page 30

Les firmes incitent au port des gants et d'une combinaison pour travailler dans les vignes après le délai de rentrée. Pour les représentants de la viticulture, c'est impossible, et rares sont ceux qui font respecter cette consigne.
DIFFICILE DE FAIRE PORTER DES EPI aux travailleurs de la vigne quand le délai de rentrée a déjà été respecté.  © J.-M. NOSSANT

DIFFICILE DE FAIRE PORTER DES EPI aux travailleurs de la vigne quand le délai de rentrée a déjà été respecté. © J.-M. NOSSANT

La pilule ne passe pas. Pour un nombre croissant de produits phytosanitaires, il est désormais spécifié qu'il faut porter des gants en nitrile et une combinaison en tissu déperlant lorsqu'on travaille dans les vignes après le délai de rentrée. Pour Stéphane Héraud, viticulteur bordelais et président de l'AGPV (Association générale de la production viticole), il n'en est pas question. « Faire porter aux salariés et aux saisonniers des EPI tout au long de l'année, y compris pendant les vendanges, c'est impossible. À ce jour, aucun de ces équipements de protection n'est suffisamment efficace pour garantir la sécurité des opérateurs. Et c'est insupportable à porter en pleine chaleur. Cela réduit la dextérité et nuit à notre image. Pour la promotion de l'oenotourisme, c'est une catastrophe », tempête-t-il.

Pour l'AGPV, deux solutions : soit les produits de traitement sont assez sûrs pour que l'on puisse travailler dans les vignes sans protection spécifique après le délai de rentrée, soit il faut les interdire. Seule concession à cette règle : Stéphane Héraud admet que le délai de rentrée pourrait être rallongé d'un jour ou deux maximum, si nécessaire. L'AGPV défend cette position depuis des mois, sans résultat. Le 9 mai, lors d'une rencontre avec le ministre de l'Agriculture, elle l'a relancé sur le sujet. « Stéphane Le Foll nous a dit qu'il en faisait un sujet personnel. Il va contacter le directeur de l'Anses pour appuyer notre proposition », a rapporté Stéphane Héraud après cette réunion. L'Anses a effectivement été saisie du dossier en février dernier. Mais elle ne devrait rendre son rapport que fin juin.

En attendant, comment réagissent les professionnels sur le terrain ? Aux dires de Stéphane Héraud, certains n'hésitent pas à rapporter les produits concernés chez leur distributeur. Comme il est impossible pour eux de faire porter des gants et des combinaisons à leurs salariés, ils ne veulent pas se retrouver en situation irrégulière. Ils n'utilisent plus que des produits avec lesquels il n'est pas obligatoire de porter des EPI lors des travaux dans les vignes.

Didier Thévenet, chef de culture au château des Tours et au château de Corcelles, dans le Beaujolais, estime que c'est effectivement bien compliqué, surtout l'été lorsqu'il fait chaud. « On doit déjà se bagarrer pour qu'ils portent bien les EPI (gants, bottes, combinaison) lorsqu'ils font du désherbage en taches avec un pulvérisateur à dos. Il va être difficile d'aller plus loin, surtout pour l'ancienne génération, celle des 50-55 ans », avoue-t-il.

À la MSA, on reconnaît que la question est délicate. « La protection individuelle est déjà un sujet sensible lorsqu'il est question de l'application des produits phytosanitaires. La protection des personnes qui effectuent des travaux en vert l'est encore davantage pour plusieurs raisons : inconfort, problème d'image, difficultés à trouver des salariés. Je ne connais pas d'exploitations où les salariés qui effectuent des travaux en vert disposent d'équipements de protection chimique », avoue Alain Viard, conseiller en prévention à la MSA de Loire-Atlantique-Vendée.

Son confrère Bruno Farthouat, conseiller en prévention à la MSA des Charentes, conseille « aux viticulteurs de respecter un délai de rentrée d'au moins 48 heures quel que soit le produit appliqué sur la vigne. Et s'ils peuvent aller au-delà, c'est encore mieux. Après ce délai, je recommande aux travailleurs de se laver les mains et le visage le plus souvent possible et de se doucher à la pose de midi et le soir. J'insiste sur la nécessité de se protéger la peau en mettant des gants, des vêtements couvrants : tee-shirt respirant à manches longues, pantalon long léger, casquette qui protège la nuque ou chapeau à large bord ».

Bruno Farthouat a fait tester deux tee-shirts à manches longues, l'an passé ; l'un acheté dans un magasin de sport, l'autre chez un distributeur. Six personnes se sont prêtées au jeu. « Les testeurs ont jugé que le premier était un peu trop près du corps. En revanche, ils ont bien accepté l'autre qui était plus ample. Nous allons renouveler le test cette année avec une vingtaine de personnes, en ajoutant des gants respirants. Nos conseils, pour qu'ils soient réalistes, doivent être appliqués puis validés par les utilisateurs durant toute une journée de travail. »

À Mareuil-sur-Ay, dans la Marne, Xavier Charbaut prend la sécurité de ses salariés très à coeur : « Les produits phytosanitaires ne sont pas anodins. Des traces peuvent subsister sur les feuilles, même après le délai de rentrée. On ne connaît pas l'effet que cela peut avoir à long terme. Il faut donc faire attention. Nous privilégions les produits qui possèdent un délai de rentrée de 6 heures. »

Le viticulteur est à la tête du Champagne Guy Charbaut et d'une entreprise de prestation de services. Il intervient au total sur 50 ha. Dix-sept permanents s'occupent des travaux en vert. « Chacun est responsable d'un îlot de 3 ha », précise-t-il. Avant chaque traitement, ils reçoivent un SMS leur indiquant les dates d'intervention, les produits utilisés et les délais de rentrée à respecter. Dans les vignes, ils ont l'obligation de porter une casquette, des gants et des vêtements couvrants. « On ne veut pas qu'ils travaillent bras nus. Quand il fait chaud, on transpire. Les pores de la peau s'ouvrent. Les produits pénètrent plus facilement. À la fin de la journée, ça pique. Les plus anciens en ont fait l'expérience par le passé », insiste Xavier Charbaut.

L'employeur met une boîte de gants en nitrile, une cote de travail et des chaussures à la disposition de chacun de ses salariés. « Ce n'est pas toujours facile de travailler avec ce type de gants car ils sont très fragiles et se déchirent facilement. Mais ce sont les plus efficaces contre les produits phyto-sanitaires. La cote est en textile. Elle couvre le corps en entier tout en étant plus supportable que la combinaison verte que l'on utilise pour les traitements », précise Xavier Charbaut. Et surtout, c'est mieux pour l'image du vignoble. « Voir des petits hommes verts dans les vignes, ça ne passera pas auprès du grand public. » Au vu des derniers reportages diffusés à la télévision, on comprend aisément pourquoi...

CLAUDE VANYEK, NÉGOCIATEUR AU SEIN DE CFTC AGRI ET SALARIÉ AU DOMAINE SCHLUMBERGER, EN ALSACE « À chaque niveau d'exposition, sa protection »

« Le respect de la santé et de la sécurité des salariés est fondamental ; de même que le respect de l'environnement. Mais à un moment donné, il faut bien faire le travail. Quand on fait du relevage, on est en contact avec le feuillage sur lequel subsistent des résidus de produits phytosanitaires. 95 % de l'exposition est cutanée. Il faut donc prendre des précautions. La première est le respect des délais de rentrée. Il faut également adopter des règles de bon sens, comme se laver les mains régulièrement. Le port de gants est bien sûr essentiel. Si l'on a des vêtements couvrants, un tee-shirt manches longues et un pantalon, c'est encore mieux. Le reste est superflu. La protection est importante mais il faut aussi prendre en compte les conditions de travail. Pour ceux qui préparent ou appliquent une bouillie de traitement, le port d'une combinaison et d'un masque est primordial. Mais cela reste une contrainte. Pour ceux qui travaillent dans les vignes, ce n'est pas supportable. À chaque niveau d'exposition, sa protection. »

Une étude avec le folpel

Est-on contaminé par des résidus de produits phytosanitaires lorsqu'on travaille dans les vignes après le délai de rentrée ? Si oui, à quel niveau ? Pour le savoir, Jacques Vermorel, de la MSA Ain-Rhône, et l'Université de Lausanne (Suisse) vont mettre en place une étude sur des vignes traitées au folpel. « Nous allons procéder à des analyses sur un groupe de dix personnes. Nous allons chercher les métabolites du folpel dans leurs urines, en fonction de leurs conditions de travail (bras nus, port de gants, fréquence de lavage des mains...). Si le protocole fonctionne, nous le mettrons en place sur un échantillon plus important. L'idée est de définir une valeur limite d'exposition et une valeur moyenne d'exposition », explique Jacques Vermorel.

Des consignes qui vont se généraliser

 ©C. STEF

©C. STEF

Les industriels des phytos ne cherchent pas à se couvrir. C'est ce qu'affirme l'UIPP, leur syndicat. Selon cette organisation, ce ne sont pas les firmes qui ont pris l'initiative d'imposer le port d'EPI à ceux qui travaillent dans les vignes après le délai de rentrée. « C'est une demande du ministère de l'Agriculture et ce, même pour des produits dont l'évaluation scientifique par l'Anses et la firme ne réclamaient pas ces recommandations, affirme Julien Durand-Réville, responsable santé à l'UIPP (photo). La combinaison avec traitement déperlant n'est pas LA solution, mais c'est celle qui, à ce jour, est reconnue comme efficace par l'Anses. Quoi qu'il en soit, à l'avenir, quasiment tous les produits pour la vigne devraient avoir une recommandation sur le port des EPI pour les travailleurs en rentrée. » Autrement dit, il faudra porter des EPI lors des travaux en vert et, en principe, même lors des vendanges, dès lors que les vignes auront été traitées. « C'est lié à la mise en place d'un nouveau document européen, le 1er janvier 2016 qui prend en compte des scénarios beaucoup plus stricts qu'auparavant, poursuit l'expert. Nous essayons de générer de nouvelles données scientifiques pour rendre ces scénarios d'expositions plus réalistes. De leur côté, les fabricants d'EPI travaillent à des équipements mieux adaptés à la réalité du travail sur le terrain. »

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